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Le Hezbollah (2/4). Un mouvement politique armé. A partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste

Par Félicité de Maupeou
Publié le 03/06/2013 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

An Israeli tank captured by Lebanese Shiite militia Hezbollah during the Israeli pull out from southern Lebanon in 2000, is displayed under a placard featuring Hezbollah’s leader Hassan Nasrallah at a road leading to southern Lebanon, 22 May 2005.

MAHMOUD ZAYAT / AFP

Il s’agira de se demander, à partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, quelle est l’échelle d’intervention, notamment armée, du Hezbollah : est-ce un acteur local protégeant les intérêts de la communauté chiite, notamment dans le Sud-Liban ? Est-ce un acteur libanais servant les intérêts nationaux et l’intégrité territoriale libanaise ? Est-ce un acteur régional, voire international, dont l’idéologie ne peut se limiter aux frontières du Liban ?

L’action armée du Hezbollah débute durant la guerre du Liban (1975-1990) à laquelle il prend part en tentant de suivre une stratégie nationale finalement mise à mal par son engagement dans des conflits intercommunautaires. Après la guerre, le Hezbollah mène une guérilla contre Israël dans le sud du Liban jusqu’à la libération des territoires occupés le 24 mai 2000. Enfin après la libération du Sud-Liban, le Hezbollah se redéfinit comme une force de dissuasion protégeant la stabilité du Liban dans un positionnement résolument national, cependant remis en question par son actuelle intervention en Syrie qui le positionne davantage en acteur régional.

Le Hezbollah dans la guerre du Liban (1975-1990)

Stratégie nationale du Hezbollah dans la guerre civile

Le Hezbollah nait en 1982, alors que la guerre du Liban prend un tournant communautariste. En dépit des affrontements intercommunautaires, le « Parti de Dieu » tente de se poser en acteur national en ciblant non pas d’autres Libanais mais Israël sous la forme d’une guérilla au sud du Liban.

Depuis la fin des années 1970, le Sud-Liban est le terrain de confrontation entre Israël et différents mouvements de guérilla. En 1982 la Résistance islamique, branche armée du Hezbollah, participe à cette guérilla. Elle bénéficie d’une formation efficace et de convictions politico-religieuses fortes qui accentuent la combativité de certains combattants recherchant le martyre dans la lutte contre l’occupant. Cet élément spirituel inattendu, non-comptabilisé dans l’appréciation du rapport de force, a eu un impact important. Entre 1982 et 1985, alors qu’Israël opère un retrait partiel du Liban, plusieurs partis de gauche, AMAL et le Hezbollah se mobilisent fortement contre l’état hébreu. Des insurrections populaires se déroulent dans les villes et villages du sud du Liban encore occupés par Israël. Entre 1985 et 1991, le Hezbollah supplante progressivement les autres mouvements de résistance et fait des territoires libérés au sud sa base arrière dans ses attaques contre Israël et contre les positions de l’Armée du Liban Sud [1]. En se focalisant sur la résistance au sud, le Hezbollah tente de se poser en acteur national non communautaire, et gagne en popularité dans la société libanaise.

Un acteur communautaire engagé dans la guerre civile

Néanmoins, cette stratégie nationale est difficile à défendre en temps de guerre civile. Le Hezbollah se positionne ainsi par rapport aux différents protagonistes de la guerre selon leur position vis-à-vis d’Israël. Il se pose clairement en opposant à Amine Gemayel, à la tête des phalangistes chrétiens un temps alliés avec Israël, et participe en 1984, avec AMAL et plusieurs partis de gauche, à un soulèvement contre l’armée libanaise fidèle à Gemayel. Ce soulèvement débouche sur la prise de contrôle de Beyrouth ouest et de la banlieue sud par les opposants à Gemayel et permet ainsi au Hezbollah de sortir de la clandestinité en s’installant dans la banlieue sud de Beyrouth.

