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Le deuxième Etat saoudien (1/2) : l’occupation égyptienne dans le Nedjd (1818-1840)

Par Yara El Khoury
Publié le 15/05/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

Arabian desert, Saudi Arabia

HERMES IMAGES/ PHOTONONSTOP /AFP

S’ouvre alors une période d’occupation égyptienne en Arabie, de 1818 à 1840, au cours de laquelle un membre de la famille Saoud issu d’une branche cousine des émirs de Dar’iyya parvient à créer un deuxième Etat saoudien, avec cette fois-ci Riyad pour capitale.
Cet article a pour objet ce deuxième Etat saoudien, des conditions de sa naissance jusqu’à sa disparition, avec pour commencer une évocation de la période d’occupation égyptienne dans le Nedjd.

Lire également :
Le premier Etat saoudien (1745-1818)
Le deuxième Etat saoudien (2/2) : des conditions de sa naissance à sa disparition (1843-1865)

Le Nedjd sous l’occupation égyptienne (1818-1840)

Après la chute de Dar’iyya, les troupes d’Ibrahim Pacha sévissent de manière cruelle contre les habitants, notamment les membres de la famille Saoud et de celle de Mohammad Ben Abdel Wahhab. Ceux qui ne sont pas massacrés sont exilés au Caire.

Inquiets de l’expansion des troupes égyptiennes et de leur arrivée dans l’Ihsa’a, les Anglais font un débarquement à Qatif et envoient un diplomate du nom de Sadler pour sonder les intentions d’Ibrahim Pacha. Cet Anglais sera le premier étranger à traverser la péninsule d’est en ouest et à voir Dar’iyya après sa chute. Il est chassé de Djeddah par Ibrahim Pacha à l’automne 1819. L’Egypte de Mohammad Ali est hostile à l’égard des Anglais. Le contingent britannique finit par se retirer après que la maladie eut décimé une partie de ses hommes. Fin 1819, les Anglais détruisent Ras el-Khaymah et l’administration anglo-indienne impose un accord de paix général aux dirigeants de la côte et de Bahreïn. C’est un accord de protection qui a été enrichi de clauses nouvelles au fil des années.

L’occupation du Nedjd se révèle bien vite difficile. Les troupes égyptiennes souffrent de l’éloignement d’avec l’Egypte et le Hedjaz qui constitue leur base, tout comme elles subissent l’hostilité des tribus qui attaquent les caravanes transportant des vivres. Très vite, Ibrahim Pacha retire une grande partie de ses troupes du centre et de l’est de la péninsule pour les concentrer dans les régions riveraines de la mer Rouge qui restent prioritaires aux yeux de son père, vu qu’elles abritent les lieux saints. Après le retrait partiel des Egyptiens, le centre de l’Arabie sombre dans un chaos que les troupes restantes ne tentent même pas d’arrêter. L’anarchie régnante va susciter chez les habitants du Nedjd une nostalgie pour la stabilité et la sécurité qui régnaient du temps de l’Etat saoudien.

A l’automne 1819, Mohammad Ben Moushara Ben Mouammar est nommé gouverneur du Nedjd. Il est membre de la famille qui gouvernait Ayniyya à l’aube de la prédication wahhabite. Il tente par tous les moyens d’améliorer les conditions de vie de la population qui avait été durement éprouvée par les campagnes militaires et la famine.

Retour au pouvoir des Âl Saoud : le règne de l’émir Tourki

Un autre chef apparaît à cette période, il s’appelle Tourki Ben Abdallah Ben Mohammad Ben Saoud. Né d’une branche cadette des Âl Saoud, il avait fui Dar’iyya au moment de l’arrivée des Egyptiens. Une rivalité s’installe dès lors entre lui et le gouverneur du Nedjd. Il parvient à occuper l’ensemble de Dar’iyya, puis Riyad, et il met à mort son rival. Après sa victoire, Tourki subit les représailles de Mohammad Ali qui fait encercler la citadelle de Riyad. Tous les hommes sont tués, à l’exception de Tourki lui-même qui parvient à s’enfuir. L’emprise égyptienne est rétablie sur le Nedjd où un sentiment de rébellion gronde, entretenu par le wahhabisme qui reste vivace et la croyance que les Âl Saoud sont les exécuteurs de la volonté divine sur terre.

