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« La révolution des femmes, un siècle de féminisme arabe », film documentaire de Feriel Ben Mahmoud

Par Louise Plun
Publié le 09/03/2015 • modifié le 14/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Lors de la diffusion du film documentaire à l’Institut du Monde Arabe, l’auteur insiste sur le caractère universel de cette lutte féminine, mais indique également la particularité de sa forme dans les pays arabes. Ce n’est pas un hasard, dit-elle, si les femmes qui sont sorties dans la rue en 2011 à l’occasion des printemps arabes portaient les slogans des féministes qui s’entendaient il y a plus d’un siècle. Cela s’explique par le fait que « l’histoire du monde arabe s’est écrite avec les femmes et continuera à s’écrire avec elles. » En effet, le féminisme arabe n’est pas un phénomène nouveau, mais un mouvement vieux de plus d’un siècle, inscrivant les femmes dans les divers projets de libération, de modernisation et d’évolution sociale et sociétale de leur pays, devenant par exemple en Egypte, en 1919 lors de la révolution égyptienne, un enjeu de l’unité nationale face au protectorat britannique. Cependant, les suites des printemps arabes ont pu susciter des désillusions, notamment celui du statut de la femme au sein des sociétés, comme l’évoque la question posée au début du film documentaire : « Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bouleverser des sociétés cadenassées par le sexisme et par le patriarcat ? » A travers cette question, le film retrace donc l’histoire du féminisme arabe et soulève des problématiques tenant une place centrale aujourd’hui.

Quelques exemples dans l’histoire

Des hommes se sont engagés pour l’égalité de la femme et de l’homme et ont refusé l’interprétation traditionaliste et conservatrice de l’islam. Ainsi, l’égyptien Kassem Amin (également orthographié Qasim Amin), publie en 1899 La libération des femmes. Il s’est exposé à de nombreuses controverses et oppositions de la part des traditionalistes et conservateurs religieux. Son idée, selon laquelle le statut de la femme est le miroir de celui de la nation ainsi que de son degré de civilisation, et par continuité, de sa capacité à embrasser la modernité, n’entre, selon lui, aucunement en contradiction avec l’islam : « Je ne crois pas qu’il soit exagéré de dire que les femmes sont le fondement solide de la civilisation moderne » [2]. Tout comme le tunisien Tahar Haddad, militant nationaliste, dans son ouvrage paru en 1929 Notre femme dans la législation islamique et dans la société, affirme que la libération du pays de la présence française passe par celle des femmes. A ces avocats des premières heures du féminisme arabe, l’on trouve également des femmes. Ainsi, Hoda Charaoui est la fondatrice de l’Union féministe égyptienne, fondation soucieuse de combiner lutte patriotique pour l’indépendance et lutte pour la cause des femmes. En 1922, au Caire, elle retire son voile, ce qui constitue un geste inattendu et osé, mais inspirant pour les femmes égyptiennes ainsi que pour celles des pays arabes, comme il le fut pour la tunisienne Mounoubia Wartani, pionnière dans son pays de la résistance féminine.

La Tunisie : un espoir pour la condition féminine

Le cas de la Tunisie s’est ainsi inscrit dans cette mouvance émancipatrice vis-à-vis du colonisateur, portée à la fois par des hommes et pas des femmes. Les idées de ces penseurs vont ensuite croiser le chemin d’hommes politiques qui vont trouver le moyen de leur conférer une réalité toutefois fragile. En 1956, la Tunisie devient indépendante et Habib Bourguiba en devient le président. La même année, il fait promulguer le Code du Statut personnel [3], secoue ainsi ce qu’il appelle de « vieilles habitudes, [des] traditions à caractère sacré », répudie le « misérable chiffon » [4], instaure l’école publique pour tous, favorise l’entrée des femmes dans la vie active et légalise en 1973 l’avortement. Bien que le cas tunisien reste un cas exceptionnel et unique, il incarne l’espoir dans le monde arabe pour les femmes. L’Assemblée constituante confirme en 2014 les droits acquis par celles-ci en 1956.