En outre, le Hezbollah tente de se poser en acteur national, mais il est également rattrapé par la « guerre des camps » (1985-1987) déclenchée par la volonté du mouvement AMAL, avec l’aide de la Syrie, d’éradiquer l’OLP au Liban et d’attaquer les camps palestiniens. Cette nouvelle position d’AMAL entraîne le départ de beaucoup de ses combattants pour le Hezbollah et révèle les divergences entre les deux mouvements. Au même moment, Israël se retire du sud du Liban. Le contrôle de la zone libérée est l’objet de tensions entre les organisations palestiniennes, le Hezbollah et AMAL et débouche sur un sanglant conflit inter-chiite entre 1988 et 1990.

La question des otages

A partir de 1984, une longue série d’enlèvements vise des Occidentaux tels que Jean-Paul Kauffmann, Roger Auque ou Michel Seurat, progressivement libérés à l’exception de Michel Seurat qui meurt en captivité. Les preneurs d’otages demandent la fin du soutien de la France à la politique de Gemayel, et à Saddam Hussein en Irak. Le Hezbollah nie toujours être responsable de ces enlèvements, qu’il impute au « Djihad islamique », au « Mouvement des déshérités de la terre », et à l’« Organisation de la justice révolutionnaire ».
A la fin de la guerre en 1990, le Hezbollah poursuit et accentue sa lutte contre Israël sous la forme d’une guérilla d’un type nouveau.

Après la guerre : un mouvement de résistance armé, une guérilla d’un type nouveau

Après la fin de la guerre civile en 1990, le Hezbollah se professionnalise, s’équipe et gagne en efficacité. Un consensus national apparaît autour de la résistance, notamment après les deux opérations israéliennes, « Règlement de comptes » en 1993 et « Raisins de la colère » en 1996. Parallèlement, une complémentarité s’établit entre le Hezbollah et l’Etat libanais, qui coopèrent quelquefois sur le terrain.

Le Hezbollah, au cœur des enjeux diplomatiques régionaux

Dans la situation de blocage du processus de paix israélo-palestinien, les positions du Liban, de la Syrie et du Hezbollah se rapprochent. Le Hezbollah constitue un atout face à la supériorité d’Israël. L’Etat hébreu exerce donc des pressions militaires et politiques sur le Liban et la Syrie pour qu’ils désarment le Hezbollah, présenté à cette fin comme une organisation terroriste et un obstacle au processus de paix. Deux positions différentes apparaissent au cours du sommet international sur le terrorisme de Charm el-Cheik en 1996 : les Etats-Unis et Israël soutiennent la « position dure » de la répression et de l’éradication, tandis que la France, l’Egypte et l’Arabie saoudite tiennent une position plus politique qui appelle à résoudre les problèmes menant au terrorisme. Ce clivage empêche la création d’une coalition internationale contre le Hezbollah voulue par Israël. L’Etat hébreu est cependant soutenu par les Etats-Unis qui se méfient de l’axe Egypte-Arabie saoudite-Syrie et de la hausse de l’influence française et russe dans la région.

1996, l’opération « Raisins de la colère » : un renforcement de la crédibilité et de la légitimité locale, régionale et internationale du Hezbollah

En 1996, l’opération « Raisins de la colère » est lancée par Israël pour retourner la population libanaise contre le Hezbollah, et ainsi forcer le Liban et la Syrie à le désarmer, pour briser l’axe syro-saoudo-égyptien et pour répondre aux accusations de « mollesse » dont est victime le président israélien sortant S. Peres, en campagne pour sa réélection. Pendant 18 jours, l’aviation israélienne pilonne le sud du Liban, et pour la première fois depuis 40 ans, le sud de Beyrouth. 400 000 habitants sont en exode, 200 civils libanais sont tués, le coût des destructions matérielles s’élève à 1 milliard de dollars. Le 18 avril 1996, Israël bombarde un camp de la FINUL accueillant des réfugiés civils libanais à Cana : 102 personnes sont tuées, une centaine est blessée. Le 26 avril, un cessez-le-feu est signé au terme de longues négociations. Il reconnaît notamment le droit de défense du Hezbollah et d’Israël. Les objectifs israéliens ne sont pas atteints : la popularité du Hezbollah a augmenté au Liban et vient renforcer le consensus national autour de la résistance. A l’échelle régionale, l’axe syro-saoudien est renforcé, et le Hezbollah gagne en crédibilité auprès de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, réputés modérés. En outre, les « accords d’avril », en reconnaissant le droit du Hezbollah à se défendre, donnent une légitimation internationale au « Parti de Dieu ».