Après sa fuite en 1820, Tourki réapparaît en 1823 dans le Nedjd vers le début de l’été. Avec des alliés de la région de Soudeir, il tente une incursion sur Manfouha et Riyad qui comptent des troupes égyptiennes importantes. Toutefois, de nombreuses régions se tiennent encore sur leurs gardes et ne lui apportent pas immédiatement leur soutien. Une révolte éclate dans le Qassim contre la politique fiscale des Egyptiens et elle contraint ces derniers à évacuer le centre de la péninsule et à se replier sur le Hedjaz en laissant des garnisons à Riyad et Manfouha. Tourki s’empresse alors de prendre ces deux villes. Le Nedjd devient ainsi libre de toute présence égyptienne. Certaines régions du Qassim font allégeance au nouveau chef.

Vers la fin de l’année 1824, Tourki s’installe à Riyad dont il fait sa capitale. Il va assujettir successivement les oasis situées autour de la ville ainsi que certaines oasis du Qassim. Situé plus au nord, Jabal Chammar reste hors de son contrôle. Il étend sa domination sur de nombreuses tribus de bédouins qui lui font allégeance, souvent sous la contrainte.

Parmi les exilés qui avaient fui le Nedjd à l’arrivée des Egyptiens et qui le regagnent après l’éviction de ces derniers par Tourki, il y a l’un des petits-enfants de Mohammad Ben Abdel Wahhab, Abdel Rahman Ben Hassan qui appelle à la restauration de l’Islam véritable, celui issu de la prédication de son illustre grand-père. L’alliance entre Âl al-Cheikh et Âl Saoud est ainsi rétablie. Il y avait également parmi les exilés rentrés dans le Nedjd, Fayçal, le propre fils de Tourki.

Après avoir occupé le Nedjd, Tourki se tourne vers l’Ihsa’a à l’est et il parvient à l’occuper à l’issue d’une bataille qui a lieu en 1830. La politique de Tourki et de son fils Fayçal dans cette région peuplée de chiites sera tolérante ; d’ailleurs l’ensemble de cette période est marqué par l’abandon des règles les plus strictes du wahhabisme. Tourki parvient progressivement à étendre son contrôle sur les côtes du Golfe et de l’océan Indien, Sharjah, Oman, Bahreïn, Qatar. A partir de 1833, toutes ces régions paient un impôt au nouvel émirat saoudien.

Le règne de Tourki est marqué par le rétablissement d’une certaine stabilité après l’invasion égyptienne. L’émir encourage le respect strict de l’Islam, mais il ne prohibe pas les transactions commerciales avec les Gens du Livre. Son règne a été néanmoins marqué par des catastrophes : la sécheresse et la famine en 1826-27, et le choléra qui fait des ravages en 1830-1832.

Tourki Ben Abdallah Ben Mohammad Ben Saoud va gouverner jusqu’à sa mort en 1834. Certains historiens voient en lui le fondateur du deuxième Etat saoudien, car il gouvernait de manière indépendante tout en reconnaissant le pouvoir symbolique des Ottomans et effectif des Egyptiens. Tourki payait peut-être un impôt aux Ottomans, mais il s’en acquittait de manière presque certaine aux Egyptiens du Hedjaz. Toutefois, on ne saurait parler d’indépendance véritable avant le retrait total des Egyptiens de l’ensemble de la péninsule en 1840.

Les imams précédents qui avaient gouverné le premier Etat saoudien étaient les descendants d’Abdel Aziz Ben Mohammad Ben Saoud. Tourki et tous ceux qui vont suivre jusqu’à nos jours descendent d’Abdallah Ben Mohammad Ben Saoud. Ce sont donc deux branches cousines issues en lignage direct du même aïeul.

La mort de Tourki et le règne de son fils Fayçal

Tourki Ben Abdallah Ben Mohammad Ben Saoud est tué en 1834 alors que son fils Fayçal affrontait une révolte au Bahreïn. Son assassin est un membre de la famille Saoud qui avait regagné le Nedjd après avoir fui l’Egypte. Pour certains, l’assassinat aurait été commandité par Mohammad Ali et pour d’autres par le gouverneur du Bahreïn.

L’assassin reste au pouvoir un peu plus d’un mois avant d’en être délogé par Fayçal qui le fait exécuter. C’est ainsi que Fayçal devient imam de Riyad. Il commence par s’assurer de l’allégeance des notables et des bédouins avant d’envoyer collecter la Zakat. Cette opération ne se fera pas sans heurts, certaines tribus et oasis refusant de payer jusqu’à ce que Fayçal les y contraigne par la force.

