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Par Anaïs Mit
Publié le 11/09/2015 • modifié le 15/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Overall view of Cairo (Egypt) Photograph by J.P. Sebah 1870-1880 Print (21,1 x 27,1 cm) Private collection

Photos12.com - Photosvintages- AFP

Un mélange d’influences

Mayy Ziyadah naît à al-Nasirah (Nazareth) en 1886 d’une mère palestinienne orthodoxe et d’un père libanais maronite, Ilyas Zakhkhur Ziyadah. Ce dernier est venu de Shahtul au Liban, pour enseigner à Nazareth. Il y rencontre son épouse, Nuzhah Mu’ammar, une femme éduquée. Mary (connue sous le nom de Mayy) Ziyadah est leur fille unique. Scolarisée dans un couvent de filles à Nazareth, elle poursuit à l’âge de 14 ans ses études secondaires dans un couvent à Aintoura, au Liban, où elle suivra un enseignement exclusivement en français, d’où son exposition très jeune à la littérature française qui inspireront ses œuvres et ses actions. Cette influence des auteurs romantiques à l’image de Lamartine se reflète dans son premier recueil de poèmes écrit en français, Fleurs du rêve, qu’elle publie en 1909 sous un pseudonyme, Isis Koubia (Isis étant considérée comme la divinité égyptienne la plus proche de Marie – le prénom réel de Mayy – et Koubia est la traduction latine de Zaiyadah). Le succès immédiat de cet ouvrage et le mystère qui entourent l’auteur vont propulser Mayy dans les cercles littéraires et journalistiques égyptiens.
En 1908, Mayy Ziyadah arrive avec sa famille en Egypte, et devient alors journaliste. Elle commence à écrire sur la condition féminine pour le journal et la maison d’édition féminins al-Mahrûsa (La Protégée) détenus par son père, ce qui tend à asseoir sa réputation en tant que figure du féminisme arabe. Pour améliorer son apprentissage de l’arabe, l’éditeur égyptien Ahmad Lutfi al-Sayyid lui conseille de lire le Coran, ce qui l’encourage à poursuivre son éducation à l’Université égyptienne en littérature et philosophie islamique. Chrétienne libanaise, cet apprentissage apparaît pour elle nécessaire pour comprendre et s’insérer dans un féminisme égyptien lié au nationalisme et à majorité musulman. Elle tire de cette expérience dans les cercles féministes musulmans un enseignement particulier, qui la guidera dans toutes ses actions : l’usage de la culture comme arme pour promouvoir les idées.

Le féminisme de salon

En 1911, Mayy Ziyadah tient tous les mercredis un salon dans la maison de ses parents. Elle devient alors al-ânissa Mayy (Mademoiselle Mayy). Puisant son inspiration dans les salons français de l’époque des Lumières, elle tient cet espace comme un lieu de débat, de discussion et d’activisme politique. Mais son salon constitue un cas à part dans l’effervescence intellectuelle du début du siècle car il est le premier à avoir une audience mixte, faite d’hommes et de femmes lettrés. Ainsi, poètes, journalistes, écrivains, femmes comme hommes, célèbres ou moins célèbres, se rencontrent. Son goût pour les lettres et sa passion pour les questions de société se trouvent mêlés dans cet espace restreint mais propice à l’ouverture d’esprit. Enfreignant les règles de la bienséance d’alors, Mayy participe à l’émancipation de la femme dans l’espace privé pour faire entendre sa voix, même en présence d’hommes. Et de fait, son salon, par le droit de parole qu’il accordait aux femmes, a permis à ces dernières de jouer un rôle social, et il n’était pas rare que certains hommes politiques demandent conseil à ces salonnières.
Le salon de Mayy ne doit pourtant pas seulement être vu comme le résultat des aspirations d’une élite de plus en plus demandeuse d’une discussion en face à face, mais également comme une riche contribution au mouvement littéraire, culturel, religieux et politique qu’a été la Nahda, la Renaissance arabe. Cette mouvance a pu être appréciée comme un âge romantique qui a su étroitement mêler culture et politique et participer à des mouvements d’émancipation : de la pensée et du langage qui l’exprime, des sujets accédant à la dignité de citoyens, mais aussi des femmes. Suivant les deux principes de ce mouvement, le principe de la raison et la participation au pouvoir, Mayy fait de son salon un espace démocratique et d’échange, où les débats publics se basent sur le respect mutuel et la liberté de parole.

