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Les transports en commun d’Alger : une efficacité limitée ?

Par Olivier de Trogoff
Publié le 16/09/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

Algeria, Alger, view on the port at dusk from El-Aurassi hotel built in 1975.

HEMIS.FR / MAISANT LUDOVIC / AFP

Si la nouvelle ligne permet aux voyageurs d’éviter les transports en commun traditionnels surchargés et près de deux heures d’embouteillages, une seule embarcation de 300 places a été achetée par la ville. La capacité de transport est faible et semble relayer la navette à un emploi touristique plutôt qu’à un moyen de transport efficace.

Cette dernière initiative fait partie des nombreuses tentatives mises en place ces dernières années pour améliorer la situation des transports urbains dans la région algéroise, et la doter d’un réseau efficace de transports en commun. Pourtant, les difficultés de circulation subies par les usagers algérois ne semblent pas près de disparaître. L’installation des nouvelles lignes de métro, tramway ou RER est-elle vraiment efficace à Alger ?

Une disposition géographique contraignante créant une répartition urbaine atypique

La ville d’Alger fait face des contraintes géographiques, qui forcent à penser les transports urbains de façon inédite et complexe. La ville originelle est encadrée, à l’est par la mer méditerranée, au sud par la plaine fertile de la Mitidja et à l’ouest par des collines appelées « contreforts du sahel ». Ces collines s’élèvent pour former le massif de la Bouzareah, dominant la mer à près de 400 mètres d’altitude au nord-ouest de la ville. Les pentes escarpées ne laissent qu’une étroite bande littorale qui est devenue le centre-ville. L’extension de la ville n’a donc pu se faire que dans deux directions. A flanc de colline d’abord, puis vers la plaine fertile septentrionale dans un deuxième temps. Dynamisée par une démographie galopante, la ville se développe très rapidement. Peu de règles encadrent les nouvelles constructions qui s’organisent au gré des intérêts particuliers. Les rues sont donc étroites, sinueuses et inadaptées à la circulation automobile, particulièrement dans les quartiers situés sur les pentes. La circulation automobile en est considérablement ralentie. Les quelques voies traversant le centre-ville sont quant à elles, très rapidement paralysées par la circulation.

Le problème s’est aggravé au fil des années, le centre regroupant la plupart des activités non industrielles de la ville mais aussi du pays, tandis que la périphérie reste uniquement résidentielle et relativement délaissée. L’ensemble des flux de voyageurs et de marchandises convergent donc vers le centre en passant par le sud de la ville, les rues principales sont alors inévitablement très encombrées.

Cette situation existe depuis les débuts de la ville européenne du XIXème siècle et demeure plus que jamais d’actualité. Les responsables politiques ont continuellement cherché à améliorer la circulation d’Alger en développant les transports en commun.

Des projets vieux de 70 ans

Le premier plan de réorganisation des transports est en effet lancé dès 1928. A l’époque, trois compagnies privées de tramway exploitent chacune une ligne et se font concurrence. Mais ces lignes de surface gênent la circulation automobile et sont très lentes, elles seront remplacées par des trolleybus à partir de 1935. Le plan prévoit déjà la création d’une ligne de métro souterrain traversant la ville dans son axe est-ouest ainsi qu’une série de lignes de funiculaires desservant les collines et reliées à la ligne principale. Les divergences entre communes limitrophes ainsi que la crise économique des années 1930 ne permettront finalement pas au projet de voir le jour. Une ligne de déviation souterraine des lignes de tramway est alors proposée, sans succès là encore.

Il faut attendre 1950 et la mise en place de véritables politiques d’urbanisme à Alger pour que les transports en commun redeviennent une priorité politique. La RATP est chargée par la mairie d’Alger de reprendre les études à partir de 1953, et présente son plan de réorganisation des transports de la région algéroise en 1955. Les compagnies de transport fusionnent pour former la Régie syndicale des Transports Algérois (RSTA). Le projet acquiert alors une véritable dimension régionale et se tourne vers l’arrière-pays afin de désengorger le centre surchargé et de dynamiser les banlieues résidentielles. Si le projet de métro renaît de ses cendres, il doit alors faire face à la concurrence du monorail suspendu. Le monorail suspendu est une rame aérienne accrochée à un rail qui est mise au point à partir de 1956 en France. Les Algérois ambitieux rêvent d’installer à Alger ce futur symbole de modernité de « la capitale de l’Afrique du nord ». Mais la RATP s’y oppose fermement et écarte cette option de son étude, au motif que le système est peu rentable, relativement coûteux, et bien moins efficace que le métro.

