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Le wahhabisme : le fondateur, la doctrine, l’alliance de Mohammad Ben Abdel Wahhab avec les Saoud

Par Yara El Khoury
Publié le 09/02/2015 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 15 minutes

SAUDI ARABIA, Al Diriyah : Saudi people are see in the town of al-Diriyah, north of Riyadh, 06 January 2006. The First Saudi State was established in the year 1744 (1157 H.) when the Wahhabi leader Sheikh Mohammed ibn Abd al Wahhab settled in al-Diriyah.

AFP PHOTO/HASSAN AMMAR

Le centre de l’Arabie a subi des attaques de la part de ses voisins tout au long du XVII ème siècle et au début du XVIII ème siècle. En dépit de certaines campagnes réussies menées par les tribus du Nedjd contre le Hedjaz à l’ouest et l’Ihsa’a à l’est, c’est plutôt le Nedjd qui est le plus souvent attaqué et certaines de ses tribus ont été contraintes à payer des taxes aux dirigeants de La Mecque.

Mohammad Ben Abdel Wahhab, le fondateur du wahhabisme

C’est dans ce contexte d’instabilité que grandit Mohammad Ben Abdel Wahhab, né en 1703 dans une famille religieuse habitant la ville-oasis d’Ayniyya. Son père était un juge religieux et il a été son premier maître. Il aurait appris le Coran par cœur avant l’âge de dix ans. Il se marie à douze ans, l’âge de la majorité. Après son mariage, il fait le pèlerinage à La Mecque, puis il réside pendant deux mois à Médine avant de retourner chez les siens. Voyageant beaucoup, il visite le Hedjaz, Bassora et vit dans l’Ihsa’a, la province orientale de l’Arabie. Au cours de ces années de formation, la situation économique se dégrade dans le Hedjaz et La Mecque se vide de ses habitants suite à une famine. Ceci va avoir pour effet d’arrêter pendant quelque temps les campagnes militaires menées contre le Nedjd, au milieu des années 1720.

Au cours de ses déplacements entre la péninsule arabe et le sud de l’Irak, Mohammad Ben Abdel Wahhab se rend compte de la situation du monde musulman. Partout il observe qu’une forme de religiosité populaire a remplacé les pratiques religieuses authentiques. Parmi les hérésies qui ont fait leur entrée dans l’Islam, il y a l’adoration particulière vouée au Prophète et à sa famille, ses Compagnons, et à des personnages considérés comme saints. L’adoration des Awliya’a (littéralement les « amis » de Dieu) a été répandue notamment par les mystiques soufis qui se sont démarqués des rites strictement orthodoxes de l’Islam.

A Bassora, Mohammad Ben Abdel Wahhab appelle à un retour aux fondements de l’Islam et au rétablissement du principe de l’unicité à travers l’adoration réservée exclusivement à Allah, le Dieu unique, ce qui lui vaut l’hostilité de la population. En 1726, il s’installe dans l’oasis de Haraymila dans le Nedjd, où il est rejoint pas son père qui quitte Ayniyya à l’issue de l’arrivée au pouvoir d’un nouvel émir. Là, Mohammad Ben Abdel Wahhab commence sa prédication et écrit son premier ouvrage, Le livre de l’unicité. Il commence à s’attirer des partisans, mais également à se faire des ennemis. Il part pour plusieurs années à Bassora, puis Bagdad, le Kurdistan, l’Iran où il vécut à Hamadan, Ispahan, Qom et d’autres villes. Puis il va vivre successivement à Alep, Damas, Jérusalem, le Caire, La Mecque avant de rentrer au Nedjd. Ses multiples voyages lui font acquérir une connaissance très vaste des différents courants de l’Islam, tout en lui permettant de développer les instruments conceptuels nécessaires à l’élaboration et la défense de sa doctrine.

En 1737, il s’établit à Ayniyya et se rapproche de son émir, Osman Ben Mohammad Ben Mouammar. Tous les deux entament la destruction systématique des monuments funéraires qui faisaient l’objet d’une adoration particulière de la part de la population. La destruction d’un monument en particulier va soulever la colère des habitants de l’oasis, c’est le tombeau de Zaïd Ben al-Khattab, un des Compagnons du Prophète. Une intervention de l’émir aura raison de la résistance populaire. Mohammad Ben Abdel Wahhab commence à appliquer de manière stricte la loi islamique, et ordonne la lapidation d’une femme qui avait commis une incartade, ce qui a pour effet de hâter les adhésions parmi les habitants d’Ayniyya.

