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Politique intérieure et gouvernance du Liban : bilan de l’année 2014

Par Mathilde Rouxel
Publié le 13/01/2015 • modifié le 18/03/2019 • Durée de lecture : 8 minutes

LEBANON, Beirut : Lebanese parliament speaker Nabih Berri gestures as members of parliament gather to elect the new Lebanese president in the parliament building in downtown Beirut on April 23, 2014. Lebanon’s parliament failed to elect a new president, with no candidate securing the two-thirds of the vote needed to win and many lawmakers leaving their ballots blank.

AFP PHOTO/JOSEPH EID/POOL

Une volonté de stabilité mais un blocage des partis en présence

L’attentat perpétré en 2005 sur la personne du Premier ministre libanais Rafic Hariri et la question du retrait des troupes syriennes du territoire libanais ont provoqué une polarisation de la scène politique libanaise toujours manifeste aujourd’hui. D’un côté, les partis dits du « 8 mars » en raison des manifestations organisées le 8 mars 2005 en faveur de la présence syrienne, vue comme une protection face à Israël, regroupent notamment les chiites (Hezbollah), les laïcs panarabistes (PSNS) ainsi que les chrétiens partisans du Général Michel Aoun. De l’autre, ceux du « 14 mars », opposés au régime syrien et meneurs de la Révolution du Cèdre de 2006 qui a conduit au départ des Syriens et au retour de la souveraineté du Liban, réunit les sunnites du Courant du Futur, les Kataëb et les Forces Libanaises. Un pôle centriste, proche de l’ancien président Michel Sleimane, est soutenu pour sa part par le chef druze Walid Joumblatt. Depuis 2006, le pouvoir est néanmoins majoritairement en faveur des partis du 14 mars.

La crise syrienne a exacerbé la diversité d’opinions entre ces différents partis. Pour endiguer les émulations, toutes les formations politiques ont consenti à signer le 11 juin 2012 la Déclaration de Baadba, qui, à l’initiative du président Sleimane, appelle à l’attachement de tous les partis à la stabilité du pays et à son unité, liée à une « politique de dissociation » vis-à-vis de la crise syrienne et à un soutien à l’armée libanaise. Pourtant, il demeure difficile pour les partis en présence de trouver un accord, et chaque décision à prendre est victime de blocage, de la part des partis opposés. Ces différentes manifestations de la faiblesse de l’Etat libanais amène, selon André Sleiman, à la résurgence de la pensée fédéraliste au Liban. Les causes sont liées à l’échec de la gouvernance depuis le retrait des troupes syriennes en 2006, et aux impasses politiques qui en découle : vacances présidentielles en 2007 et en 2014, démission ou renversement des gouvernements, prorogations du mandat des parlementaires. Historiquement initiée par une partie des populations catholiques, cette pensée fédéraliste gagne aujourd’hui les musulmans eux-mêmes : « L’antagonisme croissant entre chiites et sunnites a même fait naître une tendance fédéraliste chez certains sunnites, dont ceux de la Jamaa’ islamiya, qui voient dans le fédéralisme le meilleur moyen d’appliquer la charia sur leur population et de se défendre contre les chiites [3] ». Les différences qui opposent le gouvernement sunnite au Hezbollah sont en effet l’une des causes principales des tensions qui minent le Liban actuellement.

Gouvernement, présidence, parlement : espoirs et déceptions

L’année 2014, malgré la série d’explosion qui s’est engagée dès le 2 janvier [4], débutait pleine d’espoir pour les Libanais [5]. Surmontant à l’issue de longues tergiversations les rivalités qui les opposent, les différents partis se sont entendus le 15 février 2014 sur la formation du cabinet Tammam Salam. Il s’agissait du premier cabinet de direction institué après plus de dix mois de blocage politique, consécutif à la chute en mars 2013 du gouvernement de Najib Mikati. Formé dans un contexte de violences intermittentes, l’option d’un gouvernement d’entente a prévalu, composé à parts égales de centristes, de partisans de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et de représentants du Hezbollah. Beaucoup de Libanais ont vu dans ce compromis local et régional, qui réunissait pour la première fois en trois ans les deux camps rivaux du Hezbollah et du Courant du Futur, un espoir de stabilité [6]. Cependant, l’attentat du 19 février 2014 a montré, tant au peuple qu’au cabinet consensuel formé quelques jours auparavant, que la mise en place d’une nouvelle équipe devait proposer une coordination plus efficace entre les différents services de sécurité pour obtenir la confiance du Parlement. Les parties présentes au cabinet se sont ainsi entendues le 15 mars sur une déclaration de politique générale ou « déclaration ministérielle » sur la base de laquelle le gouvernement a été investi par le Parlement le 20 mars [7]. Ce gouvernement ne devait théoriquement rester en place que jusqu’au 25 mai ; il fut reconduit, faute d’élection d’un nouveau président.