Au nord de l’émirat de Riyad se trouve l’émirat de Jabal Chammar et sa capitale Ha’il. Après la chute de l’émirat de Dar’iyyah, des tensions y avaient éclaté. L’émir régnant Mohammad Âl Ali avait chassé les Âl Rachid qui voulaient prendre le pouvoir. Des années plus tard, Abdallah Âl Rachid entre au service de Tourki et se rapproche de son fils Fayçal. Il lui fera allégeance à son accession au pouvoir suite à l’assassinat de son père. En signe de gratitude envers son ami, Fayçal destitue le gouverneur de Ha’il. Abdallah Âl Rachid et son frère Obeid prennent le pouvoir ; Fayçal les nomme gouverneurs de Jabal Chammar et envoie auprès d’eux un juriste wahhabite pour les assister.

Au Hedjaz, Mohammad Ali, qui avait été encore une fois vaincu dans le ‘Assir en 1835, semblait préparer une nouvelle campagne contre le Nedjd. Il demande à l’émir Fayçal de l’aider à dominer le ‘Assir, mais ce dernier se dérobe et envoie des cadeaux à son puissant suzerain.

La famine s’abat sur le Nedjd au cours des années 1835-1836 ; de nombreux habitants fuient vers Bassora. C’est la période que Mohammad Ali choisit pour réoccuper la région. Il va se servir de Khaled, un des fils de l’imam Saoud, de la première branche qui a gouverné l’émirat de Dar’iyya. Il est l’un des frères de l’émir Abdallah Ben Saoud qui a été mis à mort à Istanbul et il a vécu à la cour de Mohammad Ali.

En 1836, des troupes conduites par Ismaïl Bey quittent le Caire. Elles sont composées de Turcs, Albanais, Maghrébins, et de bédouins égyptiens. Fayçal tente d’organiser la résistance, mais ses hommes, affaiblis par la famine, manquent de combativité. Qassim est la première région à faire allégeance à Khaled Ben Saoud, suivie par Jabal Chammar où les Egyptiens destituent Abdallah et Obeid Âl Rachid à qui ils ne font pas confiance, et rétablissent Issa Âl Ali, de la famille évincée par Fayçal. Son retour au pouvoir sera bref, car la population, excédée par la pression fiscale imposée par les Egyptiens, va le chasser. Abdallah et Obeid Âl Rachid qui s’étaient réfugiés dans la steppe regagnent alors la ville de Ha’il.

En mai 1836, Ismaïl Bey et Khaled Ben Saoud entrent à Riyad et mettent fin à la première période du gouvernement de Fayçal. Leur victoire sera de courte durée. Ils sont battus en juillet 1837 dans le sud du Nedjd mais ils parviennent à se maintenir dans la région grâce au ravitaillement envoyé de Médine en 1838. Un accord intervient entre Fayçal et Khaled en vertu duquel le centre du Nedjd est placé sous le contrôle de Khaled alors que Fayçal maintient sa domination sur une partie du sud du Nedjd avec l’est de la péninsule.

En juin 1838, le gouverneur égyptien de Médine Khorshid Pacha en personne arrive dans le Nedjd avec pour mission de rassembler les chameaux pour les envoyer dans le Hedjaz. Il constitue une armée qui va déloger Fayçal du sud du Nedjd et le conduire prisonnier au Caire pour la seconde fois alors que le centre de l’Arabie tombe à nouveau sous le pouvoir direct des Egyptiens.

Khorshid Pacha gouverne le Nedjd pendant un an et demi, non par la destruction et le pillage, mais en le considérant comme faisant partie de l’Etat de Mohammad Ali. Son ambition est de réunir la péninsule et l’Irak sous son autorité, ce qui va susciter l’inquiétude des Anglais. Le consul général britannique au Caire, le colonel Campbell, met en garde Mohammad Ali contre les tentatives de prendre pied dans le Golfe, notamment au Bahreïn. Ordre est donné à la marine britannique de défendre la région. En 1839, les Anglais occupent Aden et en font une base navale et une réserve de charbon. Leur but est d’empêcher les Egyptiens d’occuper le ‘Assir et le Yémen.

En 1840, l’Empire de Mohammad Ali s’effondre dans un contexte de relations internationales lié à la Question d’Orient. Toutes les régions occupées par les Egyptiens sont évacuées et les soldats concentrés en Egypte de peur que n’éclate une guerre entre la France et l’Egypte d’une part, l’Empire ottoman et les Anglais d’autre part. Ne reste plus dans la péninsule qu’un nombre réduit de garnisons égyptiennes chargées de soutenir le pouvoir de Khaled.

Publié le 15/05/2014


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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