Les actes politiques de Mohammad Ben Abdel Wahhab suscitent la crainte de nombreux émirs de se voir dépossédés de leur pouvoir. L’émir de l’Ihsa’a ordonna à Osman Ben Mohammad Ben Mouammar de tuer le prédicateur, sous peine d’arrêter le commerce entre les deux régions. L’émir d’Ayniyya ne put se résoudre à mettre à mort Mohammad Ben Abdel Wahhab ; il le condamna à l’exil, dans l’espoir de pouvoir le rappeler un jour. L’exilé s’installe à Dar’iyya en 1745 et y rencontre les Âl Saoud.

Présentation de la doctrine wahhabite

La tradition musulmane ou Sunna, élaborée pendant les trois premiers siècles qui ont suivi l’apparition de l’Islam, a donné aux pays conquis par les musulmans, généralement plus développés que la péninsule elle-même, un complément nécessaire au texte coranique pour le développement de la foi et de la pratique religieuses. Ces textes de la Sunna constituent un volume très important, aux éléments parfois contradictoires et soumis à des interprétations divergentes, ce qui a donné naissance à différentes écoles. Généralement, l’Islam s’adapte aux modes et aux traditions des pays conquis au moyen de l’ijma’a (le consensus) et du qiyas (l’analogie). Tout ce qui sort du cadre des hadith (propos attribués au Prophète et à ses premiers Compagnons) est qualifié d’hérésie et demeure tel jusqu’à ce qu’il y ait consensus des ulémas (théologiens) à son sujet. C’est ainsi que se fait l’adaptation.

Parmi les diverses écoles d’interprétation des textes religieux de l’Islam sunnite, l’école hanbalite est la plus rigoureuse. Elle se cantonne au contenu strict du Coran et de la Sunna comme références pour la pratique religieuse. Son caractère rigoureux en a fait le courant le moins répandu de l’Islam. Le hanbalisme prédomine néanmoins dans la péninsule arabe, notamment dans le centre de l’Arabie qui en est le foyer principal. Par ailleurs, la situation marginale de l’Arabie, à la périphérie des Empire musulmans, en a fait une terre de refuge pour toutes les sectes considérées comme hérétiques par l’Islam sunnite. Même le Hedjaz comprenait une grande variété de courants, qui vivaient en harmonie les uns avec les autres. Le culte voué aux Amis de Dieu était très répandu, avec des résidus de paganisme. L’Islam des bédouins nomades est resté un épiphénomène à travers le temps, et leur foi superficielle, avec des pratiques inexistantes.

En fin observateur de son époque, Mohammed Ben Abdel Wahhab a tôt fait de se rendre compte de la situation religieuse qui prévaut dans la péninsule arabe, et il lui impute la dégradation de la situation économique et l’insécurité endémique. D’où la nécessité pour lui d’épurer la religion de tout ce qui l’a entachée et de retrouver la pureté rituelle des trois premiers siècles de l’Islam. Constatant la déperdition de la notion d’unicité de Dieu, centrale pour l’Islam, il va appeler à sa restauration à travers la lutte contre les hérésies. Même le Prophète, à ses yeux, ne doit pas faire l’objet d’un culte particulier. Ses références sont le Coran, la Sunna, les quatre imams fondateurs des écoles de jurisprudence, et Ibn Taymiyya. Tout ce qui vient après ce penseur damascène du XIV° siècle, il le rejette.

Partant de là, le wahhabisme peut être perçu comme la forme la plus extrémiste du hanbalisme. Mais les membres de la communauté qui s’est constituée autour de la prédication de Mohammad Ben Abdel Wahhab, et les Saoudiens à l’heure actuelle, ne se définissent pas comme wahhabites. Les disciples de Mohammed Ben Abdel Wahhab se nommaient tawhidiyyoun, attachés à l’unicité de Dieu, ou musulmans tout simplement. Les Saoudiens d’aujourd’hui se présentent comme hanbalites. Pour eux, le wahhabisme n’existe que dans l’esprit des orientalistes qui ont inventé ce vocable pour définir le courant naissant. Ils sont les tenants d’une orthodoxie stricte, de l’avis même de leurs détracteurs, les juristes du Caire. Ils apparaissent ainsi comme une communauté particulièrement intégriste du sunnisme, surnommés les protestants de l’Islam.

