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Les réfugiés palestiniens de Syrie dans la guerre civile depuis 2011

Par Matthieu Eynaudi
Publié le 04/04/2017 • modifié le 16/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

04/05/2015 Syrian servicemen control a flow of women and children leaving the Palestinian refugee camp Yarmouk on the outskirts of Damascus.

Dmitriy Vinogradov / RIA Novosti / Sputnik / AFP

A l’aube de la révolte syrienne, la situation des Palestiniens de Syrie semble globalement moins difficile que celle des autres populations réfugiées d’origine palestinienne au Moyen-Orient. Si les Palestiniens ont perdu depuis plusieurs décennies la foi dans le récit officiel d’une Syrie combattante, qui pourrait un jour défaire Israël, la majorité d’entre eux est plutôt bien intégrée dans la société. En dépit de quelques restrictions relatives à leurs statuts (lesquels dépendent de la vague d’exil dont ils sont issus, 1948, 1967, etc.) par exemple dans le champ de la participation politique, les Palestiniens de Syrie ne sont pas marginalisés au sein de la sphère publique.

A la fin de l’année 2010, le mouvement des révoltes arabes s’étend à la Syrie. La répression du régime de Bachar al-Assad entraîne l’armement de l’opposition et la contestation évolue rapidement en une situation de guerre civile. Le conflit connaît plusieurs renversements des rapports de forces, au gré des interférences étrangères (étatiques, civiles ou privées) et des initiatives internationales. La dégradation de la situation irakienne va également jouer dans la montée en puissance de certaines parties du conflit et notamment l’organisation de l’Etat islamique.

Une des caractéristiques principales qui distingue les guerres civiles des conflits conventionnels modernes est que la dynamique d’un conflit civil ne laisse rarement de place à la neutralité des populations et génère souvent la division à long terme des sociétés (2). Aussi, les Palestiniens de Syrie vont progressivement devoir se positionner malgré eux et pour certains, prendre part aux combats. Cet article propose ainsi de dresser un état des lieux de la situation des Palestiniens de Syrie en examinant les dynamiques qui ont finalement poussé toutes les parties à se positionner. Nous nous intéresserons dans un premier temps aux populations civiles et dans un deuxième temps, nous étudierons le comportement des deux principales organisations palestiniennes qui composent l’Autorité Palestinienne : le Hamas et l’OLP.

Les Palestiniens de Syrie dans la guerre civile

La dégradation des conditions des populations palestiniennes de Syrie

En 2014, l’UNRWA déclarait que la proportion de réfugiés palestiniens qui nécessitait son aide était passée de 6% (avant le début des combats) à 90% (en 2015, il passe à 95%). Ceci peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, il convient de rappeler qu’en 2013, les segments de population qui ont quitté la Syrie sont - toutes proportions gardées - principalement ceux qui en ont eu les capacités et l’aisance financière, d’autant plus (nous le détaillons après) que les réfugiés palestiniens connaissent une différence de traitement dans leurs modalités d’accueil au sein des pays limitrophes devenus leurs pays de destination. Ainsi, quitter la Syrie incombe d’avoir de l’argent pour envisager la réinstallation, laissant sur place les parties les plus nécessiteuses de la population. De plus, la dizaine de camps palestiniens présents en Syrie sont pour la plupart situés dans des zones très touchées par les combats : Homs, Hama, Alep, la banlieue sud de Damas, où l’on trouve un immense camp de réfugiés palestiniens devenu un quartier de la capitale : Yarmouk.

Ainsi, les Palestiniens deviennent une partie de la population d’autant plus vulnérable qu’ils sont en première ligne d’un conflit qui touche les infrastructures, les services publics et l’activité économique. Enfin, la guerre civile, à mesure qu’elle dure et s’étend, n’épargne pratiquement plus aucun territoire et la précarisation des Palestiniens n’est autre que le reflet de la situation du peule syrien.

