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2016 : vers un reflux de l’État islamique ? Cartographie du conflit en Irak et en Syrie

Par Corentin Denis
Publié le 05/01/2016 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

I. L’État islamique perd du terrain en Syrie et en Irak

L’EI aurait perdu 14% de son territoire au cours de l’année 2015.
En Syrie, l’EI est tenu à l’écart de la « Syrie utile », la région la plus peuplée de l’ouest. Il reste contenu à l’est de Homs et d’Alep, où l’Armée syrienne libre et d’autres groupes rebelles continuent à affronter le régime de Bachar al-Assad (1).

Au Kurdistan syrien, la situation tourne à l’avantage de l’Unité de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l’Union démocratique kurde. Les Kurdes, soutenus par des frappes aériennes américaines, remportent une victoire décisive à Kobané en janvier 2015. Au cours du premier semestre, ils repoussent les forces de l’EI, ce qui leur permet d’unifier leur territoire et de couper une route de contrebande dont l’EI se servait pour vendre du pétrole en Turquie. En juillet 2015, les YPG repoussent également l’offensive de l’EI sur Hassakah, qu’ils tiennent désormais avec les forces loyales au régime syrien.

En Irak, les Kurdes lancent une offensive depuis les monts Sinjar, reprenant la ville de Sinjar et une route majeure reliant Mossoul à la Syrie en novembre 2015. Le succès de l’opération est le résultat d’une jonction des forces kurdes irakiennes des Peshmergas, de miliciens yézidis, des YPG kurdes syriens et des Kurdes turcs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), soutenus par des frappes aériennes de la coalition. Les combattants qui ont repris Sinjar y ont découvert un charnier, témoignant à nouveau des massacres auxquels se livre l’EI dans les territoires conquis.

L’EI recule également dans les environs de Bagdad. En avril 2015, les forces armées irakiennes, appuyées par des milices chiites, reprennent la ville de Tikrit aux islamistes après une quinzaine de jours de siège. En décembre 2015, l’armée irakienne affronte l’EI à Ramadi, à 100 kilomètres à l’ouest de Bagdad. À la fin du mois, les forces irakiennes atteignent le centre de la ville, tandis que la coalition continue de bombarder les quartiers tenus par les islamistes.

Carte 1 : contrôle du territoire en Syrie et en Irak (fin décembre 2015)

En revanche, en Syrie en mai 2015, l’EI prend le contrôle d’un important territoire autour de la ville antique de Palmyre. La prise de Palmyre intervient au moment où l’organisation perd du terrain le long de la frontière turco-syrienne. Elle prouve la mobilité du groupe et illustre une stratégie plusieurs fois appliquée : au lieu de se battre pour défendre un territoire jusqu’à l’épuisement, l’EI préfère se retrancher et ouvrir de nouveaux fronts, de préférence dans des régions sunnites ou il peut espérer le soutien d’une partie de la population. En même temps, l’EI continue à commettre des attentats dans les zones qu’il ne contrôle pas, ce qui rend la menace encore plus difficile à contenir pour les forces gouvernementales.

Les forces régulières syriennes, irakiennes et kurdes empêchent l’EI de s’emparer des villes les plus peuplées et ont réussi à conduire quelques offensives significatives au cours de l’année passée. Ces succès contre l’EI sont aussi largement attribuables à l’intervention militaire internationale. L’appui d’autres pays est indispensable pour frapper le cœur du territoire de l’EI, et seule l’aviation des puissances étrangères peut infliger suffisamment de dégâts aux bastions reculés du groupe.

II. Une action internationale encore trop peu coordonnée

En août 2014, une coalition menée par les États-Unis commence à bombarder l’EI en Irak. Presque 6000 bombes y sont larguées entre août 2014 et fin décembre 2015 d’après l’armée américaine. Les États-Unis bombardent ensuite la Syrie, aux côtés de plusieurs pays du Golfe, à partir de septembre 2014. La France rejoint les États-Unis dans la lutte aérienne contre l’EI en Irak mais exclut dans un premier temps de bombarder la Syrie, refusant de prendre parti pour le régime ou pour l’EI. L’engagement de forces aériennes en Syrie est décidé en septembre 2015 en raison de la menace terroriste en France et de l’arrivée massive de réfugiés syriens en Europe. Les frappes françaises s’intensifient suite aux attentats du 13 novembre à Paris. 3000 bombes auraient été larguées en Syrie entre septembre 2014 et fin décembre 2015 (2).

