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Robert de Caix et la question du mandat français au Levant

Par Julie d’Andurain
Publié le 02/01/2014 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

LEBANON, BAALBEK : Picture released in the 30s of the Temple of Jupiter in the Baalbek ruins, Lebanon.

STRINGER / AFP

Une origine aristocratique

Robert de Caix est le fils aîné de Berthe La Beaume de Tarteron et d’Amédée de Caix de Saint-Aymour (1843-1923), un passionné d’histoire et de voyages, extrêmement cultivé et curieux, l’image même de « l’honnête homme » du XIXe siècle. Ce dernier avait été durant sa jeunesse tout à la fois élève de l’Ecole des Chartes, de l’Ecole des Hautes études et de celle des Langues orientales vivantes et enfin de la Faculté de droit. Il s’était fait inscrire quelques temps au barreau de Paris mais avait rapidement décidé de se tourner vers sa passion, la littérature. Devenu publiciste, Amédée de Caix écrivit pour la Revue des Deux Mondes. À partir de 1882, il entame une carrière d’écrivain-voyageur qui le mène au Soudan, en Sénégambie, en Ethiopie, en Abyssinie, en Grèce, en Italie, en Algérie… et se découvre une passion pour l’archéologie qu’il met en pratique auprès de la Société archéologique de Senlis. Bibliophile averti, membre correspondant de plusieurs sociétés savantes locales ou nationales, Amédée de Caix est regardé comme un « puits de science ». Nul doute que son fils ait trouvé en lui à la fois un père et un modèle.

Un membre éminent du parti colonial

Né au moment de la guerre de 1870, Robert de Caix appartient à cette génération de la Revanche plus soucieuse que la précédente du maintien du prestige de la France dans le monde. Formé à l’École libre des Sciences politiques de la rue Saint Guillaume, il s’intéresse très tôt à la politique et s’oriente très vite, comme son père, vers le métier de publiciste. Il s’aguerrit au métier de l’écriture en devenant le rédacteur en chef du Journal de Senlis puis intègre l’équipe du grand quotidien national le Journal des Débats où il est chargé des questions diplomatiques. C’est là, probablement sous l’égide de son directeur Georges Patinot (1884-1895) — un proche du prince d’Arenberg, membre comme lui du conseil d’administration de la Compagnie universelle du canal de Suez et bientôt nommé au comité directeur du Bulletin du Comité de l’Afrique française — que Robert de Caix de Saint-Aymour prend contact avec tous les ténors de l’expansion coloniale française. À partir de 1896-1897, il devient l’un des chroniqueurs attitrés de l’organe principal du « parti colonial » en se spécialisant plus particulièrement sur les « variétés » où il relate ses propres voyages, puis prenant de l’assurance, il se voit chargé des chroniques diplomatiques. Comme tous les membres du réseau colonial français, il est membre de plusieurs organismes coloniaux comme la Société de géographie de Paris, la Société d’histoire des colonies françaises, la Ligue coloniale française, le Comité France-Amérique ou le Comité de l’Océanie française. À la fin du XIXe siècle, les chroniques du Bulletin du Comité de l’Afrique française étant le plus souvent anonymes, on repère encore difficilement les centres d’intérêts véritables de Robert de Caix. Dès le début du XXe siècle, il se fait davantage reconnaître dans des revues voisines et amies du Bulletin du Comité de l’Afrique française telles que Questions diplomatiques et coloniales où, très éclectique, il écrit autant sur les « élections américaines » (1900) que sur « la France en Afrique » (1902 et 1903), « le Siam », « la guerre russo-japonaise » (1904), « la question du French-shore » à Saint-Pierre et Miquelon. Cependant avec le temps, on sent tout de même poindre des intérêts constants et persistants pour certaines régions qu’il affectionne manifestement plus que d’autres. Le Maroc par exemple retient souvent son attention tout comme la question des alliances européennes (au cours de la période 1906-1910) et il se passionne de façon de plus en plus évidente pour l’Asie, intérêt justifié par sa promotion en tant rédacteur en chef de la revue du Bulletin du Comité de l’Asie française à partir d’avril 1901. C’est dans cette fonction qu’on le voit réfléchir à la question du Levant à partir de 1912.

