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République Arabe du Yémen (Yémen du Nord), 1970-1990

Par Ainhoa Tapia
Publié le 01/01/2015 • modifié le 05/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

Les années 1970 : économie florissante et influence saoudienne

A la suite du siège de Sanaa en 1967-1968, Hasan al-Amri reste Premier ministre jusqu’à sa démission en septembre 1971. Avec son départ, un pouvoir plus important est donné au conseil présidentiel ainsi qu’au président lui-même : le qadi Abd al-Rahman al-Iryani, chef de l’opposition libérale sous l’imam Ahmad et président de la République Arabe du Yémen (ou Yémen du Nord) depuis 1967. Le premier souci du président est de faire face à la République Démocratique et Populaire du Yémen (Yémen du Sud) créée en décembre 1970, et dont l’orientation politique est socialiste depuis que le Mouvement des Arabes Nationalistes (MAN), devenu Parti Démocratique Révolutionnaire (PDR) [1], a pris le pouvoir. Abd al-Rahman al-Iryani choisit donc de soutenir le Front de Libération du Sud Yémen Occupé (FLSYO) [2] en donnant une série de ministères à Abdullah al-Asnaj, un des chefs du Front exilé au Yémen du Nord et dont les associés à Aden ont été massacrés par le Front de Libération Nationale, bras armé du PDR. En outre, Iryani soutient de nombreux groupes exilés qui ont quitté le Yémen du Sud en raison des tendances gauchistes du PDR.

Mais si Iryani intervient dans la politique intérieure du Yémen du Sud, c’est afin d’empêcher la contagion socialiste du Sud vers le Nord. En effet, en 1970 a été créé dans le Bas Yémen (région du sud du Yémen du Nord) par des membres du PDR l’Organisation de Résistance des Révolutionnaires Yéménites (ORRY) qui se bat contre « l’oppression féodale, réactionnaire et impérialiste » représenté par Iryani. Les conséquences sont des escarmouches croissantes le long de la frontière entre les deux Yémen jusqu’à ce qu’en septembre 1972, un conflit armé éclate entre les deux Etats. Celui-ci prend fin un mois plus tard lors de la signature d’un traité qui évoque pour la première fois la possibilité d’une réunification.

Cependant, cette volonté de réunification n’est pas souhaitée par l’Arabie saoudite, dont les intérêts sont nombreux au Yémen du Nord. En effet, dès la fin de la guerre civile au Yémen du Nord en 1970, Riyad consent un prêt de 20 millions de dollars à Sanaa (capitale du Yémen du Nord), ce premier prêt étant suivi par d’autres jusqu’à la réunification en 1990. L’Arabie saoudite intervient également dans la nomination des Premiers ministres, et nombreux sont ceux qui tombent pour avoir exercé une politique jugée trop divergente de la ligne définie à Riyad. Iryani lui-même est déposé en juillet 1974. C’est cette intervention de Riyad dans les affaires de Sanaa que l’ORRY dénonce vivement. Iryani est remplacé par Ibrahim al-Hamdi, ancien protégé d’al-Amri, considéré comme en mesure d’apporter le renouveau au Yémen, et prend une certaine indépendance vis-à-vis de l’Arabie saoudite. Ainsi, le Conseil Consultatif (Assemblée nationale) devient Assemblée Constituante. Il autorise de plus la création d’un conseil indépendant de cheiks dirigé par le plus puissant d’entre eux, le Hashid [3] Abdullah al-Ahmar. Cependant, dès octobre 1975, l’Assemblée Constituante est supprimée et Ahmar est expulsé de l’appareil d’Etat. En réponse à ce durcissement de la politique, une nouvelle « conférence de Khamir » est organisée par Ahmar avec les principaux cheiks du pays pour contrer l’influence d’Hamdi. Les résultats de cette conférence sont quasi nuls mais de nombreuses régions du nord du pays refusent l’accès à leur territoire aux soldats et envoyés officiels de Sanaa.

