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Regina Sneifer, J’ai déposé les armes, Une femme dans la guerre du Liban

Par Yara El Khoury
Publié le 17/03/2010 • modifié le 25/04/2020 • Durée de lecture : 3 minutes

Vingt ans après avoir quitté le Liban pour la France, afin de fuir les dérapages incontrôlés d’une guerre du Liban qui se muait en guerre des maronites, féroce et meurtrière, la narratrice se penche sur son passé de passionaria de la cause chrétienne, engagée dans les Forces Libanaises où elle a pu occuper différentes fonctions. Elle raconte la guerre, celle qu’elle a découvert en 1975 alors qu’elle n’avait que treize ans, puis celle à laquelle elle a choisi de participer, pour ne plus avoir à la subir.

C’est ainsi qu’après les tribulations de l’adolescente qui cherche avec sa famille à se mettre à l’abri en fuyant les zones de combats vers les refuges que pouvait encore offrir la montagne libanaise, on passe au militantisme de la jeune femme engagée corps et âme dans le combat des milices chrétiennes contre les Palestiniens, les musulmans libanais et les Syriens, armée de certitudes inébranlables, celles d’une cause juste, d’un combat vital pour la sauvegarde du groupe, de la communauté définie par les liens exclusifs de l’appartenance religieuse. Et l’on assiste, au fur et à mesure que le récit avance, à la déperdition progressive de ces certitudes. C’est la mort des amis, des compagnons de lutte tombés aux combats, qui devient le fossoyeur des constructions idéologiques. Dans l’esprit de la militante, la mort réussit même à assombrir la victoire suprême, l’élection de Béchir Gemayel, l’icône absolue, à la présidence de la République.

La disparition violente et prématurée du président élu le fait entrer dans la légende et plonge ses troupes dans un désarroi profond. Pour Regina Sneifer, c’est le temps de la quête d’un nouveau chef, un nouveau sauveur, qu’elle croit trouver en la personne de Samir Geagea, apôtre passionné d’un combat quasi mystique. Dans le cadre des luttes fratricides que se livrent les chrétiens, entre les partisans des Forces Libanaises et ceux du parti phalangiste, elle va choisir le camp de Geagea, le camp des durs qui veulent s’affranchir de la tutelle du parti, de la famille Gemayel et du nouveau président, Amine Gemayel. Mais quand, au sein même de ce groupe restreint, ses deux figures de proue, Samir Geagea et Elie Hobeika, s’affrontent de manière implacable, Regina Sneifer entre dans une dissidence intérieure, une révolte morale exacerbée à la vue de ces conflits stériles, mus par l’orgueil et l’appât du pouvoir. Les coups de force se succèdent, multipliant les victimes, des jeunes gens qui tombent dans des « guerres maronites ». Pour la milicienne qui a intégré le prédicat du combat contre l’ennemi étranger, ces morts sont superflues, intolérables, car dénuées de sens. L’échappée hors du monde de la guerre sera douloureuse. Regina Sneifer prend un chemin de purgatoire en décidant de se solidariser avec des jeunes gens chrétiens, qui croupissent dans des geôles chrétiennes, par la volonté de chefs chrétiens. Là, elle ouvrira les yeux sur des pratiques inavouables, et elle apprendra l’inanité de la guerre, de toutes les guerres.

Elle choisit alors l’exil volontaire à Paris afin, à l’âge de vingt-quatre ans, de tenter d’oublier pour réapprendre à vivre. Mais le sceptre de la guerre finit par la rattraper l’été 2006 au Liban où elle était venue fêter les dix-huit ans de son fils. Happée par le retour d’une violence qu’elle croyait révolue, décontenancée à la vue des déchaînements renouvelés des passions libanaises, elle se met à écrire. Elle écrit pour restituer la mémoire, indispensable catharsis salvatrice pour un peuple qui n’a rien compris, qui n’a rien appris ; un peuple qui, s’étant délesté du souvenir du passé, se condamne à reproduire les mêmes comportements destructeurs. En prenant la parole après deux décennies de silence, elle se réconcilie avec son passé et rend hommage aux « martyrs », ceux qui sont tombés pour une cause à laquelle elle ne croit plus. C’est par respect pour eux, pour la douleur qui a consumé leurs mères, qu’elle raconte sa guerre du Liban et livre un témoignage pour que les jeunes Libanais d’aujourd’hui qui, à l’instar de leurs aînés, sentent monter en eux des velléités guerrières, comprennent que la guerre est toujours la pire des solutions.

Regina SNEIFER, J’ai déposé les armes, Une femme dans la guerre du Liban, Préface de Joseph Maïla, Les Editions de l’Atelier, Coll. Témoins d’humanité, Paris, 2006, 204 p.

Publié le 17/03/2010


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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