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Les relations américano-qatariennes

Par Clément Guillemot
Publié le 18/08/2012 • modifié le 06/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

US President Barack Obama speaks to Amir Hamad bin Khalifa al-Thani of Qatar in the Oval Office at the White House in Washington, DC, on April 14, 2011

Jewel Samad/AFP

Les intérêts sécuritaires qataris à l’implantation d’une base américaine

En raison de sa vulnérabilité, par son manque de capacités militaires et sa faiblesse démographique, le Qatar souhaite instaurer une solide alliance avec les Etats-Unis. La genèse de cette visée sécuritaire provient de l’exploitation d’une immense réserve de gaz découverte dans les années 1970, le champ Northfield. « La sécurité était devenue au Qatar une question de vie ou de mort [2] » affirme l’homme d’affaires qatari, Mohammed al Ansari. Effectivement, une telle rente, liée à l’exploitation de cette vaste réserve de gaz, est susceptible d’attirer les convoitises des voisins immédiats, Saoudiens, Irakiens et Iraniens. Il est donc nécessaire de présenter aux investisseurs (principalement d’Extrême-Orient) une garantie de stabilité sur le long terme. La protection des Etats-Unis est ainsi sollicitée car c’est « le seul pays qui peut projeter sa puissance dans cette partie du monde. Il n’y a personne d’autre [3] » déclare le cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani. En contrepartie, le Qatar s’engage comme soutien fidèle à la pierre angulaire de la diplomatie américaine au Proche-Orient, le processus de paix israélo-arabe. Ainsi, un bureau commercial israélien s’ouvre à Doha en septembre 1996. Le Qatar maintient également le sommet économique de 1997 patronné par les Etats-Unis avec la participation d’Israël contre le boycott par l’Egypte et par la Syrie. Dans ce même prolongement, en août 1999, le cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani est le premier chef d’Etat du Golfe à se rendre en visite officielle à Gaza depuis que Yasser Arafat dirige l’Autorité palestinienne. Cet appui qatari à la politique américaine se ressent pendant le printemps arabe, si bien que, lors de sa visite officielle aux États-Unis en avril 2011 [4], l’émir est remercié par le président Obama pour le rôle joué par Doha dans les « révolutions arabes ».

La finalité américaine : la nécessaire stabilité géostratégique du golfe persique

Dans ce contexte, qu’en est-il de l’alliance traditionnelle des Etats-Unis avec l’Arabie saoudite ? Tout en restant l’allié stratégique pivot des États-Unis, le royaume d’Arabie saoudite tend à être considéré par certains Américains comme un État vulnérable (succession incertaine, tensions et problèmes avec la minorité chiite dans la province orientale), peu présentable (membres de la famille royale mis en cause dans les procès et enquêtes consécutifs aux attentats, Etat non démocratique) avec un pétrole moins indispensable qu’auparavant (réserves d’Irak, d’Asie centrale, du golfe de Guinée). De plus, depuis le 11 septembre 2001, l’Arabie saoudite est perçue comme un foyer de l’islam radical étant en faveur d’un wahhabisme très fermé (à la différence du Qatar [5]), ce qui a terme pourrait être dangereux pour les intérêts américains. Certains dirigeants américains considèrent alors que l’Arabie saoudite n’est plus un allié [6]. Ainsi, en 2003 lors de la guerre contre l’Irak, le refus saoudien au déploiement de l’armée américaine sur son territoire incite les Etats-Unis à installer leur nouvelle base militaire au Qatar.

Sur le plan interne qatari, comme le formule le ministre des Affaires étrangères du Qatar, le Cheikh Hamad Bin Jassem Bin Jabor al-Thani, « le Qatar est au milieu du golfe donc, stratégiquement pour les Etats-Unis, il est parfait [7] ». Pour les Etats-Unis, cette nation relativement nouvelle, possédant gaz et pétrole, en pleine prospérité économique et avec une ouverture démocratique [8], est dorénavant une valeur sûre, idéalement située pour sauvegarder les intérêts américains, dans un contexte arabe déstabilisé. L’émirat permet également aux Etats-Unis de mieux contrôler les mouvements islamistes régionaux et d’impulser, voire de maîtriser un processus de réformes dans ces pays en prônant un islam « ouvert [9] », pour reprendre Gilles Kepel. Ainsi par les négociations entamées par le Qatar avec les Talibans, Al-Qaida et le Hamas, mouvements ayant des bureaux politiques à Doha, les Etats-Unis peuvent rester dans le jeu moyen-oriental malgré l’image dégradée dont ils souffrent dans la région. Effectivement, le soutien à des présidents autoritaires et les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont entaché l’image des Etats-Unis dans la région alors que le Qatar est considéré comme un intermédiaire crédible. « Que ce soit pour entamer des négociations avec les mouvements islamistes ou pour faire passer des messages, Washington s’appuie sur Doha [10] », relève le politologue Hasni Abidi. Ce dialogue avec tous les islamismes est considéré comme essentiel pour l’administration Obama qui, à l’inverse du choc des civilisations prôné par les néo-conservateurs, estime que les intérêts américains doivent se négocier avec les islamistes, comme l’écrivait déjà Zbigniew Brzezinski en 1997 : « puisque la puissance sans précédent des Etats-Unis est vouée à décliner au fil des ans, la priorité géostratégique est donc de gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales (et de ces nouvelles élites) de façon à ce qu’elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine [11] ».

