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Le Hezbollah (3/4). Acteur politique libanais – le processus d’intégration politique du Hezbollah. A partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste

Par Félicité de Maupeou
Publié le 05/06/2013 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

LEBANON, Beirut : Lebanese Hezbollah supporters wave the movement’s yellow flags and hold up the Syrian flag decorated with an image of President Bashar al-Assad as they listen to a televised speech by Hezbollah chief Hassan Nasrallah to mark the sixth anniversary of the 2006 war with Israel in southern Beirut on July 18, 2012.

ANWAR AMRO / AFP

Comment un parti aussi marqué religieusement peut-il toucher des domaines et des communautés aussi larges et se poser en parti national ? Comment le Hezbollah s’est-il progressivement intégré au système politique libanais jusqu’à en devenir un acteur incontournable ?

A travers la lecture de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, nous tenterons d’étudier l’influence de l’intégration politique du Hezbollah sur la société et le monde politique libanais, et sur le « Parti de Dieu » lui-même. L’intégration politique du Hezbollah sera étudiée à l’échelle nationale dans une première partie, puis locale dans une seconde partie.

Le tournant de l’après-guerre : l’intégration au système politique national

1990- 2005, la fin de la guerre et la tutelle syrienne : une intégration politique encore timide

En 1988, la fin de la guerre Iran/Irak met un terme à la politique étrangère d’exportation de la révolution islamique de l’Iran qui se replie sur ses intérêts nationaux. Cette évolution encourage la portée nationale du Hezbollah qui s’ouvre alors aux composantes non-chiites de la société libanaise et commence à s’intégrer au système institutionnel en se constituant en parti politique. À partir de 1992, il participe aux élections législatives et municipales, c’est alors un parti d’opposition en quête de normalisation. Néanmoins, tant que la Syrie contrôle le Liban et assure le Hezbollah de son soutien, le « Parti de Dieu » ne s’investit pas particulièrement dans son intégration au système politique libanais et se focalise sur ses actions armées de guérilla contre Israël au sud, permises par la Syrie.

2005, le départ syrien : tournant et accélérateur de l’intégration politique du Hezbollah

Le départ syrien en 2005 est un tournant dans l’intégration politique du Hezbollah puisque celle-ci devient nécessaire à sa survie, notamment dans un contexte de renforcement de l’influence américaine au Liban et de promulgation de la résolution 1559 de l’ONU appelant à son désarmement [1]. Pour protéger la résistance, le Hezbollah se doit alors de rentrer pleinement dans le système politique libanais et notamment au gouvernement. La défense des déshérités et de leurs intérêts ne passe plus par une révolution islamique mais par une réforme graduelle du système politique.

La chute de Saad Hariri en janvier 2011 voit l’arrivée d’une nouvelle majorité dominée par le Hezbollah qui marque l’aboutissement de l’intégration du « Parti de Dieu » dans la politique libanaise. Le Hezbollah a marginalisé son rival Amal et se positionne comme le principal représentant des chiites. En outre, son alliance électorale avec le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun lui permet de briser son isolement communautaire et son image de parti inféodé à l’Iran [2].

Projet et pensée politiques du Hezbollah

Un parti d’opposition

En 1992, au terme des élections auxquelles le Hezbollah participe pour la première fois, Rafic Hariri arrive au pouvoir. Il est en opposition avec les orientations politiques et économiques du Hezbollah. Il incarne une volonté de stabilisation et de pacification en redonnant au Liban son rôle de pôle économique du Moyen-Orient, avec le soutien de la Syrie et des Etats-Unis. Pour le Hezbollah, cette politique manque d’un aspect social nécessaire après la guerre - en 1990, 28% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, selon un rapport de l’ONU - ainsi que d’un projet de réforme des institutions. Le Hezbollah se place donc dans l’opposition en défendant une réforme du système politique mettant fin au communautarisme politique, et une action sociale plus forte.

Enjeux politiques de l’institutionnalisation du Hezbollah pour le parti et pour la société libanaise

En adoptant cette posture d’opposant, le Hezbollah se trouve confronté à un dilemme : il participe à un système qu’il veut réformer et se résout à entrer dans la République engendrée par l’Accord de Taëf, que le parti avait sévèrement rejeté. Mais la participation institutionnelle du Hezbollah à la vie politique du Liban a l’avantage de lui donner une tribune politique, un réseau de relations, un moyen de faire connaître le mouvement, et d’obtenir une reconnaissance populaire de sa représentativité. Un consensus national s’établit ainsi progressivement autour de la résistance et de sa complémentarité avec l’Etat. Réciproquement, l’intégration politique du Hezbollah modifie son idéologie : en participant aux élections de 1992, il abandonne l’idée d’instaurer un Etat islamique dans un Etat multicommunautaire tel que le Liban. La même année, Hassan Nasrallah prend les rênes du parti qui va de plus en plus s’insérer dans le terreau libanais sous son impulsion. Georges Corm parle d’une « libanité » de plus en plus marquée du Hezbollah.