Néanmoins, si les cheiks n’apprécient pas Hamdi, il l’est par la population. En effet, il se considère comme l’équivalent d’un Nasser yéménite et apprend très vite à devenir populaire, troquant notamment l’uniforme pour une tenue civile lors de ses apparitions publiques. Il se présente également comme un médiateur international, par exemple en Ethiopie et en Erythrée, afin de montrer ses capacités sur le plan international. Le pays s’enrichit en outre sur le plan économique. En effet, avec le boom pétrolier de 1973, les Yéménites travaillant dans les champs pétrolifères saoudiens sont en mesure d’envoyer de plus gros revenus à leurs familles. On voit ainsi apparaître les premiers pick-ups et taxis. Les magnétophones apparaissent dans les maisons et la mode féminine atteint les campagnes. La mode occidentale fait également son apparition dans les grandes villes. Les salaires augmentent, amenant une volonté de vivre mieux et en particulier le désir de posséder sa propre maison (le prix du mètre carré à Sanaa atteint celui de la plupart des métropoles européennes). Cependant, si le niveau de vie augmente, l’éducation reste encore très limitée puisque 30% des enfants de 10 ans vont à l’école en 1976-1977 et 60% de la population est illettrée à la fin des années 1970.

Concernant le rapprochement avec le Yémen du Sud, Hamdi met tout en œuvre pour y parvenir. Les discussions débutent en 1975 peu après son arrivée au pouvoir, mais c’est surtout à partir de 1977 que les choses s’accélèrent. Ainsi, au début de l’année, il rencontre le président du Yémen du Sud, Salmayn, à la frontière entre les deux Etats. En août, ce dernier visite même Sanaa mais l’influence saoudienne reste encore trop grande pour un véritablement rapprochement. En octobre cependant, Hamdi et son frère sont assassinés, deux jours avant une réunion prévue avec le président Salmayn afin d’évoquer la future réunification.

La mort d’Hamdi amène l’élection d’un nouveau président, très proche de l’Arabie saoudite : Ahmad al-Ghashmi. Cependant, ce dernier n’a pas le charisme d’Hamdi. De plus, il doit faire face à des révoltes tribales dans le nord du pays, organisées par des groupes qui se disent nasséristes et qui ont mal accepté le meurtre d’Hamdi. En juin 1978, le nouveau président meurt à la suite de l’explosion d’une mallette piégée. Il est remplacé par le major Ali Abdullah Saleh, proche associé d’Hamdi, et qui s’est fait remarquer pendant la guerre civile. Mais la position de Saleh est tout aussi précaire que celle de son prédécesseur, les chefs tribaux du Nord étant en constant conflit entre eux et le Bas Yémen continuant de subir les assauts de l’ORRY. Par ailleurs, en octobre 1978, un coup d’état nassériste tente de le renverser mais il échoue. Cet événement confirme au nouveau président qu’il ne peut se fier qu’aux membres de sa famille proche, tel son frère Muhammad Abdullah Saleh qui devient chef de la Sécurité centrale.

Parallèlement, Saleh choisit de poursuivre son soutien aux groupes exilés du Sud socialiste, ce qui provoque des conflits grandissants jusqu’à ce que, en janvier 1979, la guerre éclate entre les deux Yémen. Si au début on estime qu’il s’agit d’un conflit de guerre froide (le Yémen du Sud vient de signer un traité d’amitié et de coopération avec l’URSS. Pour contrer cette influence, le président américain Carter envoie des tanks de l’armée américaine aider Sanaa), l’arrivée quelques mois plus tard de tanks et d’avions soviétiques au Yémen du Nord met en évidence qu’il s’agit d’un conflit interne aux deux Yémen.

Les années 1980 : dépression économique, montée des islamistes et réunification

Le conflit prend finalement fin en mars 1979 avec l’arbitrage des pays arabes et les deux présidents promettent de travailler à l’unité des deux Yémen comme leurs prédécesseurs l’avaient fait en 1972. En novembre 1981, un nouvel accord est passé entre les deux présidents lors de la visite d’Ali Nasir, président du Yémen du Sud, à Sanaa. Deux autres rencontres se déroulent au Koweït et à Aden. Ce n’est cependant qu’en 1982 que les dernières escarmouches prennent complètement fin dans le Bas Yémen entre les troupes de Sanaa et le Front Démocratique National ou FDN (groupe socialiste du Yémen du Nord, proche de l’ORRY, mais plus important en politique car mieux organisé). Entre temps, à Sanaa, une charte nationale est rédigée en février 1980, qui doit être soumise au vote d’un Congrès général du Peuple.