Réfugiés et déplacés palestiniens de Syrie

Depuis le début de la guerre civile syrienne, entre 80.000 et 100.000 Palestiniens ont migré dans les pays voisins (principalement au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Egypte et en Irak). Cependant, ceux-ci n’ont pas nécessairement des mêmes conditions d’accueil que les ressortissants syriens. Ainsi, la Jordanie - inquiète de la présence palestinienne depuis les déstabilisations qui ont abouti à Septembre Noir et dont beaucoup de rescapés ont trouvé refuge en Syrie - leur refuse l’accès à son territoire tandis qu’elle laisse passer les autres réfugiés, condamnant les réfugiés palestiniens de Syrie à la clandestinité. Au Liban, les modalités d’accueil qui leurs sont attribuées sont plus longues et coûteuses, en raison des tensions liées à la présence palestinienne dans le pays qui avaient, entre-autres, alimenté la guerre civile libanaise. De plus, malgré la loi votée en 2010 élargissant les métiers ouverts aux réfugiés palestiniens, certaines professions leurs restent encore interdites (3). En Egypte, le régime a interdit au HCR d’inscrire les Palestiniens de Syrie, les privant du même coup de l’assistance de l’ONU.

En Syrie même, on estime à 250.000 le nombre de réfugiés palestiniens déplacés à l’intérieur du pays. Certains réfugiés palestiniens et descendants de réfugiés ont participé autant que les Syriens au soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad et en dehors des traditionnelles affiliations partisanes palestiniennes. Notamment à Yarmouk, les turbulences qui sont l’écho de la protestation fournissent au régime de Bachar al-Assad un argument pour accréditer la thèse officielle d’une contestation organisée par des acteurs externes en vue de déstabiliser la Syrie. Là encore, la forte présence palestinienne dans les villes et secteurs clés de la révolution servent l’argumentaire du régime pour désigner certains réfugiés palestiniens comme les outils des ingérences étrangères. Le régime syrien peut d’ailleurs compter sur la supposée crédibilité que lui apportent ses liens d’allégeances avec des factions palestiniennes : notamment le FPLP-CG et l’initiale neutralité du Hamas et de l’OLP ; qui lui permettent d’attaquer les camps palestiniens sans remettre en cause sa posture officiellement pro-palestinienne.

Au printemps 2011, pour conforter cette posture, le régime organise, par le biais de ses organisations alliées, plusieurs manifestations à proximité du Golan afin de provoquer les forces de sécurité israéliennes. L’enjeu est à la fois de canaliser les ressentiments palestiniens, de détourner l’attention vers un ennemi extérieur et s’imposer comme le protecteur légitime des Palestiniens de Syrie. Plusieurs personnes perdent la vie sous les balles israéliennes. Cependant, lors des funérailles, la rancœur qui résulte des pertes causées par Tsahal n’est pas seulement dirigée, comme attendu par Damas vers « l’ennemi sioniste » mais vise également le FPLP-CG à l’origine de ces échauffourées et par extension, le régime syrien. Ces événements contribuent à éloigner les Palestiniens de Syrie du régime syrien, à l’inverse du but poursuivi par Damas.

Relations entre les organisations militantes palestiniennes et Damas

Yarmouk assiégé et divisé

Refusant donc de jouer le jeu que leur propose le régime, les habitants de Yarmouk se révoltent contre le FPLP-CG et par extension contre le régime. Ainsi préparée, l’implication palestinienne dans le conflit se fait plus importante. Des brigades palestiniennes pro-rebelles sont formées (par exemple à Dera’a) et des volontaires palestiniens, venus notamment de Gaza, rejoignent les forces opposées au régime. La coopération militaire avec des combattants de Gaza est importante pour les groupes rebelles. Ces derniers profitent de l’expérience palestinienne de la guérilla en zone urbaine ou encore de son savoir-faire en construction de tunnels ou de fabrication d’armes artisanales, des tactiques utilisées à grande échelle en Syrie (4).