Venu éradiquer les pratiques hérétiques qui détournaient les croyants de l’adoration du Dieu unique, Mohammad Ben Abdel Wahhab n’allait pas devenir lui-même un objet de culte. Personnage charismatique, il est nommé « al Cheikh » en signe de déférence de son vivant, mais ne fera l’objet d’aucune vénération après sa mort. Ses descendants sont connus sous le nom d’Âl al Cheikh, famille al Cheikh ; certains ont parfois été appelés à exercer des fonctions religieuses et la famille continue de bénéficier d’une grande respectabilité en Arabie saoudite. Mohammad Ben Abdel Wahhab n’est pas le fondateur d’une religion nouvelle, ni même d’un courant religieux nouveau dans l’Islam, simplement un retour aux sources. On ne peut donc pas parler de wahhabisme, ni de wahhabites. Toutefois, par commodité de langage nous nous servirons de ces deux termes pour désigner respectivement la prédication et la communauté des adeptes qui en est issue.

La condamnation de tout élitisme religieux en dehors de la grandeur divine ne se traduit pas sur le plan social et politique par un nivellement destructeur des inégalités. Bien au contraire, les écrits de Mohammad Ben Abdel Wahhab sont empreints d’un conservatisme prononcé, recommandant aux musulmans de rester fidèles aux détenteurs de l’autorité. La Zakat, l’aumône légale définie comme l’un des piliers de l’Islam, devient un devoir contraignant. Le wahhabisme se refuse à exempter les débiteurs de leurs dettes et les serviteurs de l’obéissance due à leurs maîtres. En revanche, il recommande aux maîtres de traiter leurs subordonnés avec équité, et de prendre soin de leurs serviteurs, des esclaves et des travailleurs salariés. Il fustige la cupidité et célèbre les vertus de la pauvreté qui constituerait une voie d’accès vers le paradis. Voilà pourquoi, en dépit de son conservatisme avéré, le wahhabisme s’est attiré la sympathie des couches modestes de la population comme les agriculteurs des oasis qui l’ont rallié massivement au XVIII° siècle, à une époque où l’exploitation et l’injustice étaient très fortes.

Le wahhabisme se pose en défenseur de l’harmonie sociale, tenant chaque membre de la société pour responsable d’une catégorie particulière de population : ainsi l’homme est responsable de ses parents et de sa communauté, la femme est responsable de la maison de son mari et de ses enfants, le serviteur est responsable de la fortune de son maître, etc. Sur le plan de la morale sociale, le wahhabisme prêche les vertus les plus élevées, bonté, honnêteté, patience, charité, … et condamne l’avarice, l’envie, le parjure et la lâcheté. De même, il condamne fermement les courants soufis, et tout ce qui pourrait s’apparenter à de la sorcellerie. Il interdit le tabac, l’opium, l’usage du chapelet, la musique, le chant, les rondes de Dhikr (répétition collective du nom de Dieu), et la danse.

Les wahhabites estiment que les musulmans qui ne suivent pas leur doctrine sont « associationnistes », qui associent d’autres divinités à Dieu, et à ce titre encore plus condamnables que les chrétiens et les juifs qui étaient autorisés à prier chez eux et astreints à un impôt plus faible. Chaque fois qu’ils prenaient possession d’une ville ou d’une oasis, ils détruisaient les monuments établis sur les tombes des personnages considérés comme saints et brûlaient les livres des juristes qui ne partagent pas leurs idées. Certains de ces juristes leur ont reproché de ne pas respecter la personne du Prophète, d’amoindrir son rôle et son statut dans l’Islam. Mohammad Ben Abdel Wahhab a été accusé par son propre frère Suleyman d’avoir érigé l’intolérance en sixième pilier de l’Islam.

Le wahhabisme a unifié les notables du Nedjd dans leur lutte traditionnelle contre les notables du Hedjaz. Il interdit les pèlerinages dans les lieux saints, à l’exception du sanctuaire de la Kaaba à La Mecque, privant les habitants du Hedjaz d’une partie de leurs revenus. Le pèlerinage sur le tombeau du Prophète à Médine est considéré comme impie et par conséquent banni. Le Hedjaz professait le courant le plus libéral de l’Islam, l’école hanafite suivie également par l’Empire ottoman, le principal pourvoyeur de pèlerins. Les religieux du Hedjaz redoutaient une victoire des wahhabites qui serait de nature à les priver de leur influence et de leurs sources de revenus. En outre, à La Mecque vivaient les familles de chérifs, les descendants du Prophète. Fiers de leur généalogie, ils refusaient net que quiconque leur apprenne le véritable Islam.

