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Les sites culturels d’Al Ain rejoignent la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco

Par Adrien Berthelot
Publié le 12/10/2011 • modifié le 24/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Tombe circulaire 1059, parc archéologique de Hili.

A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU

Après huit années de préparation, la ville d’Al Ain (émirat d’Abou Dabi) a réussi à rejoindre en juin 2011 la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Cette admission se base sur la qualité et l’originalité de ses sites culturels, géologiques et archéologiques, qui sont les premiers de la fédération à y être admis. Véritable reconnaissance, cette nomination permettra au grand public d’avoir un autre regard sur la ville, et plus largement sur l’ensemble de la fédération, qui souffrent encore trop souvent, dans l’imaginaire collectif, du cliché caricatural d’un pays artificiel et sans passé.

Deuxième ville de l’émirat d’Abou Dhabi et quatrième de la fédération (voir la fiche pays Emirats arabes unis) par sa population, Al Ain contraste avec les autres cités émiraties. Plus traditionnelle, elle a refusé l’urbanisme quasi anarchique qui caractérise Dubaï et dans une moindre mesure Abou Dhabi. Celui-ci y est au contraire très strict, la hauteur des bâtiments étant réglementée à vingt mètres ou quatre étages. La ville moderne a rattaché les oasis anciennes les unes aux autres et s’est bâtie au cours des années 1960 et 1970 sur un plan hippodamien, où les immeubles et souks du centre confèrent un charme rétro et authentique à l’ensemble.

Sa situation géographique, à la frontière avec l’Oman, la distingue tout autant. Elle ne fait pas face à la mer, comme toutes les autres grandes villes du pays, mais résiste aux déserts de sable et roche qui l’entourent. Son nom, signifiant littéralement « la source », résume et explique son histoire comme sa morphologie actuelle. Les nombreuses oasis qui la parsèment et la couvrent toujours lui donnent un air particulier et surtout lui valent son surnom de « ville jardin » du Golfe. En effet, vue de loin ou d’avion, elle apparait encore comme une véritable oasis de verdure en plein désert.

Occupés de manière constante depuis plus de 4000 ans, ses environs comptent un nombre important de sites qui reflètent la diversité des cultures qui se sont succédées dans ces lieux propices. Tous situés dans un paysage qui a conservé un haut degré d’authenticité, ils sont, par leur architecture, leur technologie et leur insertion dans le paysage, les témoins de cultures uniques dont les valeurs à la fois originales et universelles sont aujourd’hui officiellement reconnues.

L’âge du Bronze ancien et les vestiges Hafit

Vestiges de cairns hafit sur les crêtes montagneuses. A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU
Vestiges de cairns hafit sur les crêtes montagneuses. A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU

Les témoignages les plus anciens de cette série sont les vestiges de la culture Hafit, qui se matérialisent essentiellement par une architecture funéraire très spécifique. Datées de la fin du IVe millénaire, les tombes Hafit sont des sépultures à inhumations collectives, comptant encore un nombre relativement restreint d’individus, généralement autour de cinq. Cette culture tire son nom du Jebel Hafit, point culminant des Emirats avec une altitude de 1249 mètres, qui domine toute la ville d’Al Ain, et qui compte sur ses flancs une remarquable concentration de plusieurs centaines de tombes de ce type.

Montées en pierre sèche, elles forment de petits cairns. La population de la culture Hafit séparant bien le monde des morts de celui des vivants, les sépultures étaient éloignées des espaces de vie des oasis. Les tombes sont regroupées sur les crêtes d’arcs montagneux qui encadrent l’environnement local. Ce trait caractéristique n’est pas une spécificité des sites d’Al Ain. En effet, partout où la culture Hafit se manifeste, les cairns sont installés sur des hauteurs. Ils deviennent alors de véritables marqueurs du territoire, visibles de loin. Bien qu’éloignés physiquement, cette visibilité les lie inévitablement aux vivants.

Les tombes Hafit ont livré relativement peu de matériel si on les compare à celles de la culture qui lui succèda. C’est une culture encore acéramique. Les quelques poteries mises au jour dans ces tombes résultent donc d’importations. Elles sont de type Jemdet Nasr, et proviennent du sud de l’Irak actuel. Elles perpétuent la tradition des échanges à longue distance débutés dès le VIe millénaire avant notre ère avec le cœur mésopotamien. Pour le visiteur, la culture Hafit se matérialise donc essentiellement par des vestiges funéraires, souvent d’un abord difficile par leur situation, mais dont quelques exemples restaurés dans les années 1980 sur les flancs du Jebel sont accessibles.

L’âge du Bronze moyen et la culture Umm an-Nar

La culture Umm an-Nar couvre une large partie du IIIe millénaire. Ses vestiges s’étendent là encore sur une large partie de la péninsule omanaise. Le nom de cette culture provient d’ailleurs d’un site éponyme situé sur une des îles qui forment l’archipel de l’actuelle Abou Dhabi. Toutefois, c’est bien à Al Ain qu’elle est la mieux représentée, tant quantitativement que qualitativement. Les vestiges, d’ordres matériels et architecturaux, funéraires et civils, y sont d’une grande richesse.