Ainsi, en dépit de la neutralité initiale des Palestiniens, ceux-ci refusent d’aller vainement au combat contre Tsahal pour sauver Damas et de plus, témoins quotidiens des actes perpétrés par le régime, ils tendent à se solidariser avec les rebelles. A Yarmouk où la protestation grandit, le régime décide d’utiliser le FPLP-CG - son bras armé palestinien - pour chasser les groupes rebelles qui s’y sont implantés. Mais le FPLP-CG, battu, est forcé de se retirer du camp. Les troupes loyalistes et leurs supplétifs palestiniens encerclent le camp qui est soumis au siège et aux bombardements. On estime que 20.000 personnes prises au piège sont restées dans Yarmouk. C’est dans ce contexte qu’en avril 2015, l’organisation de l’Etat islamique fait son apparition dans le camp et annonce, le 12 avril 2016, contrôler la majorité de Yarmouk. A l’encerclement par le régime s’ajoute alors la lutte à mort que se livrent le front Al-Nosra (aujourd’hui devenu Hayat Tahrir al-Cham) et le groupe Etat islamique. A la fin du printemps 2015, il ne reste que 6.000 civils dans le camp.

Les prises de positions contraintes du Hamas et de l’OLP

Parmi les organisations palestiniennes présentes en Syrie, le Hamas est sans doute celle qui se trouve dans la situation la plus complexe. Auparavant soutenu par Damas, il est, sur le plan des valeurs, logique qu’il salue les idéaux de la révolution syrienne. Cependant, la récente émergence du groupe Etat islamique l’embarrasse. Face à l’Etat islamique, le Hamas se retrouve confronté à une faction puissante, qui chasse sur ses terres idéologiques (l’Etat islamique a d’ailleurs critiqué l’application supposée peu rigoriste de la Sharia par le Hamas à Gaza). De plus, l’Etat islamique pouvait, en 2014 et 2015, se vanter de ses multiples succès militaires et de ses larges gains de territoire sans équivalents dans le combat qu’a mené le Hamas depuis 1987. Le Hamas perd donc pied en Syrie (sa direction abandonne ses locaux à Damas) et risque de voir d’autres factions, principalement l’Etat islamique ou les organisations djihadistes comme Hayat Tahrir al-Cham, lui ravir sa popularité auprès des Palestiniens de Syrie par effet de « vote utile ». Plus encore, il est confronté à l’émergence de cellules proclamant leur affiliation à l’Etat islamique au cœur de son fief à Gaza. Dans le même temps, sa rupture à demi-mot avec Damas le place en position délicate vis-à-vis de ses soutiens du Hezbollah et de l’Iran. A cette heure, la direction du Hamas n’a toujours pas résolu ce paradoxe alors que des tensions sclérosent sa direction (5). Cependant, l’issue du siège d’Alep a provoqué de nouvelles tensions avec le Hezbollah et par extension, l’Iran, qui pourraient donner lieu à un divorce définitif entre les deux axes (6).

L’OLP de son côté a tenté de s’éviter le choix d’un camp dans la crise syrienne en affichant une neutralité totale et en mettant l’accent sur des missions d’assistance aux populations. Cette neutralité est devenue, aux yeux des réfugiés palestiniens, coupable lorsque le siège de Yarmouk a commencé. Après avoir timidement soutenu la cause des rebelles syriens, il semblerait que l’OLP a retendu une main à Bachar al-Assad en établissant un bureau du Fatah à Damas (7). L’émergence de factions radicales à Yarmouk aurait motivé cette décision pour plusieurs raisons. Il s’agit tout d’abord de ne pas laisser Damas, seul avec ses organisations vassales palestiniennes (qui agissent en supplétifs de l’armée loyaliste) être, pour les Palestiniens de Syrie, la seule alternative aux factions islamistes radicales. En second lieu, l’OLP souhaitait se positionner plus rapidement que le Hamas, toujours embourbé dans ses pourparlers avec le Hezbollah, afin de l’isoler et d’en tirer les bénéfices politiques au sein de l’Autorité palestinienne. Enfin, la situation actuelle semble moins défavorable pour le régime d’Assad qui redevient de moins en moins infréquentable tout en engrangeant des victoires grâce à l’aide russe. L’OLP fait ainsi un pari discret en soutenant Assad contre le « terrorisme », comprendre ce qui reste de l’opposition armée en Syrie (8).