Un soutien confus : la double identité du Qatar

L’attrait qatari pour les Etats-Unis, comme l’explique Barah Mikaïl, est stratégique et non idéologique. « Il faut bien entendu entrevoir dans la décision du Qatar une bonne dose de pragmatisme, qui ne faisait d’ailleurs que confirmer son attachement à la défense de ses prérogatives nationales [12] ». Ainsi donc, le Qatar agit parfois contre les intérêts américains, l’anti-américanisme sous-jacent de la chaîne qatari al Jazeera lui permettant notamment d’accroitre sa légitimité dans le monde arabe. C’est ainsi par exemple que pour Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense américaine de 2001 à 2006, la couverture par al Jazeera des événements d’Irak est « nocive, inexacte, inexcusable [13] ». Le Qatar aspire, il est vrai, à devenir le porte-parole des intérêts régionaux. C’est ainsi que les positions qataries sur l’Iran vont parfois à l’encontre des intérêts américains. Le Qatar vote, par exemple, contre la résolution 1696 du 31 juillet 2006 du Conseil de sécurité de ONU qui appelait à une suspension par l’Iran de toutes ses activités d’enrichissement et de retraitement, en se permettant même d’inviter publiquement Washington à renouer avec Téhéran. Il en est de même sur les questions israélo palestinienne et libanaise. Le 12 juillet 2006, le Qatar soumet au conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution demandant aux Israéliens de cesser les opérations militaires engagées deux semaines plus tôt dans la bande de Gaza, en réaction à l’enlèvement par des factions palestiniennes du soldat israélien Gilad Shalit. Le texte n’aboutit pas en raison du veto américain mais à travers ce positionnement on peut « noter la volonté du Qatar de pousser l’ONU vers des positions plus en phase avec une conception « arabe » des événements [14] » estime Barah Mikaïl.

Une alliance pérenne ?

Pour les Américains, l’utilisation du levier qatari trouve premièrement ses limites du fait de la portée réduite d’un micro-État qui ne dispose d’aucun atout généralement accordé à une puissance régionale. Sa superficie est très réduite (11 400 km2), sa démographie faible (250 000 nationaux pour 1 700 000 habitants, soit 85 % d’expatriés), et sa défense nationale (11 000 hommes), repose quasi-entièrement sur le matériel et la présence américaine. Deuxièmement, le Qatar est une monarchie absolue, globalement non démocratique où les droits de l’Homme ne sont que peu appliqués et avec un islam radical très prégnant, allant en cela à l’encontre des idéaux prônés par les Américains.

Pour le Qatar, son assistance à la politique américaine dans le monde arabe est difficilement conciliable avec sa volonté panarabe comme l’explicite Barah Mikaïl : « il demeure pourtant extrêmement difficile de développer des politiques en appelant à l’une et à l’autre de ces motivations dans un contexte où les aspirations publiques arabes restent extrêmement méfiantes vis-à-vis de ce qui se rapporte à l’Occident [15] ». Cela conduit parfois le Qatar à tenir des positions contradictoires. Par exemple, le soutien affiché de Doha au gouvernement et au peuple libanais durant la guerre de l’été 2006 n’a pas empêché le Qatar de permettre aux Etats-Unis d’utiliser son territoire afin de fournir des bombes dites intelligentes à Israël [16].

Bibliographie :
 Christopher M. Blanchard, « Qatar : Background and US relations », Congressional Research Service, le 6 juin 2012, http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RL31718.pdf
 Ahmed Bergaoui, « Les défis à relever et les perspectives d’avenir au Qatar », Géostratégique N°13, Juillet 2006, http://www.strategicsinternational.com/13_10.pdf
 Michel Briziobello, « Le Qatar, les ambitions d’un petit et riche Etat », http://www.misna.org/uploads/qatarambizionipiccolostato-fr.pdf
 Dossier : « L’Arabie Saoudite sous pression américaine », Courrier International, le 19/12/2002.
 Barah Mikaïl, « Le paradoxe diplomatique du Qatar comme moyen d’accès à la consécration », dans la revue internationale et stratégique, « Les défis de la présidence Française de l’UE », N°69, printemps 2008.
 Steve Yetiv, « Crude Awakenings : Global oil security and American foreign policy », Cornell university press, 2004, 239 pages.

Publié le 18/08/2012


Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.


 


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