Porter le féminisme sur la place publique

Dans sa vie comme dans son œuvre, Mayy Ziyadah s’est battue pour libérer la femme orientale de l’ignorance. Sa place dans les milieux intellectuels lui permet de porter les revendications féministes hors de la sphère privée et du confinement social des salons. Elle participe ainsi aux débats publics, comme celui du 23 avril 1914 au Club oriental du Caire, où elle prend à partie l’auditoire, en grande majorité masculin, clamant que la femme se doit, par la culture, de s’émanciper. Se basant sur les écrits d’auteurs français comme Victor Hugo pour qui le XXe siècle sera celui de la femme, elle proclame : « La citoyenneté de demain n’est pas le seul fait des hommes, mais des humains, où la femme va prendre sa juste place, auprès des hommes ». En effet, elle insistera avant tout sur la nécessité de l’instruction des femmes qui leur permettra d’être ouvertes d’esprit, et moins soumises aux conventions et superstitions qui étaient encore très répandues alors. Elle voulait réformer les programmes scolaires, ainsi que les lois qui considéraient que l’enseignement trop poussé pour les femmes risquait d’avoir des conséquences sur leur féminité et leur fertilité. Elle publie alors un article en février 1926 dans le journal El-Mouktafet, qui trouvera son public dans les milieux intellectuels : « Comment je voudrais que l’homme soit ». Remettant en question les idées reçues, elle s’oppose au modèle de l’homme contrôlant la vie de sa femme et prône un autre modèle de couple, basé sur une égalité de conditions entre le mari et la femme. En 1921 au Caire, lors de sa conférence intitulée « Le but de la vie », elle appelle les femmes à une aspiration vers la liberté, à une ouverture à l’Occident, sans oublier pour autant leur identité orientale. Dans une Egypte sous protectorat britannique, c’est bien ce brassage des cultures, ce renouveau de liens Occident-Orient, que Mayy Ziyadah portait comme point d’encre de son combat. Ce dualisme, cette ambivalence entre une pensée aspirant à la liberté et une autre ancrée dans les traditions, a incarné un point de rencontre pour toutes les écrivaines arabes de la première moitié du XXe siècle, portant le féminisme comme réconciliateur de cultures.

Internée dans un hôpital psychiatrique en 1931 pour « expression de revendications féministes », elle en sortit pour mourir chez elle au Caire le 17 octobre 1941. La reconnaissance accordée à Mayy après son décès fut fulgurante, les témoignages affluent d’Egypte, du Liban, de Syrie, mais aussi d’intellectuels européens et américains. Et cette notoriété a dépassé son époque puisque, célébrant 1999 sous le signe de « Beyrouth, capitale culturelle du monde arabe », le ministre libanais de la Culture Mohammad Youssef Beydoun l’a choisie comme emblème. Reconnue comme femme éclairée et femme publique, Mayy Ziyadah a, par ses écrits, ses discours et ses actes, contribué à l’essor d’un féminisme sorti des carcans occidentaux.

Bibliographie :
 KHALDI Boutheina, Egypt Awakening in the Early Twentieth Century : Mayy Ziyadah’s Intellectual Circles, Palgrave Macmillan, collection Middle East Today, 2012.
 DAKHLI Leyla, « Beyrouth-Damas, 1928 : voile et dévoilement », Le mouvement social, avril-mai-juin 2010.
 DUPONT Anne-Laure, « Nahda, la renaissance arabe », Manière de voir, n°106, août 2009, pp.28-30.

Publié le 11/09/2015


Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.


 


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