Les caractéristiques propres au wahhabisme en ont fait une doctrine qui, une fois mise au service d’un émir, peut le transformer de chef de razzia en combattant pour la religion vraie. A partir du moment où le wahhabisme adopte le Jihad, il devient un vecteur d’expansionnisme militaire. De plus, il recèle une fonction unificatrice qui va dans le sens de l’éradication des divisions tribales. Ainsi, les notables d’une oasis, dès qu’ils sont privés des lieux de culte élevés sur leur territoire, se retrouvent dépossédés de leur source de revenus principale et de l’influence qu’ils exercent sous le couvert de l’administration du lieu de pèlerinage. Avec la disparition progressive de ces pouvoirs locaux, Mohammad Ben Abdel Wahhab arrive à imposer un nouveau pouvoir, un pouvoir central qui va voir le jour pour la première fois dans le centre de l’Arabie, par son alliance avec la famille Âl Saoud. Vu sous cet angle politique, une certaine lecture du wahhabisme peut le présenter comme le porte-étendard d’un mouvement national arabe contre l’influence ottomane dans la péninsule arabe. La haine nourrie contre les chiites peut s’expliquer aussi par l’hostilité contre l’Iran.

L’alliance entre les wahhabites et Âl Saoud et la naissance du premier Etat saoudien

A l’heure où apparaît la prédication wahhabite, le Nedjd ne disposait pas de véritables centres de pouvoir. Les oasis-villes comme Ayniyya, Dar’iyya et Riyad n’avaient d’importance que grâce à leur situation de carrefours sur les routes qui drainaient pèlerins et marchandises venant d’Irak en direction du Hedjaz. Dans le centre de l’Arabie, la division politique continuait d’être la règle. Au début du XVIII° siècle, au cours des années 1720, Saoud Ben Mohammad Ben Moqren, le fondateur de la dynastie saoudienne, devient l’émir de l’oasis de Dar’iyya située à l’ouest de Riyad, sur la route qui mène vers Djeddah et la mer Rouge.

Le règne de l’émir Saoud Ben Mohammad Ben Moqren est court ; il décède en 1725. Sa mort ouvre la voie à une guerre de succession à l’issue de laquelle arrive au pouvoir son cousin Zaïd. Ce dernier est tué dans une guerre contre la tribu concurrente des Ayniyya. Mohammed Ben Saoud, le fils du fondateur de la dynastie, parvient à s’échapper avec un groupe de combattants et il devient l’émir de Dar’iyya. C’est lui qui offre l’asile au prédicateur Mohammad Ben Abdel Wahhab exilé d’Ayniyya. L’émir était au fait de la nouvelle prédication et avait compris le bénéfice politique qu’il pouvait en tirer. Le prédicateur usa de son influence nouvellement acquise auprès de lui pour délivrer la population de certains impôts, ce qui lui valut de pouvoir s’imposer dans la communauté de Dar’iyya.

En s’installant à Dar’iyya, Mohammad Ben Abdel Wahhab attire dans l’oasis un grand nombre de ses partisans originaires d’Ayniyya et d’autres oasis du Nedjd. L’émirat des Âl Saoud vivait dans un état de pauvreté extrême. L’arrivée du prédicateur lance une dynamique de conquêtes qui va augmenter les ressources. Le butin était partagé de la façon suivante : le cinquième pour l’émir et le reste pour les soldats. La razzia prend une signification nouvelle : confisquer l’argent des associationnistes au profit des vrais musulmans. L’émir de Dar’iyya y gagne en stature politico-religieuse ; il est surnommé imam, commandeur des croyants de la communauté des vrais musulmans.

L’émir d’Ayniyya Osman Ben Mohammad Ben Mouammar demeurait un fidèle partisan des wahhabites. Il marie sa fille à Abdel Aziz Ben Mohammad, le fils de Mohammad Ben Saoud. En 1748 naît Saoud sous le règne de qui les wahhabites parviennent au faîte de leur puissance. Cette alliance matrimoniale n’exclut pas le renouvellement de l’hostilité tribale entre les émirs des deux oasis de Dar’iyya et d’Ayniyya et la seconde finira par perdre toute indépendance au profit de la première.