24 mai 2000, libération du Sud-Liban, quel avenir pour le Hezbollah ?

L’occupation du Liban par Israël commence officiellement en mars 1978, avec l’appui de l’Armée du Liban Sud, milice libanaise entraînée et équipée par l’Etat hébreu dans la zone occupée jusqu’au 24 mai 2000, date à laquelle elle est démantelée après le retrait d’Israël. Au cours des années d’occupation, le Hezbollah recrute de plus en plus et étend son réseau de renseignement jusqu’au cœur de l’ALS. Il mène des attaques régulières contre les positions de la milice et d’Israël.

Le 24 mai 2000 marque la fin de 22 ans d’occupation. Il s’agit de la première défaite de l’Etat hébreu dont l’armée entraînée et équipée a été fragilisée par un conflit prolongé nécessitant une mobilisation permanente. Aucun règlement de compte n’a été signalé, contrairement aux spéculations sur l’avenir de la région, qu’on imaginait à feu et à sang, et conformément aux instructions données par le Hezbollah. Une grande marche populaire se dirige vers les territoires libérés les 22 et 24 mai après 22 ans d’exil. La foule investit les villages évacués en chantant des hymnes patriotiques du Hezbollah. La prison de Khyam, symbole du système répressif d’Israël et de sa milice supplétive, est libérée dans des scènes de liesse.

Le départ des troupes israéliennes marque la victoire d’une guérilla soutenue par une population face à une armée réputée invincible. Après le départ d’Israël du Sud-Liban, quel est l’avenir du Hezbollah ? Ne perd-t-il pas sa raison d’être ? Est-il alors en mesure de se consacrer à la politique intérieure libanaise en acceptant les réformes que ce changement impose ?

L’après libération : une nouvelle légitimité, le Hezbollah comme force de dissuasion

Une nouvelle légitimité ?

Pour Walid Charara et Frédéric Domont, la reconversion du Hezbollah en un acteur politique et social, après le retrait israélien de 2000, est irréaliste. Le Hezbollah poursuit ainsi sa lutte contre l’occupation israélienne au Liban dans la région des hameaux de Chebaa. En outre, le contexte régional est menaçant pour l’avenir du Liban : la menace israélienne et l’influence américaine sont encore prégnantes. La force de dissuasion du « Parti de Dieu » aurait ainsi constitué un facteur de stabilité pour le pays. L’équation entre défense et dissuasion adoptée par le Hezbollah est une innovation du parti qui consiste notamment à mobiliser la dimension civile dans un dispositif défensif pour combler le déséquilibre des forces. Cette stratégie répond également à des objectifs régionaux : par principe et par sécurité, le Hezbollah continue à soutenir la cause palestinienne dynamisée la victoire du « Parti de Dieu » sur Israël.
Après le 11 septembre 2001, le Hezbollah est classée comme organisation terroriste par les Etats-Unis.