Conclusion

La crise syrienne a ainsi précipité les deux principales organisations palestiniennes dans le grand jeu des puissances régionales qui souhaitent peser sur le futur de la Syrie. Tandis que ces organisations avaient auparavant su faire jouer des rivalités régionales pour les mettre en concurrence, elles les subissent depuis 2011 et semblent aujourd’hui prises en étau. Le risque est grand, notamment pour le Hamas, de perdre ses soutiens tout en étant rongé de l’intérieur par le pouvoir de séduction qu’exercent les organisations djihadistes. L’OLP s’est quant à elle résignée à proposer à Assad un soutien timide - assimilé par les sympathisants de l’opposition syrienne à une trahison - afin de contrer l’influence des milices palestiniennes affiliées à Damas. Ce pari est d’autant plus risqué que le FPLP-CG - au même titre que les partisans palestiniens d’Assad - semble très peu populaire auprès des Palestiniens de Syrie. Les réfugiés palestiniens sont plus que jamais livrés à eux-mêmes, entre le régime syrien, le piège djihadiste, des leaders hésitants, une UNWRA dépassée et des voisins peu accueillants.

Notes :
(1) Le Front Populaire de Libération de la Palestine Commandement général est un groupe armé pro-palestinien formé en 1968 après une scission avec le FPLP. Très actif lors de la guerre civile libanaise, l’organisation s’est beaucoup rapprochée du régime syrien et s’est distinguée par son opposition au leadership de l’OLP. Le FPLP-CG figure sur les listes des groupes terroristes élaborées par l’Union européenne, les Etats-Unis et le Canada.
(2) « Chapitre 1. La guerre civile : le développement à rebours », Briser la spirale des conflits, Bruxelles, De Boeck Supérieur, « Les intelligences citoyennes », 2005, p. 29-50.
https://www-cairn-info.acces-distant.sciences-po.fr/briser-la-spirale-des-conflits-guerre-civile--9782804147716-page-29.htm
(3) P. Khalifeh, « Au Liban, les réfugiés palestiniens obtiennent plus de droits pour travailler », RFI Moyen-Orient, août 2010
(4) A. Alabbasi, « Comment l’expertise militaire du Hamas a-t-elle profité aux rebelles en Syrie », Middle East Eye, Octobre 2015
(5) A. Abu Amer, “Hamas drags feet on choosing between Iran, Saudi Arabia”, Al-Monitor - Palestine Pulse, mars 2016.
(6) K. El-Bar, “After Aleppo’s fall, Hamas finds itself resisting Tehran as well as Tel Aviv”, Middle East Eye, 27 décembre 2016.
(7) A. Alabbasi, « Pourquoi le Fatah rétablit-il les liens avec la Syrie d’Assad ? », Middle East Eye, Octobre 2015.
(8) « L’OLP ne participera pas aux combats de Yarmouk », Le Monde, Avril 2015

Références :
 F. Glasman, Les Palestiniens de Syrie, entre enfer des camps et réappropriation du mouvement national (1/2), Blog Le Monde Un Œil sur la Syrie, avril 2015.
 F. Glasman, Les Palestiniens de Syrie, entre enfer des camps et réappropriation du mouvement national (2/2), Blog Le Monde Un Œil sur la Syrie, avril 2015.
 C. Cantat, Libérer la Palestine et protéger les camps : résistance du régime et résistance palestinienne, Blog Le Monde Un Œil sur la Syrie, avril 2015.
 W. Glasman, « Les ressources sécuritaires du régime syrien », Iremam, janvier 2014.
 L. Morrison, « La vulnérabilité des réfugiés palestiniens venus de Syrie », Revue Migrations Forcées, Septembre 2014.
 L. Trombetta, « La Syrie libanisée », Revue Outre-Terre n°44, Mars 2015.

Publié le 04/04/2017


Diplômé d’un master en relations internationales de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Matthieu Eynaudi est actuellement en master à Sciences Po.
Ancien chargé d’études en alternance au ministère de la Défense, il a également travaillé en Turquie au sein d’un think-tank spécialisé en géopolitique et mené des recherches de terrain à Erbil auprès de l’Institut Français du Proche-Orient.
Il a vécu en Turquie et à Chypre. Il s’intéresse particulièrement à la géopolitique de la région ainsi qu’à la question kurde au Moyen-Orient et en Europe.


 


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