Cinq ans après le début d’association entre Mohammad Ben Abdel Wahhab et les émirs de Dar’iyya, l’autorité de ces derniers sur les oasis environnantes restait chancelante. Les Âl Saoud avaient pour concurrent principal l’émir de Riyad, Daham Ben Daouass. Vers la fin de l’année 1764, les bédouins du Najran décimèrent les troupes wahhabites. Mohammad Ben Abdel Wahhab fit preuve de sens politique en se hâtant de signer un accord de réconciliation comprenant des réparations de guerre et un échange de prisonniers.
Mohammad Ben Saoud décède en 1765 et son fils Abdel Aziz lui succède. Sous son règne, l’émirat de Dar’iyya entreprend une expansion importante à travers les oasis du Nedjd qui seront nombreuses à faire allégeance aux wahhabites et à la famille Saoud. Des prédicateurs wahhabites y sont envoyés afin d’y prêcher la véritable foi en un Dieu unique. Au cours de l’été 1773, l’oasis de Riyad finit par se rendre.

Pendant les années 1780, le territoire de l’Etat saoudien s’agrandit par l’adjonction de trois grandes régions : le Djebel Chammar et le Qassim au nord de Riyad et le Kharj au sud. A cette époque, les wahhabites et leurs alliés Âl Saoud deviennent les maîtres du centre de l’Arabie. En 1788, Mohammad Ben Abdel Wahhab et l’imam Abdel Aziz prennent une décision qui va renforcer l’assise de leur pouvoir : ils confirment la fonction héréditaire de Saoud alors que son père est encore en vie. Saoud s’était déjà constitué un fort capital de sympathie par la valeur guerrière dont il avait fait preuve au combat. Mohammad Ben Abdel Wahhab met tout en œuvre pour lui assurer l’allégeance des différentes régions conquises.
A partir du centre de l’Arabie, les wahhabites vont pousser leur expansion en direction de l’est vers l’Ihsa’a et le sud de l’Irak, en direction de l’ouest vers le Hedjaz, en direction du sud-ouest vers le Yémen, en direction du sud-est vers Oman et en direction du nord vers la Syrie. Mohammad Ben Abdel Wahhab meurt en 1792, au moment où se déroule la campagne de conquête de l’Ihsa’a peuplé de chiites. Son fils Hussein lui succède à la fonction de mufti (interprète de la loi) de Dar’iyya.

Entre les wahhabites et le Hedjaz, les relations sont tendues. L’émir du Nedjd envoie des cadeaux aux chérifs successifs de La Mecque (Moussa’ed, Sourour, Ghaleb Ben Massoud) mais ces derniers sont méfiants à l’égard de la nouvelle prédication qu’ils jugent blasphématoire. Trente juristes wahhabites envoyés à La Mecque pour solliciter l’autorisation de faire le pèlerinage sont gravement malmenés. Les accrochages militaires commencent entre les deux camps en 1790, avant la mort de Mohammad Ben Abdel Wahhab. En 1798, le chérif de La Mecque autorise les wahhabites à se rendre en pèlerinage à La Mecque, ce que Saoud et sa famille feront l’année suivante.

Au début du XIX° siècle, sur ordre d’Istanbul, une campagne militaire partie d’Irak attaque les wahhabites. Ces derniers repoussent les assaillants et obligent Ali Pacha, le chef de l’armée ottomane, à signer la paix. Pourtant, cette paix n’empêche pas les wahhabites de poursuivre leurs incursions en Irak, notamment après avoir appris la nouvelle de la campagne de Bonaparte en Egypte, face à laquelle l’Empire ottoman s’est révélé impuissant. L’intérêt d’Istanbul est totalement concentré sur la vallée du Nil, ce qui laisse aux wahhabites une grande liberté d’action. En 1802, ils détruisent Kerbala, la ville sainte du chiisme où est enterré l’imam Hussein, petit-fils du Prophète. Selon les témoins de l’époque, la prise de la ville s’est accompagnée de massacres et de pillages, surtout que la sépulture de Hussein était devenue avec le temps l’objet de donations diverses d’argent et d’objets précieux. Les wahhabites quittent Kerbala anéantie avec un butin considérable. Les campagnes militaires contre l’Irak se poursuivent jusqu’en1810, mais resteront limitées, s’apparentant plus à des razzias.