Intégré au système politique libanais, le Hezbollah se concentre sur son territoire identitaire : le Sud et la région de la Béqaa à l’Ouest, et sur son programme de développement social et économique. Il acquiert une « dimension holiste » [3] autour d’un effort de guerre permanent englobant toutes les sphères de la société créée autour du parti. Le Hezbollah a pour objectif de bâtir des institutions « fortes, solides et durables » pour perpétuer « l’éthique khomeyniste et l’esprit du jihadisme » [4]. La cohérence des actions du Hezbollah autour d’une doctrine pragmatique tranche avec l’inconstance idéologique de la majorité des autres partis politiques libanais et renforce sa popularité.

Un mouvement politique national comme les autres ?

Si il s’intègre progressivement au système institutionnel et développe une doctrine politique, le Hezbollah se constitue-t-il réellement en acteur politique national strictement libanais ? Georges Corm insiste sur la « libanité » du Hezbollah, mais certains le perçoivent davantage comme un acteur stratégique et idéologique non-réductible à une communauté ou un pays. Amal Saad Ghorayeb évoque ainsi l’idée de récupérer Jérusalem, centrale dans son idéologie ou son intérêt pour des causes qui dépassent le Liban seul, comme l’injustice subie par la région en raison de l’hégémonie des Etats-Unis et d’Israël [5]. Le Hezbollah serait donc intrinsèquement non-réductible à une échelle nationale, en dépit de ses efforts pour affirmer sa « libanité ».

En outre, y-a-t-il dans l’intégration politique du Hezbollah un remplacement, voire un renoncement, à la résistance armée ? Pour Amal Saad Ghorayeb, l’intégration politique du Hezbollah est au contraire un moyen de protéger la résistance. Le Hezbollah ne pourra jamais se contenter d’un rôle uniquement politique, la résistance armée étant sa raison d’être. Le Hezbollah n’est pas un parti avec une branche militaire, mais bien un mouvement de résistance avec une aile politique [6].
La spécificité politique du Hezbollah est également visible à l’échelle locale de l’exercice du pouvoir municipal, organisé autour de la « société de la résistance ».

Acteur politique local au service de la « société de la résistance »

La société de la résistance

La « société de la résistance » est une grande entreprise dédiée à la résistance face à Israël autour d’actions sanitaire, éducative, informative, sociale. Elle a pour objectif de permettre à la population civile de supporter le coût humain et matériel des attaques d’Israël et d’élargir la base sociale de la résistance islamique. Dans Hizbullah’s Pulse, Fawaz Gergès parle d’une stratégie pour « mobiliser la communauté chiite et l’inciter à s’engager dans un djihad prolongé et coûteux ». La « société de la résistance » se construit autour d’un réseau d’institutions et de municipalités tenues par le Hezbollah.

L’inscription politique municipale du Hezbollah [7]

Le Hezbollah est rarement considéré comme étant le parti d’élus locaux de plus de 120 localités libanaises. Mona Harb montre comment l’exercice du pouvoir local renforce les ressources du Hezbollah. Elle s’interroge sur la manière dont le Hezbollah exerce le pouvoir à l’échelle municipale, et sur l’expression de l’islamisme municipal, si il existe, sur le terrain. Les municipalités disposent au Liban d’une importante marge de manœuvre en matière de développement local et constituent donc un espace de pouvoir séduisant pour les partis politiques. En outre, pour le Hezbollah, il est « naturel » de vouloir investir le pouvoir municipal qui lui permet de remplir sa mission de service et d’altruisme, prescrite par Dieu et systématiquement citée dans les discours de Hassan Nasrallah. Les objectifs des mandats sont fixés par le parti selon deux axes principaux : le renforcement institutionnel des municipalités et la consolidation de la société de la résistance. Le parti insiste également sur la nécessaire intégrité des élus dont il contrôle les finances et évalue le travail. Le professionnalisme et le souci d’efficacité des maires Hezbollah sont reconnus au niveau national par les ministères et par le Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR), mais également au niveau international, par les bailleurs de fonds.

Y-a-t-il une spécificité islamique des municipalités du Hezbollah [8] ?

L’islamisme municipal, quand il existe, se décline dans les discours de légitimation, en amont du travail municipal, et non dans les pratiques gestionnaires des municipalités du Hezbollah. D’un autre côté, les maires du Hezbollah affichent clairement leur volonté de mener leur action municipale sous le sceau de la résistance. L’usage de la rhétorique islamique varie selon les municipalités. La référence à l’Islam peut être un moyen de garantir au travail municipal la confiance des habitants et l’absence de corruption. Elle est aussi un moyen de participer à la société de la résistance et de donner au travail municipal une dimension sacrée d’aide au prochain. La pensée islamique permet d’enclencher une dynamique de développement mais les actions de développement menées par les municipalités Hezbollah n’ont rien d’islamistes : elles sont déterminées par des logiques néo-libérales, avec une approche moderniste et réformatrice, selon Mona Harb.