En effet, le 25 mai 2014 marque l’échéance du mandat de Michel Sleimane. La première séance plénière organisée le 23 avril par le chef du Parlement Nabih Berry, à l’occasion de laquelle Samir Geagea, pour le 14 mars, et Henri Helou, pour les centristes, se sont portés candidats, n’a pas débouché sur l’élection d’un nouveau président. Lors des tours suivants, s’il suffisait qu’un candidat obtienne la moitié plus un des votes pour accéder à la présidence, l’alliance du 8 mars, favorable à l’élection de Michel Aoun, a boycotté le scrutin en raison de l’absence d’un candidat consensuel, et a provoqué par là un défaut de quorum sur les séances organisées par la suite [8].

L’incertitude liée à l’échéance présidentielle s’articule par ailleurs à une paralysie parlementaire due au report des élections et à l’incapacité constitutionnelle à légiférer en l’absence d’un nouveau chef d’Etat. Alors que celles-ci devaient avoir lieu le 20 juin 2013, le Parlement libanais a décidé le 31 mai de la même année, dans un contexte de crise politique, de prolonger son mandat de dix-sept mois, soit jusqu’en novembre 2014. Il s’agissait alors de la première prolongation d’un mandat de l’Assemblée depuis 1992, date à laquelle le pays avait renoué avec les élections législatives [9]. Cependant, en raison de la situation du pays en 2014, une nouvelle extension commence à être discutée en novembre : bien que les conditions soient théoriquement réunies pour organiser des élections démocratiques, beaucoup craignent qu’un scrutin dans ce contexte sécuritaire ne provoque de graves dérapages et appuie la polarisation de la société. Deux partis chrétiens s’opposent pourtant fermement à l’autoprorogation du Parlement [10] en raison du fait qu’il bloque le pays dans l’état de paralysie actuel. Malgré l’absence des députés chrétiens du Courant Patriotique Libre de Michel Aoun et des Kataëb, les députés libanais ont voté à une large majorité la prorogation du mandat du Parlement, qui expire donc désormais en juin 2017. Selon la correspondante du journal Le Monde Laure Stephan, « en votant la prorogation mercredi, les parlementaires renouent avec les pratiques de la guerre civile, durant laquelle les députés de l’époque enchainaient de facto les législatures faute de pouvoir organiser des élections [11] ». Cette décision, jugée par le patriarche maronite Bechara Al Raï « illégitime et anticonstitutionnel [12] », a été contesté par une partie de la population, qui n’a pas hésité à descendre dans la rue pour faire entendre son désaccord. Cependant, comme le note Pierre Sawaya [13], les militants libanais, habitués à se battre pour les droits civils dans un pays régi par un système confessionnel, n’ont pas su mobiliser contre l’extension parlementaire, malgré les marques de désaccord visibles sur les réseaux sociaux.

Un pouvoir politique dans l’impasse ?