La guerre de 2006

Du 12 juillet au 14 août 2006, Israël mène une nouvelle campagne militaire au Liban après l’enlèvement à la frontière de deux soldats israéliens le 12 juillet 2006, « simple prétexte » selon Walid Charara et Frédéric Domont au lancement de l’opération. La guerre fait 14 000 morts, 3 628 blessés et 973 334 déplacés. Ses victimes sont essentiellement civiles, dont 30% d’enfants de moins de 12 ans, et en grande majorité chiites. En un mois, toutes les infrastructures du pays, ports, aéroports, ponts, routes, ont été dévastées, les pertes économiques sont immenses dans tout le Liban. L’équivalent de 7 millions de m2 de bâtiments résidentiels et commerciaux ont été bombardés, 235 villages du Sud-Liban ont été entièrement ou partiellement détruits. L’agriculture a été sinistrée, des mines sont encore dans les terres de la Bekaa et du Sud-Liban. La réaction « disproportionnée » d’Israël est qualifiée par Walid Charara et par Frédéric Domont de « terrorisme d’Etat » c’est-à-dire d’usage de la violence sur des civils à des fins politiques. L’objectif de cette opération était, selon les auteurs, de détruire la base sociale du Hezbollah, en vidant le sud de ses habitants pour y mener une politique de terre brûlée. L’attaque des zones à dominante chiite avait aussi pour objectif de créer des réfugiés chiites et d’exacerber les tensions communautaires contre eux. Mais le sentiment national libanais a prévalu : les réfugiés chiites ont été accueillis et le front libanais intérieur s’en est trouvé renforcé. Cette opération israélienne visait également à contrer la montée en puissance de l’Iran autour de l’axe Afghanistan-Irak-Syrie-Liban-Palestine, le Hezbollah étant présenté comme la porte d’entrée de l’Iran en Méditerranée orientale.

En 2007, date de parution de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, le Hezbollah s’inscrit dans une logique résolument nationale, ne se contentant plus d’une représentation réduite à une confrontation entre oppresseurs et déshérités, mais considérant par exemple favorablement les organisations internationales multilatérales comme l’ONU et l’Union Européenne. L’intervention actuelle du Hezbollah en Syrie vient cependant mettre à mal cette position « résolument nationale » prise par le Hezbollah au début des années 2000. Pour Amal Saad Ghorayeb [2], le Hezbollah n’est pas un agent protecteur des chiites du Liban, il se perçoit davantage comme un acteur stratégique au niveau de la région. Il ne veut pas se confiner à la politique libanaise, et ne s’est jamais considéré comme un phénomène local, contrairement à Amal. Il s’agit d’un acteur idéologique intéressé par les problèmes régionaux. Dominique Avon et Anaïs-Trissa Khatchadourian [3] parlent de la « trinité arabisme-libanisme-islamisme » constitutive du Hezbollah qui lui fait invoquer son dévouement tantôt à la nation arabe, tantôt au Liban, et tantôt à l’umma islamique. Puisant sa doctrine et justifiant ses actes dans ces trois éléments à la fois, le Hezbollah s’inscrit non seulement dans des échelles locale et nationale mais aussi régionale voire internationale, comme l’illustre sa participation actuelle au conflit syrien.

Lire également :
 Le Hezbollah (1/4) : Origines et fondements du « Parti du Dieu », à partir de l’ouvrage de Walid Charara et Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste
 Le Hezbollah (3/4). Acteur politique libanais – le processus d’intégration politique du Hezbollah. A partir de l’ouvrage de Walid Charara et de Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste
 Le Hezbollah (4/4). Acteur public et social incontournable, promu par une stratégie de communication efficace – « la société de la résistance »

Bibliographie :
 Walid Charara et Frédéric Domont, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2007
 Entretien avec Amal Saad Ghorayeb « Le Hezbollah : résistance, idéologie et politique », Paris, Confluence Méditerranée, 2007.
 Dominique Avon, Anaïs-Trissa Khatchadourian, Le Hezbollah, De la doctrine à l’action : une histoire du « parti de Dieu », Paris, Seuil, 2010.

Publié le 03/06/2013


Félicité de Maupeou est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, après une formation en classes préparatoires littéraires. Elle vit actuellement à Beyrouth où elle réalise un stage dans l’urbanisme.


 


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