L’Egypte : miroir de la difficulté

Le cas égyptien est également marqué par l’action du colonel Gamal Abdel Nasser. Dans les années 1960, Nasser, qui est au pouvoir en Egypte depuis 1954, donne le droit de vote aux femmes, permet leur entrée sur le marché du travail et proclame l’abandon du voile. Le modèle de la femme arabe moderne, constituant presque une héroïne de la modernité, se développe et inspire. Celui-ci est incarné par la danseuse Samia Ghamel, ainsi que la chanteuse Oum Kalsoum, « plus célèbre encore que Nasser », qui sont en quelque sorte le miroir cette Egypte qui fut, selon la danseuse interviewée dans le film documentaire Leila Haddad, le « centre névralgique » féminin du XXème siècle. Cependant, Nasser fait face à la résistance active des Frères musulmans dont il dénonce le radicalisme dans un discours en 1966, en disant qu’après vouloir fermer les théâtres et les cinéma, ils voudraient « tout éteindre et se retrouver dans l’obscurité […] ! ». La volonté de Nasser va cependant être confrontée à la réalité égyptienne, c’est-à-dire un pays majoritairement rural et conservateur. L’historienne Sonia Dayan-Herbrun explique cette réalité en nommant ce féminisme d’Etat de phénomène institué « par le haut » [5], et dont la façade cachait l’impact peu convainquant dans la vie de tous les jours.

Le film documentaire soulève également les limites auxquelles fut confronté le féminisme arabe. En effet, dans les autres pays comme la Syrie et l’Irak, l’évolution de la condition des femmes ne dépasse pas la simple revendication, et les indépendances engendrent bien souvent la marginalisation de la question au profit de l’unité de la nation, voir de l’unité arabe, suivant ainsi le mouvement du panarabisme. Des événements géopolitiques propres au XXème siècle portent également un coup d’arrêt aux timides avancées : on pense à la guerre israélo-arabe de 1967 qui est interprétée par les historiens non pas comme une simple défaite militaire, mais comme celle de la modernité, renversant ainsi la crédibilité politique du côté des forces conservatrices. L’historien Ghassam Salamé explique que cet événement était vu comme la « main de Dieu qui punissait les Arabes pour avoir nié leur foi, expliquant leur échec face à Israël, un pays créé lui sur une base religieuse. »

Les thèmes abordés dans le documentaire

La question religieuse

Suivant le fil de l’Histoire, le film documentaire de Feriel Ben Mahmoud est enrichi par de nombreux témoignages et entretiens. Chérifa Saadaoui, féministe et membre dès les années 1940 de « l’Union des femmes de Tunisie » explique que « la femme sortait de la maison de son père pour aller dans celle de son mari, puis de la maison de son mari pour aller au cimetière », et abordent d’autre part des thèmes poignants. Ainsi, pour Chérifa Saadaoui, l’évolution de la condition de la femme se révèle être une montagne à déplacer car la femme incarne une centralité dans la religion musulmane. Dès lors, vouloir la réformer signifierait se placer « dans l’espace de la mécréance » et de l’impiété, dans une société imprégnée par la religion musulmane. Le film met alors en évidence cette réalité : la loi religieuse et son interprétation sont au centre de la question de la libération de la femme, tout comme la modernité et la condition féminine sont indissociables.

La question du voile et du corps

Dans ce contexte, la question du voile est posée. Celui-ci incarne en effet une tension entre modernité et traditionalisme, entre signe de distinction sociale et signe d’exclusion au sein de l’espace public. L’historienne Sophie Bessis explique : « on a chargé les femmes de porter le signe identitaire de leur société et à l’époque ce signe était le voile. » Feriel Ben Mahmoud introduit le cas de l’Arabie saoudite, pays dont la religion wahhabite, le pétrole et le pouvoir dynastique sont indissociables. Selon Ghassan Salamé, derrière la modernité de façade du pays, « le pétrole a été l’ennemi des femmes » d’une part, et d’autre part sa rente a permis la diffusion du modèle puritain saoudien. Cette diffusion passe également aujourd’hui par l’utilisation d’« ambassadrices de poids », qui participent à faire du voile un objet intrinsèque à la société féminine. Ainsi, Hanan Tork, ancienne actrice égyptienne, ou Heba Kotb, présentatrice d’une émission télévisée, expliquent pourquoi elles ont décidé de porter le voile.
Feriel Ben Mahmoud donne également la parole dans son documentaire à des femmes qui posent sans complexe la question du corps.

Le film documentaire relate ainsi une histoire de la femme arabe, qui a pris racine il y a plus d’un siècle, et analyse son parcours, ses avancées et ses luttes.

Publié le 09/03/2015


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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