La naissance des transports en commun d’Alger

L’indépendance de 1962 met un terme au projet et le développement anarchique de la ville se poursuit jusque dans les années 1980. A cette époque, un plan d’urbanisme de grande ampleur est enfin mis en place et la municipalité envisage de nouvelles politiques d’expansion. L’idée est de freiner le développement urbain dans les plaines fertiles pour sauvegarder l’agriculture dans la région. En contrepartie, il est prévu de se tourner vers les reliefs de l’ouest, bien que les constructions y soient plus complexes et coûteuses.

Ce changement de politique urbaine va avoir des conséquences sur l’organisation des transports et donc sur le tracé des futures lignes de métro et de tramway. Les besoins sont en effet énormes à Alger, la circulation automobile est ralentie en permanence et les embouteillages quotidiens. Alger souffre d’un envahissement quotidien de son centre par des voitures bien trop nombreuses pour les capacités de la voirie. La voiture reste en effet le transport privilégié des Algérois. Il faut dire que grâce aux énormes ressources pétrolières du pays, le prix de l’essence est extrêmement faible. Le coût du transport automobile est en conséquence presque équivalent à celui des transports en commun. L’achat d’automobiles est de plus encouragé par le gouvernement depuis la libéralisation de l’importation individuelle en 1981. A cette époque, le réseau peut accueillir 40 000 véhicules, or il en circule plus de 300 000, soit huit fois plus.

Quant aux transports en commun, ils sont encore en majorité assurés par autobus. La plupart des terminus sont situés dans le centre. Bloqué par la circulation automobile, le service de bus est donc très ralenti, irrégulier et sur fréquenté par les usagers. Face à ces insuffisances, l’Entreprise de transport urbain et suburbain d’Alger (ETUSA) est créée en remplacement de l’ancienne RSTA, datant de 1959. Le secteur connait alors une privatisation massive dans les années 1990. La domination du secteur privé dans les transports en commun permet d’augmenter légèrement l’offre de transports mais empêche toute amélioration globale et concertée de la situation. En effet, l’augmentation du nombre de véhicules en service a un effet très limité en raison de l’insuffisance de la voirie algéroise. Il devient donc inévitable de construire une ligne de transport à grande vitesse sur plateforme indépendante.

Dans les années 1980, de nombreux projets de modernisation, de diversification et d’extension des réseaux de transport en commun sont lancés. Dans un premier temps, trois lignes de téléphérique sont ouvertes en 1984, 1986 et 1987. Elles desservent respectivement Notre Dame d’Afrique, le mémorial du martyr et le palais de la culture, qui sont les principaux lieux touristiques d’Alger indépendante. Afin d’améliorer la circulation dans le centre, d’en faciliter l’accès et de dynamiser les banlieues, des projets de grande ampleur financés par la rente pétrolière voient aussi le jour. En 1982, la construction du métropolitain débute, elle va durer presque trente ans. Les travaux sont en effet ralentis et plusieurs fois interrompus. La situation sécuritaire durant la décennie 1990, le manque de financements dû aux crises pétrolières, des erreurs de réalisation ou encore un long litige juridique opposant l’entreprise française VINCI à l’Entreprise du Métro d’Alger (EMA) vont à chaque fois repousser la réalisation des travaux du métro. Il est finalement inauguré en grande pompe par le président Abdelaziz Bouteflika, en 2011. La ligne en fonctionnement est aujourd’hui en cours d’extension. Trois phases sont ainsi prévues. L’EMA prévoit d’exploiter à l’horizon 2025, un réseau souterrain de 54 km comprenant 50 stations. La ligne actuelle traverse le centre-ville en desservant la place des martyrs, la Grande Poste et la place du 1er mai et se prolonge vers le sud. Elle reprend ainsi le même tracé que ceux de 1929, 1934 et 1955. Le centre a en effet peu évolué depuis l’indépendance, le tracé des rues et les points d’affluence sont restés identiques. Toutes les lignes de métro empruntent un tracé similaire imposé tant par le relief contraignant que par les besoins des usagers. Cependant, à l’extérieur de la ville, les tracés divergent en fonction des besoins et des politiques menées en matière d’urbanisme et de transport. Les extensions en projet desservent les banlieues sud d’Alger mais aussi le nord-ouest, conformément aux nouvelles orientations d’urbanisme.