Le site majeur de la période est sans conteste l’oasis de Hili. Véritable réserve archéologique qui comporte également de nombreux sites de l’âge de Fer, Hili est une oasis fossile, où les niveaux archéologiques de l’âge du Bronze se situent juste sous les fines couches de sable qui la couvrent aujourd’hui. Une partie de cette réserve a été aménagée en jardin public, qui comporte les principaux vestiges.

Les vestiges Umm an-Nar révèlent des communautés d’éleveurs agriculteurs, qui ont mis au point un système d’irrigation sophistiqué, qui a abouti à la mise en place des aflaj dans les siècles suivants. Les oasis s’organisent autour d’un habitat principal qui se matérialise par une grosse tour circulaire. Les bases de trois exemples sont visibles aujourd’hui. Malheureusement, à ce jour, seule une a été restaurée.

Détail de la tombe en fosse en cours de fouille, 2006. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU
Détail de la tombe en fosse en cours de fouille, 2006. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU

C’est surtout pour son art funéraire que la culture Umm an-Nar est remarquable. Contrairement à la période Hafit, les sépultures ont rejoint le monde des vivants et pris place au cœur des oasis. Elles sont toujours collectives, et peuvent comporter jusqu’à plusieurs centaines d’individus. Elles sont remarquables à plusieurs titres. Tout d’abord par leur architecture extrêmement caractéristique et homogène sur l’ensemble de la région, qui atteste un fond culturel très fort pour une culture en marge des grandes civilisations du Moyen Orient. Ces sépultures sont circulaires, architecturées, toujours scindées en deux, avec deux accès distincts. Cette distinction dans l’espace interne n’a toujours pas trouvé d’explication convaincante car les vestiges humains et matériels sont toujours relativement homogènes de part et d’autre des tombes. Ce trait récurrent confère un aspect remarquable à l’ensemble.

Le site de Hili compte de nombreux exemples qui permettent de voir l’évolution de ces structures. Les pierres sèches servant à leur construction, d’abord simplement, voir grossièrement équarries, sont au fur et à mesure du temps de plus en plus grosses et de mieux en mieux taillées, jusqu’à obtenir à la fin de la période, avec la tombe monumentale 1059, des assemblages parfaits révélant un niveau technique surprenant des artisans locaux.

Un seul exemple de tombes en fosse est connu pour la période Umm an-Nar. Cette tombe date de la fin de la période et correspond sans doute à une phase de récession de cette culture. Toutefois, n’ayant pas été pillée, et beaucoup moins soumises aux intempéries, elle a permis la découverte de milliers d’artefacts. Au milieu de plus de 600 individus, les équipes du musée d’Al Ain, dans les années 1980, puis la mission française aux E.A.U jusqu’en 2006, ont mis au jour près d’un millier de céramiques, plus de cinquante vases de pierre, des milliers de perles, pour la plupart en cornaline, etc. Beaucoup de ces artefacts, aujourd’hui conservés au musée d’Al Ain, proviennent de cultures et civilisations plus ou moins lointaines, attestant l’importance et la qualité des réseaux d’échange dans lesquels le site de Hili était complètement intégré.

L’âge du Fer et le système des aflaj 

Si les vestiges de l’âge du Fer sont à ce jour moins impressionnants pour le grand public que ceux de l’âge du Bronze, ils n’en sont pas moins importants pour illustrer les avancées majeures dans le développement humain dans la région. Les sites fouillés ont essentiellement révélés de l’habitat, avec notamment le site de Rumeilah qui fait partie des sites intégrés à l’ensemble nouvellement enregistré par l’Unesco. Les vestiges funéraires de cette période se concentrent quant à eux sur le site de Bidaa Bint Saud, à une quinzaine de kilomètres de l’actuelle Al Ain. Les tombes, qui suivent la tradition ancienne bien que dans des proportions beaucoup plus modestes, sont regroupées sur un éperon rocheux, qui domine un désert de sable, dans un environnement remarquable.

Toutefois, le fait réellement notable des cultures de l’âge du Fer ne réside pas dans l’architecture mais plutôt dans les innovations techniques développées. Le climat peu favorable au développement humain a obligé les hommes à améliorer les systèmes d’irrigation dès l’âge du Bronze pour mettre à profit les ressources offertes par les oasis naturelles. Après les puits centraux des forteresses circulaires Umm an-Nar, les hommes de l’âge de Fer ont mis au point un remarquable système d’irrigation souterrain, les aflaj (pl. de falaj), qui est aujourd’hui l’un des plus anciens au monde. Ces systèmes ont été entretenus pendant plusieurs siècles. Des puits d’accès aux réseaux souterrains sont toujours visibles dans les environs d’Al Ain. Ce système a permis de révolutionner l’agriculture avec le développement d’oasis de grande envergure qui caractérisent toujours aujourd’hui la ville.