Carte 2 : localisation des frappes de la Russie et de la coalition arabo-occidentale en Syrie (septembre 2014 - décembre 2015)

Les frappes de la coalition ont été particulièrement massives à Kobané pour aider les combattants kurdes à reprendre à l’EI cette ville frontalière stratégique. Elles visent également les villes de Mossoul et Ramadi, principales villes contrôlées par l’EI en Irak. Rakka, la plus grande ville tenue par l’EI en Syrie a également subi d’intenses bombardements, notamment ceux menés par l’aviation française en réaction aux attentats de Paris.

La Russie commence son intervention en Syrie le 22 octobre 2015, un mois après l’annonce faite par le président Poutine devant l’ONU à New York. L’objectif de la Russie est de soutenir le régime de Bachar al-Assad, qu’elle considère comme seul légitime, et d’éradiquer l’islamisme par la force. Une trentaine d’avions de combat réalise des frappes de soutien pour les troupes du régime syrien. L’engagement au sol est limité mais des troupes régulières et des forces spéciales permettent de mieux guider les bombardements et d’aider l’armée syrienne à faire face à l’insurrection. Plusieurs navires frappent Rakka et Alep depuis les mers Caspienne et Méditerranée.
Les frappes russes sont concentrées sur la « Syrie utile », d’Alep à Damas, là où sont situés la plupart des affrontements entre les forces du régime de Damas et ses opposants. Contrairement aux frappes de la coalition, celles de la Russie ne ciblent pas particulièrement les bastions de l’EI. Des combattants de l’EI sont touchés, comme à Homs, où ils étaient aux prises avec les troupes du régime, mais la majorité des frappes est localisée au sud d’Alep, sur le front où le régime affronte l’Armée syrienne libre.
Le choix des cibles le montre, les objectifs russes ne sont pas les mêmes que ceux de la coalition arabo-occidentale. L’intervention militaire de la Russie, la première depuis la fin de l’URSS, s’explique même en partie par la volonté de contrebalancer l’influence des États-Unis et de ses alliés dans la région. Cependant, au cours de l’année 2015, il est devenu de plus en plus clair que la Russie et la coalition avaient pour objectif commun l’élimination de l’EI.

Les États-Unis, suivis par la France et les autres pays de la coalition, ont adopté une attitude beaucoup plus « attentiste » à l’égard du régime syrien (3) et ont fait le choix de privilégier l’endiguement de la guerre civile et la lutte contre les terroristes de l’EI plutôt que le changement de régime. Du point de vue russe, l’EI est également un ennemi de plus en plus sérieux pour Bachar al-Assad à mesure que le groupe avance vers ses bastions à l’ouest du pays et multiplie les attentats dans des grandes villes restées fidèles au régime comme Homs. L’EI constitue également une menace pour la Russie en raison du risque grandissant de contagion au Nord-Caucase.

L’alignement des intérêts des puissances intervenant dans le conflit devrait permettre une meilleure coordination, même si elle reste informelle. Il est désormais clair que l’objectif prioritaire est d’affaiblir l’EI avant de pouvoir engager un processus de reconstruction et d’envisager les issues politiques de la crise.

III. Viser les infrastructures pétrolières pour tarir les finances de l’EI

L’EI est considéré comme l’organisation terroriste la plus riche du monde. Le chiffre de 2000 milliards de dollars d’actifs aux mains de l’organisation est parfois avancé (4).