La spécificité du travail municipal du Hezbollah réside également dans la proximité sociale et l’approche participative qu’il promeut. Les bailleurs de fonds internationaux reconnaissent en outre sa valeur gestionnaire et développent beaucoup de programmes de développement dans les municipalités tenues par le « Parti de Dieu ».

La scène municipale renforce le Hezbollah dans son emprise territoriale et son pouvoir local, mais également dans sa légitimité nationale. Elle lui offre également la possibilité d’élargir et de diversifier son champ d’action, tout en l’introduisant dans de nouveaux domaines de professionnalisation, notamment au contact de partenaires régionaux et internationaux.

Conclusion

Créé dans le sillage de la révolution islamique iranienne, le Hezbollah est aujourd’hui un des principaux partis politiques libanais tout en restant une force de résistance armée majeure à Israël. En dépit de ses nombreuses mutations, le mouvement se structure toujours autour de sa première priorité : la lutte contre l’occupation. Cette constance révèle la centralité de la question nationale dans les discours et pratiques du Hezbollah. La progressive accentuation de la dimension nationale et de la « libanité » du « Parti de Dieu » a peu à peu relégué la dimension religieuse au rang de source d’inspiration. Au contraire des autres partis islamiques, il prend en compte le caractère multi-confessionnel du Liban et admet l’impossibilité de l’édification d’un Etat islamique. Il a en commun avec le Fatah cet accent sur le nationalisme. L’ascension de ces deux partis, tandis que les autres mouvements islamiques ont décliné, montre la dynamique de la synthèse entre nationalisme et islamisme, notamment dans un pays occupé militairement. La nationalisation des mouvements islamistes est une tendance lourde du monde arabo-musulman. Elle va de pair avec une renonciation de l’exigence du monopole de la représentation du religieux dans le politique, remplacée par l’acceptation d’un espace politique autonome par rapport au religieux. Le Hezbollah suit cette évolution, dans un contexte où les mouvements islamo-nationalistes tendent à être les seuls à incarner une certaine légitimité auprès de la population dans des régions où les élites dominantes ne jouissent pas ou plus d’une telle légitimité. Les mouvements islamo-nationalistes tels que le Hezbollah répondraient donc à la crise de légitimité politique des pays du Moyen-Orient, en proposant des dirigeants a priori imperméables à la corruption et à la langue de bois.

L’idée d’une nationalisation du Hezbollah exposée par Walid Charara et Frédéric Domont dans Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, est cependant mise à mal depuis son intervention dans la crise syrienne et sa participation aux combats au côté des forces de Bachar el-Assad, notamment ces derniers jours à Qousseir. On lui reproche en effet de s’éloigner des enjeux nationaux en s’engageant dans un conflit régionalisé et de menacer la stabilité du Liban. Hassan Nasrallah justifie l’engagement du Hezbollah en Syrie par la défense des habitants libanais des villages syriens autour de Qousseir, menacés par les rebelles syriens, et par la défense des lieux saints chiites de Syrie. Il explique également cette intervention du Hezbollah par la menace que représente la révolution syrienne pour l’axe Iran-Syrie-Hezbollah. En dépit de la rhétorique nationaliste de Hassan Nasrallah, l’intervention du Hezbollah en Syrie étaye la thèse, notamment défendue par Amal Saad Ghorayeb, selon laquelle le « Parti de Dieu » n’est pas réductible à un parti national mais ambitionne de tenir un rôle politique et idéologique régional. L’importance de son action publique au Liban est cependant indéniable. Elle fonde sa légitimité au niveau national et explique son rôle prépondérant sur la scène politique libanaise.

Lire également :
 Le Hezbollah (4/4). Acteur public et social incontournable, promu par une stratégie de communication efficace – « la société de la résistance »
 Le Hezbollah (2/4) – un mouvement politique armé. A partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste
 Le Hezbollah (1/4) - Origines et fondements du « Parti du Dieu », à partir de l’ouvrage de Walid Charara et Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste

Bibliographie :
 Walid Charara et Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2007.
 Mona Harb, « La gestion du local par les maires du Hezbollah au Liban », 2009.
 Entretien avec Amal Saad Ghorayeb « Le Hezbollah : résistance, idéologie et politique », Paris, Confluences Méditerranée, 2007.
 Dominique Avon, Anaïs-Trissa Khatchadourian, Le Hezbollah. De la doctrine à l’action : une histoire du « parti de Dieu », Paris, Seuil, 2010.
 Fabrice Balanche, « Mona Harb, Le Hezbollah à Beyrouth (1985 – 2005) », Géocarrefour, 2012.

Publié le 05/06/2013


Félicité de Maupeou est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, après une formation en classes préparatoires littéraires. Elle vit actuellement à Beyrouth où elle réalise un stage dans l’urbanisme.


 


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