Fortifications et oasis

Fort en brique crue, oasis d'al Qattara. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU
Fort en brique crue, oasis d’al Qattara. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux EAU

Le caractère traditionnel de la ville d’Al Ain tient aussi à ses quartiers organisés autour de ces sept vastes oasis. Si les oasis font inévitablement penser à la culture des dattes, il ne faut pas oublier que la voute créer par les palmes offre de l’ombre d’abord à des arbres fruitiers, puis, à un niveau inférieur à toute sorte de légumineuses permettant ainsi l’essor d’une agriculture variée. Les oasis de Hili, Al Jimi ou encore Al Qattara sont toujours aujourd’hui de véritables havres de calme et de fraicheur particulièrement appréciés dans cette ville qui bat régulièrement des records de chaleur dans la fédération. Les oasis marquent particulièrement l’urbanisme puisqu’elles sont largement visibles dans cette ville aux aménagements strictement contrôlés.

Vestiges de défenses et marqueurs des anciens pouvoirs locaux, chacune de ces oasis cache un ou plusieurs forts, simple tours ou véritables ensembles fortifiés. C’est d’ailleurs dans un de ces forts, aujourd’hui rattaché au musée archéologique et ethnologique de la ville, qu’est né Sheikh Zayed Ben Sultan Al Nahayan, premier président des Emirats-Arabes-Unis. Ces forts sont construits en briques crues, suivant les mêmes méthodes que celles employées depuis l’âge du Bronze, illustrant ainsi la pérennité d’une tradition technique sur plusieurs millénaires.

Enjeux et conséquences du classement

Outre une reconnaissance à un niveau international du passé local, le classement des sites d’Al Ain recouvre bien évidemment des enjeux touristiques majeurs. Le nombre de visiteurs est resté jusqu’à aujourd’hui relativement faible par rapport aux villes côtières et notamment Dubaï. Il est nécessaire désormais pour la ville d’améliorer plusieurs points, tant pour l’accueil des touristes que pour assurer la préservation des vestiges. L’Unesco, dans sa procédure de classement, a d’ailleurs établi plusieurs recommandations, concernant notamment la mise en valeur et les restaurations. En effet, certaines d’entre elles, effectuées dans les années 1980, n’ont pas toujours respecté l’intégrité des monuments et ont conduit à une perte de leur matière authentique.

Des efforts ont toutefois déjà été entrepris, notamment dès 2005 avec une restauration traditionnelle à l’initiative de la mission française aux E.A.U. d’une tombe Umm an-Nar qui n’avait pas été touchée, et la dérestauration et l’étude avec une documentation appropriée d’autres, en vue d’une meilleure compréhension d’une part et d’une recherche d’une plus grande authenticité d’autre part.

Ce classement ouvre donc des voies qui annoncent une véritable protection et une mise en valeur de ces vestiges remarquables. Le site de Hili, sans nul doute le plus important dans l’ensemble des lieux classés, devrait être totalement refondu et repensé, pour apparaitre comme une des principales vitrines du riche mais encore méconnu passé des Emirats arabes unis.

Pour aller plus loin avec les articles publiés sur Les clés du Moyen-Orient :
 Article d’Adrien Berthelot sur L’archéologie dans le golfe Persique : la mission française aux Emirats arabes unis
 Fiche pays Emirats arabes unis
 Article sur la 35 ème session du Comité du patrimoine mondial de l’Unesco, 19 juin-29 juin 2011 : inscription de nouveaux sites sur la Liste du patrimoine mondial
 Article sur le Patrimoine mondial de l’UNESCO : les sites du Moyen-Orient
 Biographie du Sheikh Zayed Ben Sultan Al Nahayan

Publié le 12/10/2011


Adrien Berthelot est depuis 2008 assistant scientifique pour la section archéologique du Louvre Abou Dabi et conférencier national.

Titulaire d’un DEA de l’école doctorale de Paris I en archéologie orientale, il a participé à plusieurs missions au Moyen-Orient et en Asie (Emirats arabes unis, Iran, Turkménistan, Mongolie) qui, au-delà des fouilles, ont souvent été l’occasion d’étudier les techniques et modes de fabrication de la vaisselle de pierre au cours du IIIe millénaire av. J.-C.

Membre depuis 2005 de la mission archéologique française aux Emirats arabes unis, (CNRS, Unité mixte de recherche 7041), il a travaillé sur des sites de l’âge du Bronze dans l’émirat d’Abou Dabi, et accompagne aujourd’hui l’équipe dans ses recherches sur l’occupation néolithique du littoral dans les émirats d’Umm al-Qawayn et Ras Al-Khaimah.


 


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