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La diaspora chrétienne de Palestine dans le monde

Par Olivier de Trogoff
Publié le 29/09/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Une émigration en plusieurs vagues

L’émigration des chrétiens résulte d’une longue tradition qui remonte au XIXème siècle. A l’époque, les migrants palestiniens sont tous chrétiens (l’exil des populations musulmanes ne débute pour sa part qu’à partir de 1948). Entre 1860 et 1914, plusieurs milliers de personnes quittent la Palestine pour s’installer dans l’Empire ottoman ainsi qu’en Amérique du sud. Ces premiers départs sont l’une des conséquences involontaires des interventions européennes dans la région. En effet, afin d’affaiblir l’Empire et d’y conquérir une clientèle chrétienne, la France et l’Angleterre tentent de renforcer leur présence au sein de l’Empire ottoman. L’idée est de promouvoir la présence européenne dans la région en bénéficiant du soutien d’une partie de la population. Cela se révèlera être un échec car les Occidentaux ne prévoyaient pas d’émigration massive des populations chrétiennes. Le soutien des gouvernements européens aux chrétiens du Moyen-Orient concerne surtout le Liban et la Palestine. Les gouvernements occidentaux utilisent largement les institutions religieuses, et ce même après la séparation de l’église et de l’Etat en France. A partir de 1840, l’évêché anglo-protestant ainsi que les patriarcats latins et orthodoxes de Jérusalem sont créés. Plusieurs congrégations s’installent et fondent des écoles missionnaires. Ces écoles sont confessionnelles et sont destinées aux chrétiens. Nombre d’entre eux ont donc pu accéder à un niveau d’études, de qualification et de vie plus élevé, que le reste de la population. Une majorité de chrétiens palestiniens bénéficie donc rapidement de conditions de vie supérieures à la moyenne. En outre, l’accès à d’autres langues et cultures a très tôt favorisé l’émigration et a ouvert les chrétiens sur l’Occident.
Parallèlement, de nombreux jeunes hommes fuient leur pays pour échapper à la conscription. En effet, à partir de 1909, les autorités ottomanes abolissent l’exemption de service militaire accordée jusque-là aux juifs et aux chrétiens. Les familles chrétiennes veulent d’une part que leurs enfants échappent aux conflits très meurtriers menés par la Sublime porte à l’époque et d’autre part, ils refusent d’être intégrés à l’Empire. Ce mouvement d’émigration volontaire se poursuit jusqu’en 1948. Les chrétiens choisissent de quitter la Palestine pour le monde arabe, l’Europe ou le continent américain, essentiellement dans des pays majoritairement chrétiens.

Cette émigration originelle est suivie d’une émigration non souhaitée et qui touche l’ensemble de la population palestinienne, aussi bien chrétienne que musulmane, à partir de 1948. En décembre 1947, la première guerre israélo-arabe éclate et entre 780 000 et 800 000 Palestiniens fuient dans les pays voisins sans possibilité de retour. Les réfugiés sont dispersés dans le monde entier, mais plus particulièrement en Irak, Syrie, Liban et Transjordanie. On dénombre entre 50 et 60 000 chrétiens, soit environ 35% des chrétiens de Palestine qui ont du fuir leur pays par la force. Les chrétiens bénéficiant de ressources financières supérieures et ayant créés de nombreux liens avec l’Occident, se dirigent majoritairement vers l’Australie, les Etats-Unis ou encore l’Europe. D’autres s’implantent dans l’un des pays arabes avoisinants et tentent souvent de s’intégrer aux minorités chrétiennes locales. Ce choix s’explique par les proximités linguistiques et culturelles au Levant, qui facilitent les déplacements de population. Seule une minorité défavorisée se retrouve dans les camps de réfugiés de Cisjordanie, de Gaza ou encore des pays arabes avoisinants la Palestine. Parmi eux, celui de Dbayeh au Liban, dont nous reparlerons ultérieurement. Les réfugiés chrétiens doivent parfois changer de pays d’accueil en fonction de l’évolution de la situation politique. Ainsi, en 2003, après la chute de Saddam Hussein en Irak, des réfugiés ont fui à nouveau pour finalement s’installer au Chili et y rejoindre les communautés déjà présentes.

Aujourd’hui encore, la communauté chrétienne de Palestine connaît toujours un taux d’immigration bien plus élevé que le reste de la population palestinienne. A l’inverse des autres communautés du Moyen-Orient, et contrairement aux idées reçues sur le sujet, l’émigration des chrétiens de Palestine n’est pas uniquement causée par les tensions avec la population musulmane. Les départs s’expliquent par une longue tradition d’émigration qui a permis aux chrétiens de multiplier les liens familiaux à l’étranger. D’autre part, ils sont souvent dans une situation socio-économique aisée, ce qui leur permet bien plus facilement d’être candidats à l’émigration. De plus, en tant que minorité, ils sont plus sensibles aux troubles sécuritaires, politiques et économiques qui frappent la Palestine depuis un demi-siècle. Enfin l’islamisation d’une partie des mouvements politiques de libération de la Palestine, comme le Hamas, a contribué ces dernières années à l’augmentation des menaces pesant sur les chrétiens, incitant ces derniers à partir.