En réalité, l’intérêt de la France pour la région est plus ancien. Après les massacres des chrétiens en 1860 et en raison de la présence nombreuse de maronites dans le gouvernorat autonome du Liban (Moutassarifiya), la France a pris la Syrie sous sa protection estimant de son devoir de protéger l’ensemble des chrétiens d’Orient. Le confessionnalisme libanais a certes renforcé l’influence de la France en Orient mais celle-ci s’y trouve bientôt en concurrence avec ses voisins européens (Angleterre, Allemagne, Italie, Russie…), voire extra-européens (américains) au fur et à mesure de la confirmation du démembrement de « l’homme malade de l’Europe ». L’année 1912 marque pourtant un tournant car les différents groupes du « parti colonial », divisés par la question religieuse depuis le début du siècle, finissent par se réconcilier face aux dangers que constituent pour eux les avancées britanniques et allemandes en Turquie et au moment des guerres balkaniques qui apparaissent comme le signe avant-coureur du partage final. La force de Robert de Caix va être de se présenter comme un rassembleur de toutes les tendances du « parti colonial » afin d’assurer la présence française en Syrie. En outre, à cette date, il est déjà proche du Quai d’Orsay où il a ses entrées et, grâce à son amitié teintée de concurrence avec Philippe Berthelot, il intègre pendant la guerre la Maison de la presse, un centre de réflexion du ministère des Affaires étrangères. Il fait alors la connaissance de tous les diplomates chargés de la réflexion orientale de la France (Jean Gout, Emmanuel de Margerie, Henri Ponsot, Alexis Léger, Henri Hoppenot) qui vont bientôt le voir comme l’un des leurs. Très inspiré par les positions impérialistes françaises et soucieux de répondre aux questionnements des diplomates français, Robert de Caix élabore dès ce moment une vision du monde oriental perçu comme un « agrégat de municipes » dans lequel la France aurait vocation à jouer le rôle d’arbitre.

Le promoteur du mandat français sur la Syrie et le Liban

À l’issue de la Première Guerre mondiale, reconnu comme un défenseur farouche du mandat de la France en Syrie, il est choisi pour devenir le collaborateur civil du général Gouraud, nouveau haut-commissaire en Syrie et au Liban en 1919 et autre membre éminent du « parti colonial ». Les deux hommes se connaissent depuis 1904 et se sont plusieurs fois croisés au Maroc en 1911 et 1912. Robert de Caix entretient d’abord d’excellents rapports avec celui qu’il regarde comme un « gentleman », mais les relations entre les deux hommes se tendent car l’adjoint ne dédaigne pas à prendre en main les destinées de la Syrie en lieu et place de son chef, obligé de ce fait de lui rappeler son lien de subordination. Reste que c’est bien à Robert de Caix que revient la paternité de la mise en place de la politique française au Levant, tout comme celle de la structure politique du mandat. Et tournant le dos à une politique arabe de la France promue jusqu’alors par Berthelot, Massignon ou Lyautey qui s’appuyaient généralement sur le groupe religieux majoritaire, Robert de Caix avantage clairement la tendance chrétienne, donnant ainsi satisfaction aux conservateurs catholiques du « parti colonial ». Il innove donc en matière de politique arabe française en niant les volontés de regroupement des Arabes et opte pour un système fédéraliste dans lequel il donne un poids prédominant à la minorité chrétienne. Réponse à une urgence politique à un moment de prise de gage décisif, son refus de la prise en compte de la volonté d’unité arabe portée par Fayçal porte en germe le refus ultérieur de la tutelle mandataire. À court terme cependant, le projet semble viable. En conséquence, quand Gouraud quitte la Syrie en 1923, Robert de Caix se croit assez bien placé pour demander à remplacer son ancien chef. Conscient des risques d’explosion et de l’impossibilité de créer à cette date une administration civile, le gouvernement lui préfère un autre officier, le général Weygand.