En complément de ce vaste réseau, deux lignes de RER ont été construites en 2009 par le français ALSTOM. Deux ans plus tard, le tramway, disparu depuis 1959, fait son grand retour dans la ville blanche Ces projets ont pour but de relier le centre-ville aux banlieues éloignées. Le tramway suit la côte de la baie d’Alger vers l’est, faisant renaître ainsi l’ancienne ligne de l’époque coloniale.

Un manque de coordination entre les réseaux

Comment se fait-il alors que les problèmes de circulation ne semblent pas s’améliorer dans la capitale algérienne ? Tout d’abord les problèmes existants subsistent et s’aggravent. Il en est ainsi de l’état des chaussées, de la démesure du parc automobile, et de la défaillance du réseau de bus.

De plus, la création des nouvelles lignes n’est pas coordonnée. Ainsi, seule la station « fusillés » de la ligne de métro est connectée aux réseaux de tramway et de bus. Ce manque de connexions entre les différents moyens de transport provoque de lourdes ruptures de charge : les correspondances entre métro, tramway et bus sont longues et allongent largement le temps de trajet des usagers. Ce défaut d’intermodalité des transports est accentué par le fait que les titres de transport ne sont pas les mêmes pour tous les réseaux. Le prix d’un trajet intermodal est donc démultiplié. D’autant plus que le coût excessif du ticket de métro a été très critiqué dans l’opinion publique algéroise. D’autre part, le transport privé demeure hors de contrôle des pouvoirs publics, il concurrence le transport public et se développe anarchiquement.

La première cause de ces disfonctionnements est due à la concurrence que se livrent l’ETUSA qui gère le réseau de bus et l’Entreprise du Métro d’Alger (EMA) qui a conçu le métro et le tramway algérois. Cette concurrence freine la coopération indispensable à la création d’un grand réseau unique de transports en commun. La willaya d’Alger (la mairie) a aussi sa part de responsabilité, notamment en ce qui concerne l’absence d’un plan directeur des transports cohérent et le contrôle quasi inexistant des transports privés.

Dans ces conditions, la création et l’extension des réseaux de tramway, métro, bus, RER et même des navettes maritimes est toujours une bonne chose car elle augmente l’offre de transports en commun pour des usagers excédés par les difficultés à circuler dans l’agglomération algéroise. Il faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir faire un constat objectif de l’efficacité de la construction de ces nouvelles lignes et de leurs extensions à venir. Cependant chaque réseau, dès sa conception, doit pouvoir fonctionner en interaction avec les autres afin de couvrir de la façon la plus efficace possible Alger et sa région. L’intermodalité des transports est le seul moyen de parvenir à une réelle efficacité des nouvelles lignes construites à grand frais ces dernières années.

Les problèmes de circulation d’Alger ne seront donc durablement résolus que lorsque chaque nouveau projet pourra s’inscrire dans le cadre d’une politique de transports unifiée, cohérente et durable.

Bibliographie :
 Arrivetz Jean, « Les transports d’Alger », Algerroi.fr, consulté le 3 août 2014.
 Hakimi Zohra, « Du plan communal au plan régional de la ville d’Alger (1931-1948) », Labyrinthe (en ligne), 10 juin 2007, no 13, coll. « Actualité de la recherche (n°13) », consulté le 4 août 2014.
 Harouche Kamel, Les transports urbains dans l’agglomération d’Alger, Paris, L’Harmattan, 1987, 233 p.
 Le Bec Christophe, « Algérie ? : un métro nommé Djazaïr », jeuneafrique.com, consulté le 20 août 2014.

Publié le 16/09/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


 


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