Une diaspora éparpillée

On estime qu’aujourd’hui 56% des palestiniens chrétiens vivent hors de Palestine. On les retrouve dans l’ensemble du monde arabe - et notamment en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Egypte, au Maghreb ou encore dans les pays du Golfe - mais également dans des pays majoritairement chrétiens, à savoir en Europe, en Amérique du nord et en Amérique du sud.

L’Amérique du sud, et tout particulièrement le Chili, le Pérou et la Bolivie accueille ainsi la plus grande diaspora chrétienne de Palestine. Dès leur arrivée les chrétiens se lancent principalement dans des activités de commerce et se reconvertissent ensuite dans l’industrie. Après une phase originelle d’intégration économique, la diaspora s’affirme progressivement dans la sphère politique et sociale, jusqu’à devenir partie intégrante de la société. A leur arrivée, la plupart des migrants étaient d’obédience grecque-orthodoxe et ont progressivement adopté le catholicisme, majoritaire en Amérique du sud, sans que cela pose de problèmes identitaires.
Le Chili accueille la diaspora chrétienne la plus importante. Entre 300 000 et 500 000 Chiliens auraient aujourd’hui des origines palestiniennes, la plupart d’entre eux étant chrétiens. Ils sont aujourd’hui parfaitement intégrés à la population chilienne mais revendiquent leur identité au sein de celle-ci. Il existe ainsi des paroisses et une presse palestinienne. La communauté soutient activement les mouvements de libération palestiniens. En témoigne l’équipe de football El Deportivo Palestino représentant la diaspora palestinienne et évoluant dans le championnat chilien de football, qui a récemment créé la polémique pour avoir remplacé le chiffre « 1 » de leur maillot par le contour d’une carte de la Palestine. Ce fort soutien populaire à la cause palestinienne peut expliquer les positions politiques de l’actuel gouvernement chilien, qui reconnaît l’existence de l’Etat palestinien et qui a rappelé son ambassadeur en Israël lors de la dernière intervention de l’armée israélienne dans la bande de Gaza en août 2014, en raison de « Graves violations du Droit international humanitaire ».

Mais ce n’est pas parce qu’ils sont chrétiens que leur intégration dans les différents pays d’accueil de culture chrétienne est pour autant toujours aisée. En effet, de par leur origine arabe, les Palestiniens chrétiens forment toujours une minorité fragile.
C’est notamment le cas sur le continent américain (Etats-Unis et Amérique du sud), mais également au Moyen-Orient. Pour les Etats-Unis, en témoigne le film Amreeka, réalisé en 2009 par Cherien Dabis, qui retrace l’histoire d’une famille palestinienne et chrétienne installée aux Etats-Unis, lors de la guerre en Irak. Elle doit faire face à l’hostilité montante des Américains envers l’islam, et à leur incompréhension du conflit israélo-palestinien. En Amérique du sud, les chrétiens se sont très tôt regroupés en associations, comme le club union arabe palestino au Pérou, pour défendre leurs intérêts et obtenir une représentation politique et institutionnelle. Au Moyen-Orient, et notamment au Liban, la communauté doit faire face au rejet des maronites qui tiennent l’ensemble des Palestiniens pour responsables de la guerre civile qui secoue le pays du cèdre à partir de 1975, et ce même si les chrétiens n’ont pas participé aux mouvements armés de libération de la Palestine.

L’émigration affaiblit progressivement et durablement la communauté chrétienne toujours présente en Israël et en Cisjordanie. L’hypothèse de sa disparition ou de sa marginalisation dans les années à venir n’est pas à écarter. La fuite des élites a relégué les chrétiens au second plan dans la sphère politique et dans l’avènement du mouvement national palestinien. Les chrétiens dénoncent aujourd’hui le fait que les Palestiniens soient automatiquement considérés comme musulmans. D’autre part, si l’émigration se poursuit, l’assimilation des populations chrétiennes de Palestine au sein de nouveaux pays risque de mener à une lente dissolution de l’identité culturelle millénaire, unique et fragile des Palestiniens chrétiens.

Bibliographie :
 Dir Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar, Le droit au retour. Le problème des réfugiés palestiniens, Paris, Actes Sud, 2002, 401p.
 Jalal Al Husseini et Aude Signoles, Les Palestiniens, entre Etat et diaspora : le temps des incertitudes, Paris, Editions Karthala et IISSM, 2011.
 Jonathan Adelman et Agota Kuperman, The christian exodus from the Middle-East, Foundation for the defense of democracies. 19 décembre 2001.
 « Un siècle d’immigration palestinienne au Pérou. La construction d’une ethnicité spécifique », Denys Cuche, Revue européenne de migrations internationales, 2001, Volume 17, pp. 87-118.
 « L’effet papillon du conflit israélo-palestinien sur un maillot chilien », Adrien Pécout, Le Monde du 10/01/2014.

Publié le 29/09/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


 


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