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(Article initialement publié en mars 2020) Le 7 mars dernier, le Liban a annoncé le premier défaut de paiement de son histoire. Plongés dans « la pire récession économique depuis 30 ans » (1), les Libanais doivent faire face à un chômage élevé et à des politiques d’austérité drastiques. A l’automne 2019, les nouvelles taxes instaurées par le gouvernement de Saad Hariri ont provoqué la colère de la rue. Pour décrypter la crise économique libanaise, Les clés du Moyen-Orient ont interrogé le chercheur Eric Verdeil, spécialiste de géographie urbaine dont l’essentiel des recherches est mené au Liban. Auteur de l’Atlas du Liban : Territoires et société, il est actuellement professeur des universités à Sciences Po Paris.
Ce défaut de paiement est le résultat d’une longue histoire de choix économiques et financiers réalisés par le Liban depuis les années 1990 pour reconstruire le pays après la guerre civile (1975-1990). Le Liban a choisi un modèle économique visant à attirer des capitaux étrangers, notamment en provenance d’autres pays arabes.
Ce système a été mis en place sous l’égide de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Il a voulu orienter le pays vers la production de services, comme le tourisme et l’immobilier, au risque d’abandonner l’industrie et l’agriculture. Ce choix pouvait paraître étonnant car le Liban avait des compétences et une main d’oeuvre qualifiée dans ces domaines. Le pays a pendant longtemps exporté sa production sur les marchés arabes avec succès.
Le pari libanais a pu sembler gagnant, car ce système, qui apparaît alors comme miraculeux, a permis d’entretenir la consommation sur place, en faisant entrer des capitaux étrangers. D’autant plus que les touristes largement originaires des pays du Golfe affluent alors et consomment sur place. Pendant des années, l’effervescence a gagné le pays, les banquiers ont vu leurs profits grossir. Tout le monde s’est satisfait de ce système. Les banques pouvaient sans cesse financer le déficit public par de nouveaux prêts à l’Etat et dans le même temps, elles engrangeaient les bénéfices.
Mais la politique libanaise a aussi eu des effets négatifs, car ce système n’est pas basé sur une économie locale solide :
– La parité fixe de la livre libanaise, à partir de 1997, a entraîné une inflation qui touche les biens importés et entraîne la hausse des valeurs foncières et immobilières.
– Le Liban est devenu une économie de consommation, et non plus de production : L’agriculture et l’industrie ont été négligées par les politiques gouvernementales et les investisseurs privés. Les biens importés sont devenus plus compétitifs que la production libanaise, mettant ainsi à mal les emplois agricoles et industriels. En conséquence, les jeunes libanais diplômés ont dû soit accepter des emplois dans le secteur tertiaire, souvent mal rémunérés comme dans le tourisme, soit partir à l’étranger. Ce système a alimenté la création d’une noria diasporique de jeunes libanais partis s’installer notamment dans le Golfe. Des travailleurs qui renvoient une partie de leur argent vers le Liban, alimentant le système financier.
Ce système est structurellement déséquilibré. Le déficit public, aisément financé par les banques, enfle et menace à plusieurs reprises la stabilité des finances publiques. Mais à deux reprises, lors des conférences internationales Paris II et Paris III, en 2002 et 2007, les alliés arabes et occidentaux du Liban soutiennent les gouvernement de R. Hariri puis ses héritiers du Mouvement du Futur. Ils refinancent le pays en échange de promesses de réformes qui en fait ne sont jamais mises en oeuvre. Dans cette période, le haut niveau du prix du pétrole sur les marchés internationaux entretient les flux de capitaux vers le Liban.
En 2011, toutefois, la situation se dégrade à nouveau mais les paramètres géopolitiques ont changé. La conjoncture économique se dégrade dans le Golfe et les capitaux entrant au Liban se font plus rares. Avec la crise syrienne, les pays du Golfe se montrent plus méfiants. Certains Libanais, notamment de confession chiite, sont expulsés du Golfe. La guerre en Syrie fait aussi baisser le tourisme, un secteur d’emploi important. Pour ne rien arranger, en 2014, la baisse des prix du pétrole fait chuter l’entrée des capitaux dans le pays. A cela s’ajoutent les sanctions américaines contre l’Iran à partir de 2018 puis contre le Hezbollah libanais. Elles ont porté un coup sérieux aux finances du groupe libanais.
En réaction, la Banque centrale libanaise a multiplié depuis 2016 les montages financiers pour s’assurer que l’Etat libanais puisse continuer à emprunter et que les banques, de leur côté, achètent des bons du trésor émis par le ministère libanais des Finances. Ces investissements risqués offrent aux banques une rentabilité très élevée.
Ce système n’était pas viable à terme. C’est ce qu’on appelle une pyramide de Ponzi : les derniers capitaux arrivants permettent de rembourser les emprunts passés. Or, avec la diminution continue des entrées de capitaux, l’Etat libanais n’a plus été en mesure de rembourser sa dette. Par ailleurs, la banque centrale voyait ses réserves en devises fondre et elle avait de nombreuses créances à l’égard des banques privées libanaises.
