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La reconnaissance du caractère juif d’Israël : un sujet controversé

Par Mélodie Le Hay
Publié le 10/09/2013 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

JERUSALEM : Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu speaks during the weekly cabinet meeting in Jerusalem on September 8, 2013.

AFP PHOTO /POOL/URIEL SINAI

L’origine de la revendication

Cette revendication n’est pas nouvelle. C’est sur la base d’accords et de pourparlers internationaux, notamment depuis la déclaration Balfour en 1917 [2], puis du mandat britannique en Palestine validé en 1922 par la Société des Nations qui prévoit la création d’un « foyer national pour le peuple juif », que l’Etat d’Israël a été fondé en 1948. La notion d’« Etat juif » apparait dans la déclaration d’indépendance israélienne, de même que dans la résolution du 29 novembre 1947 de l’O.N.U qui prévoyait, après la guerre, le partage de la Palestine en deux Etats distincts, un Etat juif et un Etat arabe. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait surtout d’offrir un refuge et de donner un pouvoir politique au peuple juif dans le contexte de l’antisémitisme. Dans la pensée sioniste, le facteur religieux est central. Les juifs seraient le peuple originel de la Palestine, Terre promise aux Hébreux dans l’Ancien Testament. C’est là que fut édifié le royaume de David et Salomon et dont les Juifs furent expulsés après la destruction du second temple de Jérusalem en 70 de notre ère. Parler d’« Etat juif » revient ainsi, pour les fondateurs du sionisme et de l’Etat d’Israël, à reconnaitre ce lien indéfectible entre une terre et un peuple, et donc y légitimer la présence des juifs parce qu’ils sont juifs.

Bien que la notion d’« Etat juif » ne soit pas clairement définie dans la déclaration d’indépendance, il se traduit d’une part par la promulgation de lois visant le respect des prescriptions religieuses, et surtout par la loi du Retour votée en 1950 affirmant que tout juif immigrant [3] peut prétendre au statut d’oleh lui octroyant la citoyenneté israélienne ; d’autre part par le fait que des institutions religieuses, et non civiles, soient en charge des mariages et des divorces selon les prescriptions du droit de la famille et de la législation religieuse propre à chaque communauté [4].

Problèmes et controverses

Cependant, bien que la dimension religieuse soit fondamentale pour comprendre l’origine et les institutions du pays, le père du sionismeThéodor Herzl rejette dès le départ l’idée d’une théocratie, et les fondateurs d’Israël revendiquent en 1948 la double nature de l’Etat, à la fois « juif » et « démocratique », ce qui peut à première vue paraitre contradictoire.

Conférer le statut d’« Etat juif » à Israël revient en effet théoriquement à assimiler identité juive et identité israélienne. Or, bien que compatibles, ces deux termes ne sont pas pour autant assimilables. Comme l’explique Amin Maalouf [5], l’identité est faite de multiples appartenances dont aucune n’est exclusive. Etre juif signifie que le judaïsme n’est pas « la » mais une composante de l’identité d’un homme. Or, tout comme un juif n’est pas forcément israélien, un israélien n’est pas forcément juif. L’identité nationale propre à chaque Etat démocratique se compose - tout comme celle de l’individu - d’appartenances multiples telles une histoire, une culture, des valeurs et, selon la théorie du Contrat Social de Rousseau, la participation à un projet politique commun approuvé par tous ses membres. Or, justement, Israël est une mosaïque de communautés religieuses et culturelles. Les « citoyens arabes d’Israël » représentent 24% de la population, soit 1.8 million d’habitants non juifs en Israël [6].

Pour autant, Alain Gresh, journaliste spécialiste du Proche-Orient et directeur adjoint du Monde Diplomatique, rappelle bien cette particularité d’Israël : « seule démocratie qui opère une distinction entre citoyenneté et nationalité : tous les titulaires de la citoyenneté ont, en principe, des droits égaux, mais seuls certains, les juifs, bénéficient de la nationalité ». Définir et même parler de « nationalité israélienne » est donc difficile car « il n’existe pas de nation israélienne séparée de la nation juive » [7]. Pourtant, l’assimilation des deux identités - juive et israélienne - reviendrait à marginaliser une frange importante de la population et rendrait difficile la mise en place d’une situation d’égalité en matière de citoyenneté, même en cas de respect des droits des minorités. La formule de la déclaration d’indépendance « Etat juif et démocratique » serait donc un oxymore censé décrire une réalité politique et sociale complexe.