Devenu délégué français à la Commission permanente des mandats à Genève (1924-1939), Robert de Caix se fait reconnaître comme le maître à penser de la politique orientale de la France durant l’entre-deux-guerres en développant toujours cette idée du fractionnement des nations — appliqué ici aux territoires arabes — tout à fait conforme à la pensée de la SDN. Mais les réalités orientales viennent contredire sa construction mandataire et avant la fin des années vingt, les lettres à sa femme — Marthe de Caix — témoignent du glissement d’une pensée constructive et flamboyante à un regard de plus en plus désabusé sur la politique et ses représentants. Parlant de Briand avec mordant par exemple dans une lettre du 5 septembre 1929, il explique à sa femme que son ancien chef « a le désir de finir en grand homme qui fait de grandes choses, mais il ne sait pas bien lesquelles ». À partir des années 30, son discours se radicalise et se fait de plus en plus critique en direction des fonctionnaires du mandat français en Syrie. Ecrivant difficilement à partir de 1948 et malvoyant après 1958, Robert de Caix termine sa vie totalement désenchanté, conscient d’avoir participé à la tragédie syrienne et étant parfois très critique à l’encontre de la colonisation.

Sources :
 Sur le « parti colonial », voir les articles de A.S. Kanya-Fortsner et C.M. Andrew, « La France à la recherche de la Syrie intégrale (1914-1920) », Relations Internationales, n° 19, automne 1979, p. 263-278 et celui de Peter Grupp, « Le parti colonial français pendant la Première Guerre mondiale », Cahiers d’études africaines, 1974, volume 14, n°54, p. 377-391 ; Julie d’Andurain, « Réseaux d’affaires et réseaux politiques : le cas d’Eugène Étienne et d’Auguste d’Arenberg », paru dans Bonin Hubert, Klein Jean-François, Hodeir Catherine (dir), L’Esprit Économique impérial, groupes de pression et réseaux du patronat colonial en France et dans l’Empire, Revue française d’histoire d’outre-mer, SFHOM, janvier 2008, p. 85-102 (en ligne sur le site http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/15___le_monde_colonial_en_metropole/index.html)

 Sur le rôle spécifique de Robert de Caix en Syrie et au Liban, voir les ouvrages de Gérard D. Khoury, et en particulier, Une tutelle coloniale, le mandat français au Syrie et au Liban, écrits politiques de Robert de Caix, Paris, Belin, 2006 et Jean-David Mizrahi, « La France et sa politique de mandat en Syrie et au Liban 1920-1939 » dans Nadine Méouchy (dir.), France, Syrie et Liban 1918-1946, les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, Damas, Institut français d’études arabes de Damas, 2002, p. 35- 74.

 Les archives privées de Robert de Caix se trouvent au Quai d’Orsay (PA AP 353).

Publié le 02/01/2014


Julie d’Andurain, agrégée et docteur en histoire, est Professeur en histoire contemporaine, Université de Lorraine (Metz).
Elle a publié :
ouvrages :
• Marga d’Andurain 1893-1948, une passion pour l’Orient. Le Mari Passeport, nouvelle édition annotée, Paris, Maisonneuve & Larose nouvelles éditions/ Hémisphères éditions, 2019, 288 p.
• Colonialisme ou impérialisme ? Le "parti colonial" en pensée et en action, Paris, Hémisphères éditions/Zellige, 2017, 442 p.
• Henri Gouraud. Photographies d’Afrique et d’Orient. Trésors des archives du Quai d’Orsay, Paris, Éditions Pierre de Taillac/Archives diplomatiques, 2017, 240 p.

Articles :
• « Le général Henri Gouraud en Syrie (1919-1923), un proconsul en trompe-l’œil » Revue historique, janvier 2018, n°685, p. 99-122, https://www.cairn.info/revue-historique-2018-1-p-99.htm
• « La "Grande Syrie", diachronie d’une construction géographique (1912-1923) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 141, octobre 2017, p. 33-52. https://journals.openedition.org/remmm/9790

Plus de détails sur ses publications : https://crulh.univ-lorraine.fr/content/andurain-d-julie


 


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