Après la destruction de Kerbala, les wahhabites se donnent pour cible La Mecque. Le chérif Ghaleb Ben Massoud s’était attiré la colère de la population du Hedjaz en raison de sa gestion défaillante et des taxes exorbitantes. Les habitants du Hedjaz se tournent alors vers le Nedjd. Les wahhabites parviennent en 1802 à occuper Médine et l’oasis de Taëf. En avril 1803, ils prennent la Mecque, y effectuent le pèlerinage et détruisent tous les monuments dédiés aux héros de l’Islam. Ils interdisent aux Mecquois de fumer en public et leur enjoignent de faire le pèlerinage dans des vêtements simples. Ils remplacent Ghaleb Ben Massoud par son frère, Abdel Mou’in. Ils interdisent la prière au nom du sultan ottoman et remplacent le juriste ottoman de la ville par un juriste de Dar’iyya. La prise de La Mecque provoque une onde de choc à Istanbul. Début septembre 1803, les troupes ottomanes conduites par Chérif Pacha reprennent le contrôle du Hedjaz avec l’appui du wali d’Acre Ahmad Pacha al-Jazzar et du wali de Bagdad.

L’émir Abdel Aziz est assassiné à l’automne 1803 par un chiite d’Irak dont la famille avait été tuée à Kerbala. Saoud le remplace immédiatement. En 1806, il reprend La Mecque, profitant de la famine qui régnait dans la ville. Il prend également Yanbou’ et c’est l’ensemble du Hedjaz qui passe sous le contrôle des wahhabites. Le chérif de la Mecque conserve sa position, tout en étant dispensé du paiement de l’impôt. Il s’attire la bienveillance de Saoud en lui offrant de nombreux cadeaux. Djeddah reste sous son contrôle. En 1808, Saoud envoie des lettres aux notables de Damas, Alep et les autres villes de Syrie, les sommant d’adopter le wahhabisme. Ses troupes sèment la terreur dans la région d’Alep et font des incursions en Palestine. En 1810, Saoud parvient avec son armée jusqu’aux portes de Damas, mais il n’entre pas dans la ville. Ce sera la dernière campagne en direction du nord.

Chaque année, Saoud effectue le pèlerinage à la tête d’une importante troupe constituée par des membres de tribus différentes. Les wahhabites se mettent à entraver les convois de pèlerins qui viennent de tous les côtés de l’Empire ottoman, chargés de cadeaux, du tissu qui recouvre la Kaaba, de bijoux. Ces convois sont généralement accompagnés par des musiciens, on y danse, on y boit, et on fréquente les filles de joie, ce qui est contraire à la morale rigoriste des wahhabites. Ces derniers exigent que les convois soient plus austères et augmentent les taxes du pèlerinage.

En plus de leur expansion en direction du nord et de l’est, les wahhabites parviennent à étendre leur contrôle sur les rivages du Golfe, y compris Bahreïn, et s’infiltrent peu à peu à Oman dont ils assujettissent les différentes tribus en 1808-1809. Une fois unifiées sous leur domination, ces tribus vont se mettre à pratiquer la piraterie contre les bateaux qui naviguent entre Bombay et Bassora, notamment ceux qui appartiennent à la Compagnie des Indes orientales, ce qui va provoquer une réaction de la Grande-Bretagne qui avait depuis 1799 un représentant à Mascate. Au cours de cette première décennie du XIX° siècle, la flotte britannique commence à attaquer les bateaux omanais. En 1809, les Anglais détruisent Ras al-Khaymah et déciment l’armée de Saïd Ben Sultan, l’allié des wahhabites. Par la suite, ils chassent ces derniers du Bahreïn et de la côte. Leur influence persiste pourtant à Oman qui continue de payer 40 000 rials à l’émir de Dar’iyya.

A l’aube du XIX° siècle, la région montagneuse du ‘Assir, dans le sud-ouest de la péninsule, se rallie aux wahhabites. De là, la voie paraissait libre pour s’enfoncer dans le Yémen divisé et affaibli où les imams zaïdites avaient perdu une grande partie de leur pouvoir. Les tentatives répétées des wahhabites d’occuper le Yémen resteront vouées à l’échec. Toujours est-il, au début du XIX° siècle, ils occupent quasiment l’ensemble de la péninsule arabe.

Publié le 09/02/2015


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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