Devant les difficultés que connaît le pays à instaurer un régime politique stable se pose souvent la question de la démocratie. Bachir El-Khoury n’hésite pas, en revenant sur une chronologie historique de la situation politique, à parler de « démocratie en panne » :
« D’ailleurs, au-delà des considérations conjoncturelles, le vide présidentiel actuel –le troisième depuis 1988– illustre le recul, voire la panne, du processus démocratique au Liban, malmené essentiellement par des facteurs exogènes (guerre israélo-arabe, exode massif des Palestiniens, guerre civile, voisinage dictatorial, conflit syrien, etc.) mais aussi par des facteurs propres à la structure socio-confessionnelle (répartition sectaire du pouvoir, mentalité clanique, etc.). (…) Plus globalement, illustrant l’échec de l’expérience démocratique libanaise, toutes les échéances présidentielles depuis les années 1970 ont fait l’objet de « sélections » ou de consensus plutôt que d’élections, comme cela est le cas dans les démocraties occidentales. Outre l’absence du suffrage universel (le président est élu par un parlement représentatif de la mosaïque communautaire) aucune élection n’a, en effet, connu de concurrence entre au moins deux candidats depuis cette période [14]. »

Pourtant, aujourd’hui, le Liban est à nouveau en dialogue. Les journalistes libanais restent pessimistes : « l’année s’achève tristement, comme le prouve la réunion orpheline, sans président, des fonctionnaires du palais de Baabda [15] ». Le discours du Premier ministre Tammam Salam, qui n’a pas dérogé à la traditionnelle réception au Sérail organisée à l’occasion des fêtes de fin d’année, était cependant déterministe, appelant sans relâche à l’élection d’un nouveau chef d’Etat : « L’action institutionnelle dans notre système démocratique est entachée d’un sérieux déséquilibre qui n’est autre que la vacance au niveau de l’institution mère, à savoir la présidence de la République. Je ne rate aucune occasion pour renouveler mon appel à l’élection d’un chef de l’État. Cette revendication est une responsabilité que nous partageons tous, si nous voulons que notre pays se développe et prospère [16] ». Il s’agit là véritablement de répondre à une urgence. Depuis quelques semaines, un dialogue est sérieusement engagé entre le Hezbollah et le Courant du futur. S’il est difficile pour les partis en présence de discuter leurs positions, le dialogue reste salué par tous les leaders politiques [17].

Conclusion :

L’année 2014 a été pour les instances politiques libanaises une année mouvementée, malmenée par les nombreux attentats commis sur le territoire, alourdie par le problème syrien et la menace de l’Etat islamiste. En quête de stabilité interne, elle s’est néanmoins achevée sur l’espoir d’un dialogue entre deux partis ennemis, soutenus par des puissances étrangères opposées, bien qu’à ce jour, le pays du Cèdre échoue encore à élire un président de la République. Le défaut de quorum de la séance du 6 janvier semble renvoyer dans les cordes l’évolution attendue, mais il apparait néanmoins que les différents blocs parlementaires sont dorénavant conscients de l’importance et de l’urgence d’une union nationale face aux dangers qui les guettent dans la région : Reuters et l’agence de presse libanaise NNA ont rapporté vendredi 9 janvier l’appel du député des Forces Libanaises Samir Geagea à la reprise du dialogue et à la compromission [18].

Pour aller plus loin :
Quotidiens libanais francophones, anglophones ou proposant une gamme d’articles accessibles dans l’une de ces deux langues :
 L’Orient-Le Jour : http://www.lorientlejour.com (français)
 The Daily Star : http://www.dailystar.com.lb (anglais)
 An-Nahar : http://fr.annahar.com (version française)
 As-Safir : http://assafir.com/Channel/50/English/SubMenu (version anglaise)
 National News Agency du ministère de l’information du gouvernement libanais : http://www.nna-leb.gov.lb/fr

Sur les partis politiques en présence :
 « Les partis politiques libanais : une stratégie politique à finalité confessionnelle », http://www.mom.fr/guides/liban/liban005.htm
 Didier Leroy, Hezbollah, la résilience islamique au Liban, L’Harmattan, 2012.
 Samih Raad, « Une expérience politique islamique au Liban », Le Portique [En ligne], 5-2007 | Recherches, mis en ligne le 15 décembre 2007, consulté le 08 janvier 2015. URL : http://leportique.revues.org/1408

Sur la situation libanaise :
 Georges Corm, Le Liban contemporain, La Découverte, Paris, 2012.
 Eric Verdeil, Ghaleb Faour, Sébastien Velut, Atlas du Liban, Presses de l’IFPO, 2013.

Notes :

Publié le 13/01/2015


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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