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Réouverture du musée Nicolas Sursock à Beyrouth

Par Mathilde Rouxel
Publié le 17/11/2015 • modifié le 30/10/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

LEBANON, Beirut : A picture taken on October 7, 2015 shows a night view of Beirut’s Sursock Museum in the Lebanese capital. Closed for eight years for major renovation work, the impressive mansion-turned-museum is to open to the public from October 8, free of charge, with exhibits honouring the history of art in Beirut.

AFP PHOTO / PATRICK BAZ

Le musée propose pour sa réouverture quatre expositions. L’ancien espace était trop petit pour accueillir des expositions temporaires ; le réaménagement, dont l’espace est travaillé comme dans les musées les plus modernes du monde entier, offre un alliage harmonieux entre histoire et contemporanéité, entre architecture originelle et configuration nouvelle. Il a notamment permis l’ouverture d’une galerie d’exposition, qui s’étend de part et d’autre de l’entrée du palais, dans deux salles, qui donnent une place à la jeune création libanaise.

Jusqu’au mois de janvier 2016 se tient ainsi l’exposition « The City in the City », qui questionne, comme une évidence, la place de Beyrouth et son histoire traumatique. Le propos s’ouvre sur une citation des Villes invisibles d’Italo Calvino : « Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses ; et toute chose en cache une autre. » A Beyrouth surtout, toujours changeante, en mutation perpétuelle depuis le début de la reconstruction, la question de réfléchir l’espace est fondamentale. Cette exposition interroge l’espace contemporain de la capitale libanaise à travers le design, l’architecture, l’art et la recherche historique, puisque le témoignage, la mémoire et l’histoire tiennent une place importante au cœur de cette exposition. Ainsi, Ahmad Gharbieh, Mona Fawar et le groupe Public Works composé d’Abir Saksouk et de Nadine Bekdache proposent avec Practicing the Public des cartes des différents espaces partagés de Beyrouth, et lance du même coup les fondations d’un débat sur l’espace public libanais. Cette œuvre est née d’un véritable travail de recherche et de la contribution d’activistes et de nombreux étudiants qui ont réfléchi ensemble à la question des espaces partagés. The Revenge of Geography : Beirut composé par Vartan Avakian dessine quant à lui une carte des conflits s’étant tenus à Beyrouth dans les années 1980.

Dans l’autre salle est présenté le résultat des 98 semaines d’ateliers, d’entretiens, d’études menées par des artistes, des chercheurs en urbanisme et des auteurs à travers toute la ville. Le collectif 98weeks présente ainsi au musée Sursock Beirut Every Other Day, qui rassemble pour la première fois ces œuvres-études dans un même espace. Espace lui-même partagé avec les photographies de Randa Mirza, qui projette à travers sa série Beirutopia ses aspirations quasi fantaisistes ou fantasmagoriques sur ce qu’elle attend du devenir de Beyrouth. Aux croisements de l’utopie et de la réalité, ces photographies incitent à voir les constructions beyrouthines sous une autre perspective. Roy Dib, enfin, donne à visionner une vidéo, installée au cœur de la pièce comme un cœur palpitant, qui laisse transparaitre les désirs, les rêves et les peurs de l’artiste à travers la vision singulière qu’il donne de Beyrouht. Objects in Mirror are Closer Than They Appear combine archives et entretiens, scènes mises en scène et abstraction totale, mémoire, violence et désir. Rendre la ville aux artistes fut le premier pari tenu par la nouvelle directrice du musée Sursock, Zeina Arida Bassil ; l’exposition trouve déjà son public.

Passées ces joliment baptisées « Twin Galleries », le fonds de collection permanente est situé au premier et au deuxième étage. Ils abritent les œuvres issues des collections privées de Nicolas Sursock, mais présentent également de nombreux dons faits au musée, ouvert en 1961 puis réaménagé une première fois en 1970. On y trouve alors les œuvres des grands portraitistes libanais du début du XXe siècle : Daoud Corm, Habib Serour, puis à leur suite Omar Onsi, Moustafa Farroukh. Ces peintres se démarquent de leurs prédécesseurs ottomans en perpétuant la tradition européenne d’un voyage à Rome, puis en France, où ils suivent de véritables formations académiques. Le rôle de l’église dans la pratique artistique à cette époque s’est trouvé fondamental, ce qui a permis à de nombreux artistes d’obtenir le statut d’artiste officiel une fois de retour à Beyrouth. La plupart des portraits représentent donc des clercs de Beyrouth, classes privilégiées en ville ; on y sent par ailleurs déjà l’influence européenne et le tiraillement entre Orient et Occident par la mode vestimentaire et les attitudes, avec notamment la disparition des vêtements traditionnels ottomans.

A partir des années 1930, les artistes libanais s’intéressent aux scènes de vie quotidienne et à la peinture de paysages : la montagne et la mer sont peintes à maintes reprises sous les différentes lumières qu’offre le jour à ces artistes loin de la construction industrielle qui se développe en ville. Sont ainsi exposées les œuvres de Khalil Zgaib, associé au mouvement des Naïfs, Pierre Gemayel, Omar Onsi.

Par ailleurs, le musée dispose et expose la célèbre collection de photographies de Fouad Debbas, qui documente à travers 30 000 images prises au Moyen-Orient des années 1830 aux années 1960 toute l’histoire et les traditions de la région, ainsi que les clichés orientalistes très présents à l’époque. Collectionneur averti, Fouad Debbas (1830-2001) cherchait ces images avec la volonté de participer à la construction du patrimoine libanais et oriental. Une collection de cartes de visites, une autre de cartes postales, complètent cette étonnante collection de photographies du quotidien.

Le premier étage donne accès au bureau, rétabli comme à l’origine, de Nicolas Sursock. On prend alors conscience de la beauté du palais et de la mode libanaise du début du XXe siècle.

Le dernier étage propose davantage de créations contemporaines, proposant un panel d’œuvres étendues sur cinq décennies, de 1961 à 2012. Les huiles surréalistes d’Assadour côtoient les créations mixed-media d’Anita Toutikian ou les paysages cubiques de Saliba Douaihy. Une section consacrée aux années 1960, qui marquent l’apogée de l’art abstrait au Liban, présente les œuvres d’artistes ayant étudié en France, rentrés au Liban et participant aux Salons d’Automne qui s’installent au palais Sursock dès 1961. L’étage tout entier permet d’ailleurs de retracer un historique de ce salon annuel, qui permet de découvrir également l’activité artistique locale de ces cinquante dernières années. Aux séries abstraites, qui exposent notamment Shafic Abboud, succède une série d’œuvres plus contemporaines ; Les Trois Mounira de Flavia Codsi habitent par exemple une salle entière de leurs regards absent de silhouettes fantomatiques et criblées de peinture.

La plupart de ces œuvres, présentées au troisième et dernier étage du musée, font partie des collections grâce aux dons des artistes suite aux salons d’exposition. Cette collection offre un panorama non négligeable qui, à la suite des collections modernes et actuelles dans le champ de la visite, viennent à la fois fournir une dimension historique à l’art contemporain libanais, en vogue sur la scène artistique internationale, et une profondeur aux premières expositions de portraits et de paysages présents un étage plus bas. Une scénographie bien conçue, en somme, dans un espace toujours un peu restreint, mais indispensable au patrimoine et à la culture libanaise.

Publié le 17/11/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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