Sur le plan économique, le contre-choc pétrolier de la fin des années 1970 provoque la baisse des revenus saoudiens. Les répercussions sont immédiates sur le Yémen, sa principale source de revenus étant l’argent envoyé par les émigrés travaillant en Arabie saoudite dans le domaine du pétrole. Le gouvernement de Sanaa, financé par des entreprises étrangères, recherche alors des ressources pétrolières sur son propre territoire afin d’obtenir une source de revenus sûrs, non dépendante de l’économie saoudienne. Ces recherches attisent les convoitises, et en janvier 1985, un conflit éclate entre le Yémen du Nord et l’Arabie saoudite concernant un territoire potentiellement exploitable à la frontière des deux pays. Le Sud intervient, afin de défendre « notre » pétrole. C’est la première fois que la question des frontières est en jeu entre le Nord et l’Arabie saoudite depuis le traité de Taif en 1934. Finalement, la question se règle sans conflit majeur.

En parallèle, en politique intérieure, la population réclame un véritable changement dont les islamistes profitent. En effet, dans le contexte de la guerre froide, les partis islamistes sont soutenus par les Etats-Unis contre le communisme (tels les talibans en Afghanistan à partir de 1979). Au Yémen, le Front Islamique est créé en 1979 avec le soutien de l’Arabie saoudite, allié américain dans la région, pour contrer l’influence du Front Démocratique National. Il exige le retour à un mode de vie plus traditionnel, avec par exemple le port du voile intégral pour les femmes lorsqu’elles vont à l’université. En 1985, les islamistes créent un journal proche du mouvement des Frères musulmans égyptiens, Le réveil (al-Sahwah), édité par Muhammad al-Yadumi, un ancien de la Sécurité nationale. Le pouvoir des islamistes augmente donc progressivement jusqu’à ce que lors des élections législatives en 1988, ils gagnent dans six des sept circonscriptions électorales.

Mais le soutien aux islamistes n’est pas la seule préoccupation de Riyad qui souhaite avant tout éviter la banqueroute du Yémen du Nord. En 1986, un prêt est accordé pour promouvoir un environnement stable permettant des relations économiques et politiques saines entre les deux Yémen. Cependant, avec la fin de la guerre Iran-Irak en juillet 1988, l’Arabie saoudite n’est plus la seule à s’intéresser aux questions yéménites. En effet, l’Irak évoque à nouveau l’unité arabe. Quant à l’Egypte, elle veut retrouver son rôle dans la région comme à l’époque de Nasser. En février 1989, un Conseil de coopération arabe est créé auquel participent l’Irak, l’Egypte, le Jordanie et le Yémen du Nord au grand dam de l’Arabie saoudite qui voit son influence au Yémen réduite.

C’est dans cette atmosphère d’unité arabe que les deux présidents yéménites, Ali Abdullah Saleh et Ali Salim al-Bid annoncent en novembre 1989 à Aden que la proposition de réunification datant de 1981 sera soumise à référendum en novembre 1990. Mais, à la surprise générale, la réunification n’attend pas le référendum promis car le 22 mai 1990, le texte est accepté par les deux Parlements, à l’exception des députés islamistes au nord, et la nouvelle république du Yémen est créée. Ali Abdullah Saleh est nommé président et Haïdar Abou Bakr al-Attas, ancien chef de l’Etat sud-yéménite, devient chef du gouvernement.

Voir également :
 Le Yémen de l’imam Yahya (1918-1948) : la difficile création d’un Etat moderne
 Fin de l’imamat zaydite au Yémen (1948-1962)
 Guerre civile au Yémen du Nord (1962-1970)

Bibliographie :
 Article « Yémen » Encyclopedia Universalis.
 Victoria Clark, Yemen : dancing on the heads of snakes, Yale, 2010.
 Paul Dresh, A history of modern Yemen, Cambridge, 2000.
 Sarah Phillips, Yemen and the politics of permanent crisis, New York, 2011.

Publié le 01/01/2015


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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