Ces différents éléments permettent de mettre en lumière une partie des réticences des pays arabes et des Arabes d’Israël devant les exigences du gouvernement Netanyahou. Une définition ethnique et religieuse de l’Etat risquerait d’exclure les minorités de la vie politique, voire de les considérer comme des citoyens de seconde zone. Dans ces conditions, demander aux Arabes israéliens de participer au devenir d’un Etat exclusivement juif pourrait sembler difficile. Leur refus s’est d’ailleurs exprimé par la voix du député arabe Jamal Zahalka qui a dû quitter l’auditorium suite à des propos virulents prenant pour cible le projet de loi adopté le 27 mai 2009 par la Knesset sanctionnant de peines d’emprisonnement toute contestation du caractère juif d’Israël. De même, ces derniers s’opposent en majorité à ce que la judéité de l’Etat devienne une condition de la paix avec les Palestiniens. Le député arabe Hanna Swaid a notamment dénoncé en juin 2009 l’absence de prise en compte de l’opinion des minorités sur la question et le risque de marginalisation de ces dernières du processus de négociation israélo-palestinien.

Un débat ancien ravivé dans le contexte du conflit israélo-arabe et de l’instabilité régionale proche-orientale

Cela revient à s’interroger sur les raisons profondes qui incitent Benjamin Netanyahu à vouloir rendre opposable à la communauté internationale le caractère juif d’Israël. Bien qu’ancienne, cette revendication n’est en effet devenue centrale qu’au cours de ces dernières années. Israël ne l’a pas évoqué lors des traités de paix avec la Jordanie et l’Égypte et cela ne représentait pas la préoccupation principale lors des négociations de Camp David en 2000. Essayons d’en comprendre les facteurs et leurs répercussions.
Le facteur religieux commence à prendre de l’importance dans le conflit israélo-arabe à partir de la guerre des six Jours en 1967 qui aboutit à l’occupation israélienne de la Cisjordanie. Les ultra-orthodoxes s’appuient depuis lors sur la description de la Terre promise dans la Bible pour justifier leurs prétentions sur la Judée et la Samarie (actuelle Cisjordanie). Se forme en réaction, depuis une vingtaine d’années, un mouvement politique islamiste palestinien, représenté surtout par le Hamas. Récusant le droit d’Israël à exister, ces derniers alimentent la peur et la frustration des juifs d’Israël, venant accroitre l’audience des ultraorthodoxes juifs.
Ces évolutions ont conduit à l’accroissement des tensions au sein de la communauté juive qui se manifestent par le renforcement de la bipartition politique : d’un côté, un sionisme laïc promu par Théodor Herzl et longtemps dominant ; de l’autre, un courant ultra-orthodoxe défendant le sionisme religieux. Les premiers défendent l’idée d’un Etat laïc garantissant un asile au juif ; les seconds promeuvent un Etat plus juif que démocratique qui s’appuierait sur la culture et la loi juive. Les discussions se sont dernièrement focalisées sur une proposition de loi émise par la droite ultra-orthodoxe « visant à mettre bien plus en exergue le caractère juif de l’État d’Israël que son caractère démocratique ». « L’État d’Israël deviendrait ‘un État juif doté d’un régime démocratique’ » rapporte Nissim Liel, rédacteur sur le site d’information des juifs francophones JForum, rappelant que cette proposition est rejetée par la gauche israélienne qui la trouve dangereuse et inacceptable [8]. En effet, cela pourrait nuire à la coexistence des divers groupes ethniques jusque-là confortée par les rouages d’un Etat démocratique. De même, la question de la révision de la loi du retour fait controverse. Censée assurer la judéité de l’Etat, il apparait que de plus en plus d’immigrants non-juifs (goyim) en profitent. Cette loi accorde en effet aussi la nationalité israélienne aux conjoints et proches parents parfois non juifs des immigrants. Les ultra-orthodoxes craignent que cet afflux d’immigrés modifie la nature de l’Etat à double titre : il viendrait renforcer la laïcisation du pays ; il viendrait submerger le pays en modifiant la proportion juifs/non juifs. Cette crainte se traduit notamment par des expulsions massives, divisant la presse et l’opinion. En 2012, après une manifestation xénophobe à Tel Aviv contre les immigrés africains, Eli Yishai, Ministre de l’Intérieur, s’était déjà montré extrêmement clair à la radio militaire : « Il faut protéger le caractère juif de l’Etat d’Israël […] ils seront bientôt un demi-million voire un million, on ne peut pas accepter de perdre ainsi notre pays » [9].