La majorité de cette somme est composée des ressources pétrolières et gazières que renferment les zones contrôlées par l’EI. Le groupe a en effet réussi à prendre le contrôle de la majorité des champs de pétrole syriens, dont les principaux sont situés dans la région de Deir-ez-Zor. L’organisation extrait également du pétrole en Irak, dans la région de Mossoul. Le pétrole brut est ainsi la principale ressource de l’EI, constituant la majorité des 3 milliards de dollars de ses revenus annuels, devant les taxes prélevées dans les territoires occupés, la contrebande de céréales, le trafic d’antiquités, les kidnappings et les dons régionaux.

Carte 3 : l’EI contrôle d’importante région pétrolière en Syrie et en Irak

D’après une récente enquête du Financial Time, le brut extrait par l’EI est vendu en majorité à des acheteurs syriens et irakiens qui viennent directement sur les sites d’extraction. Une partie du brut est vendu tel quel au marché d’al-Qaim, à la frontière syro-irakienne, une autre partie est transformée en essence ou en mazoute dans des raffineries construites par les habitants de la région ou assemblées par l’EI à partir de préfabriqués. Les produits raffinés sont vendus sur des marchés locaux dans les régions contrôlées par l’EI ou par d’autres groupes rebelles. Des trafiquants, qui ne sont généralement pas liés à l’EI, exportent de l’essence en traversant à pieds ou à dos d’âne la frontière nord de la Syrie ou le Kurdistan irakien (5).

Les frappes aériennes de la coalition comme de la Russie visent les installations installées par l’EI autour des champs pétroliers. La production est par conséquent en chute depuis le début de l’année 2016, beaucoup de raffineries mobiles installées par l’EI ayant ainsi été détruites. L’objectif est aussi de mettre fin au commerce, en frappant par exemple les files de camions qui transportent le pétrole depuis les champs. Al-Omar, le principal site d’extraction de pétrole de l’EI, a notamment été très endommagé par les frappes de la coalition en 2015.

La destruction des infrastructures pétrolières est un moyen efficace de tarir les finances de l’EI, donc de réduire son attractivité pour les combattants étrangers et limiter ses possibilités d’acheter le soutien des populations locales. Cependant, des frappes aériennes trop massives sur les champs de pétrole risqueraient d’avoir un effet contraire aux objectifs poursuivis. Les destructions accroitraient les pénuries, ce qui radicaliserait davantage les populations, et nuirait à la reconstruction sur le plus long terme.

Conclusion

Plusieurs signes permettent de penser que l’EI a atteint le maximum de son expansion en 2015, qu’il aura du mal à faire face à l’intervention simultanée d’une vingtaine de pays contre lui et qu’il ne pourra plus compter sur des ressources financières aussi abondantes qu’auparavant.

Pourtant, cela ne signifie pas que l’organisation cessera de nuire. La guerre contre le terrorisme est loin d’être gagnée. En effet, la menace évolue constamment, l’ennemi est largement invisible, il ne peut pas être battu comme une armée régulière. Face à cette menace, les moyens militaires ont une efficacité limitée. Les efforts de reconstruction devront être la priorité car le danger est que l’intervention ne fasse qu’ajouter au chaos qui nourrit l’extrémisme dans la région.

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
L’État islamique en cartes

Notes :
(1) The New York Times, « ISIS’ Territory Shrank in Syria and Iraq This Year », 22 décembre 2015.
(2) BBC, « Battle for Iraq and Syria in maps », 23 décembre 2015, www.bbc.com/news/world-middle-east-27838034
(3) Yves-Michel Riols et Benjamin Barthe, « Comment Paris a changé de cible en Syrie », Le Monde, 8 septembre 2015.
(4) Mathilde Damgé, « Esclavage, rançon, pétrole, pillage… Comment l’État islamique se finance », Le Monde, 21 novembre 2015.
(5) Erika Solomon, Robin Kwong et Steven Bernard, « Iniside Isis Inc : The journey of a barrel of oil », Financial Times, 11 décembre 2015.

Publié le 05/01/2016


Élève à l’École normale supérieure, Corentin Denis s’intéresse à l’histoire et à la géopolitique du Moyen-Orient. Il met en œuvre pour les Clés du Moyen-Orient les méthodes d’analyse et de cartographie employées dans le cadre d’un mémoire de master de géopolitique portant sur l’Océan Indien.


 


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