La machine à capter les capitaux autrefois efficace s’est grippée. Or, ces capitaux permettaient aussi de financer le régime de dépenses publiques. L’Etat libanais, qui empruntait à taux élevé, a vu sa dette gonfler au delà de ses capacités de remboursement. D’autant plus que les gouvernements successifs ont échoué à assainir la situation des finances publiques, à améliorer les infrastructures en déréliction, à l’instar de l’électricité ou de la gestion des déchets, et à relancer l’économie en éliminant la corruption et les obstacles aux investissements productifs.
L’atout relatif du Liban est que la dette n’est pas principalement envers l’étranger. L’essentiel des créances est détenu par les banques libanaises ayant acheté des titres. Cette situation rend en principe plus facile un accord entre des protagonistes qui ont des intérêts communs : restructurer la dette publique pour la rendre soutenable, sauver le système bancaire. Diverses options sont débattues pour « répartir les pertes » entre les divers acteurs, allant d’une ponction sur les bénéfices passés à un allongement des durées de remboursement et des taux, en passant par un « haircut » affectant une partie des déposants. L’enjeu à terme est de mettre en place une nouvelle relation entre les acteurs financiers et l’Etat.
Toutefois, les banques, qui ne voulaient pas payer les pots cassés d’une situation qu’elles ont pourtant elles-mêmes contribué à créer, ont vendu une partie des eurobonds qu’elles détenaient à des fonds vautours, en les bradant, car il ne valaient plus grand chose. Une partie de ces eurobonds est donc entre les mains d’acteurs étrangers qui cherchent à récupérer le plus de profit en mettant une pression sur l’Etat libanais.
Le gouvernement libanais est actuellement en train d’ouvrir des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour bénéficier d’un emprunt afin de respecter ses échéances. De nouvelles difficultés pourraient émerger pour la population libanaise, car en contrepartie, le FMI demandera vraisemblablement des mesures drastiques d’austérité.
Avec la crise du Coronavirus, l’économie du Liban, comme de la plupart des pays, est au point mort. Pour l’Etat, dont les caisses étaient déjà vides, cette crise sanitaire aggrave une situation déjà critique.
Au Liban, le système monétaire permet la circulation de la livre libanaise et du dollar. Les banques ont appliqué ces restrictions car elles ont de plus en plus de mal à se fournir en dollars. Ces derniers mois, un mouvement de panique a traversé le monde financier. Les banques craignent que les Libanais ne veuillent retirer leurs économies en dollars pour les placer à l’étranger et se prémunir d’une taxation de leurs comptes ou d’un défaut des banques.
Ces restrictions financières sont soutenues, de manière confuse, par le gouvernement libanais. L’enjeu est de limiter l’utilisation des dollars pour financer l’importation au Liban de produits essentiels comme les médicaments, le carburant ou les biens alimentaires essentiels.
Ils demandent avant tout un coup d’arrêt aux mesures d’austérité qui allaient en s’aggravant ces dernières années. La révolte a éclaté après l’annonce d’une taxe sur le réseau social Whatsapp, très utilisé au Liban.
Les manifestants demandent aussi plus d’investissements dans les services publics, pour l’instant jugés insuffisants. L’alimentation en électricité par exemple est dysfonctionnelle. Les coupures sont quotidiennes. Pour être constamment alimentés en électricité, les Libanais doivent en plus payer l’électricité de générateurs dont les prix du marché sont beaucoup plus élevés que ceux de l’électricité publique et dont les exploitants sont considérés comme une mafia.
A cela s’ajoute un discours anti-corruption parmi les manifestants. La crise des déchets, qui a éclaté en 2015 et qui n’a pas été résolue, a alimenté les soupçons d’enrichissement d’une petite élite et d’une corruption généralisée de l’Etat. Le monde financier - notamment l’immobilier - et l’élite politique entretiennent par ailleurs des liens étroits comme le démontre le Dr Jaad Chaaban dans ses recherches. En 2013, 29% du capital de sept des principales banques libanaises appartiennent à des familles directement liées à la classe politique libanaise. Celle-ci bénéficie directement de ce système, et on peut penser qu’elle n’a pas intérêt à le changer. J’explique plus en détail cette situation libanaise dans mon ouvrage Atlas du Liban : Territoires et société.
Alors qu’une petite élite s’enrichit, une partie des Libanais s’est considérablement appauvrie ces dernières années, comme le montrent les enquêtes de la chercheuse Lydia Assouad. Cette augmentation des inégalités a aussi alimenté la colère des manifestants.
Eric Verdeil
Eric Verdeil, géographe spécialisé sur les questions urbaines dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, appartient au laboratoire CNRS Environnement Ville Société à Lyon.
Il s’intéresse aussi depuis quelques années aux transformations des politiques énergétiques et à leur impact sur les sociétés de la région.
Il a publié plusieurs articles sur le sujet qui sont accessibles via son carnet de recherche Rumor (http://rumor.hypotheses.org).
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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