Les tensions internes à la société israélienne et les tensions entre Israël et ses voisins ne sont pas cloisonnées voire, dans une certaine mesure, s’entretiennent les unes les autres. Le climat politique israélien, doublé d’une insécurité régionale grandissante, peut avoir contribué à ce que la nature de l’Etat d’Israël devienne un point d’achoppement central dans les négociations de paix israélo-arabes, Israël se sentant menacé dans son existence même. La virulence des propos iraniens appelant à la destruction de l’Etat hébreu ne fait qu’alimenter la peur de la communauté juive. Le retrait syrien du Liban en 2000, puis la guerre civile en Syrie rendent encore la situation un peu plus précaire pour Israël confronté à une instabilité croissante dans son environnement immédiat, et surtout à sa frontière nord. En effet, le Hezbollah soutient le parti chiite dans la guerre civile syrienne et multiplie ses menaces sur le Golan. Il y a peu, Israël recevait des tirs de roquettes depuis le sud Liban provoquant le 22 août 2013 une réaction sans appel de Benjamin Netanyahou menaçant de frapper quiconque ferait du mal à l’État hébreu [10]. Dans ce contexte instable, en plus de l’escalade sécuritaire, préserver l’identité juive par tous les moyens est présentée comme étant primordial voire vital. Cela peut expliquer la radicalisation de la position israélienne qui voit, dans la reconnaissance du caractère juif de l’Etat par l’Autorité palestinienne, les Etats arabes et le reste de la communauté internationale, une garantie de sa survie. Cela reviendrait en effet à reconnaitre les Juifs comme un peuple lié à la Terre de Canaan, et donc le droit légitime d’Israël à exister.

Cependant, cette condition supplémentaire exigée par Tel-Aviv avant la création d’un Etat palestinien ne va pas faciliter la poursuite des négociations de paix, rouvertes récemment sur des bases qui restent obscures. Après une accumulation d’échecs depuis un demi-siècle, notamment les tentatives de Camp David II en 2000 et du processus d’Annapolis en 2007, il serait ainsi légitime de s’interroger avec Alain Gresh « sur les chances de réussite ou d’échec de ce processus ranimé, pour la énième fois, sous l’égide de Washington » [11], d’autant plus que Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne, refuse d’accéder à la requête du gouvernement Netanyahou en reconnaissant officiellement le caractère juif d’Israël. Or, il semble que tant que l’Etat hébreu ressentira le besoin de justifier son existence et ainsi de légitimer la présence des juifs en Terre promise, il ne pourra renoncer à ce qui constitue sa raison d’être depuis sa création en 1948.

Publié le 10/09/2013


Mélodie Le Hay est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a obtenu un Master recherche en Histoire et en Relations Internationales. Elle a suivi plusieurs cours sur le monde arabe, notamment ceux dispensés par Stéphane Lacroix et Joseph Bahout. Passionnée par la culture orientale, elle s’est rendue à plusieurs reprises au Moyen-Orient, notamment à l’occasion de séjours d’études en Israël, puis en Cisjordanie.


 


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