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Par Clémentine Kruse
Publié le 15/01/2014 • modifié le 10/09/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

The Hagia Sophia in Constantinople par Mayer, Luigi (1755-1803). Watercolour on paper, size : 26,5x36, 1852, Private Collection ©FineArtImages/Leemage

Leemage via AFP

L’Empire ottoman face aux nationalismes

Les premières revendications nationales qui secouent l’Empire ottoman et mettent à l’ordre du jour la « question d’Orient » se déroulent en Serbie. Les Serbes sont principalement présents sur deux territoires : le pachalik de Belgrade, faisant partie de l’Empire ottoman, et des terres autrichiennes limitrophes. Les revendications nationales sont tout d’abord intellectuelles. Ainsi Dosilej Obradovic, un ancien moine, devient le promoteur des Lumières et cherche à créer un sentiment d’unité nationale parmi ces populations dispersées et en grande majorité paysannes. Karageorges est le premier à prendre les armes contre l’Empire ottoman pour gagner l’indépendance de la Serbie. Il prend Belgrade en 1806, mais elle est reprise par les Ottomans après quelques années. Victime d’une conspiration et de rivalités internes, il est assassiné en 1817. C’est alors son rival, Milos Obrenovic, qui prend la tête du mouvement d’indépendance. Autonome dès 1830, la Serbie n’est pourtant reconnue indépendante qu’en 1878, à la suite du congrès de Berlin qui ampute l’Empire ottoman d’une grande partie de ses possessions balkaniques.

Les secondes revendications nationalistes apparaissent en Grèce. Elle occupe une place très importante dans l’imaginaire européen et la population grecque constitue une véritable diaspora en Europe. Dès la fin du XVIIIème siècle, des mouvements se développent mais n’aboutissent pas à de véritables révoltes militaires. Koraïs est l’un des penseurs grecs les plus influents : il est à l’origine de la création en 1812 d’une Hétairie des Philomuses à Athènes qui se charge de fonder un réseau d’écoles et de bibliothèques dans tout le pays, mais il est également l’inventeur du grec moderne et a considérablement contribué à la propagation du philhellénisme en Europe au début du XIXème siècle. Suite à de nombreuses révoltes, durement réprimées par l’Empire ottoman, les grandes puissances européennes se réunissent à Vérone en 1823 et décident de ne pas intervenir. Mais les nombreux massacres et la prise de passion des populations européennes pour le sort des Grecs les contraignent à revoir leur position. En 1827, à la suite du traité de Londres, elles s’engagent à ce qu’un État grec autonome voit le jour : celui-ci est créé le 3 février 1830 et devient indépendant en 1832. L’Empire ottoman n’a rien pu faire face aux décisions des grandes puissances européennes.

Les revendications nationales n’ont cependant pas uniquement lieu dans les Balkans. Elles agitent également l’Empire ottoman au Proche-Orient. Ainsi, les velléités indépendantistes de l’Égypte de Méhémet Ali sont à l’origine de la première crise internationale liée à la question d’Orient. Lorsque celui-ci s’empare dans les années 1830 des villes syriennes, les puissances européennes se retrouvent divisées. La France, avec Thiers, s’érige comme protectrice de l’Égypte tandis que l’Angleterre cherche à conserver l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman. Ce ne sont désormais plus seulement les revendications nationales que doit craindre l’Empire ottoman mais également le jeu des grandes puissances européennes qui tiennent avant tout à préserver leurs intérêts économiques et politiques.

Les grandes puissances européennes et l’intégrité de l’Empire ottoman

Si les grandes puissances européennes étaient déjà intervenues dans les affaires de l’Empire ottoman, ce n’est qu’avec les conquêtes de l’Égypte que s’esquisse véritablement la question d’Orient et le problème du démembrement ou de la préservation de l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman. Cette question est d’autant plus difficile à résoudre que les intérêts européens divergent. C’est aussi à cette période que s’ébauche pour la première fois une véritable politique européenne proche-orientale et asiatique. L’écrasement des armées ottomanes par l’armée égyptienne en 1839 entraîne ainsi une crise internationale. Pour la résoudre, la France doit assouplir ses positions sur l’Égypte et le roi Louis-Philippe fait le choix de renvoyer Thiers, ferme partisan de l’Égypte de Méhémet Ali, en faveur de Guizot, anglophile. Méhémet Ali est alors contraint d’évacuer ses possessions syriennes et le second traité de Londres, datant de juillet 1841, rétablit le statu quo entre l’Égypte et l’Empire ottoman.

Suite à ce traité, l’équilibre des pouvoirs entre les différentes puissances européennes est redéfini. La fermeture des détroits à toute flotte de guerre en temps de paix fait que la flotte russe doit rester en mer Noire tandis que la flotte britannique domine la Méditerranée. La crise qui s’ouvre en 1860 dans les Balkans ne trouve son aboutissement qu’en 1878 avec le traité de Berlin. Celui-ci prive l’Empire ottoman de la plus grande partie de ses possessions balkaniques. Cependant le sort des Balkans a été le jeu une nouvelle fois d’un équilibre de pouvoirs entre les puissances européennes, plus que le résultat d’une écoute des différentes revendications nationales. Ainsi l’Autriche-Hongrie semble avoir à nouveau un rôle à jouer en Europe centrale, ce qui pousse la Serbie, frustrée de n’avoir pu constituer l’État panslave qu’elle désirait, à se rapprocher de la Russie. L’Angleterre demeure un ferme soutien de la Sublime Porte, cherchant avant tout à préserver la route des Indes et l’intégrité de son empire asiatique. La France, quant à elle, connaît une perte d’influence dans la région : elle est isolée par la politique de Bismarck, qui fait suite à la défaite militaire de 1870.

La fin de l’Empire ottoman, fin de la question d’Orient ?

Les revendications nationales ne sont cependant pas spécifiques aux minorités de l’Empire ottoman. Ainsi, la révolution des Jeunes-Turcs est avant tout nationale. En Macédoine, en juillet 1908, le IIIème corps d’armée se révolte, exigeant le rétablissement de la constitution de 1876, abrogée un an auparavant. L’Autriche-Hongrie décide alors d’annexer la Bosnie-Herzégovine sur laquelle elle avait des vues depuis longtemps. Les nationalistes russes, frustrés par la défaite de 1905 avec le Japon et l’éventualité d’un renforcement de la position de l’Autriche-Hongrie dans les Balkans, poussent le Tsar à intervenir. Face à une éventuelle intervention allemande et aux réticences de la France, son alliée, il doit se plier à la situation. L’Empire ottoman est doublement amputé. En 1909, le Sultan est destitué par les Jeunes-turcs et remplacé par Mehmed V. Cependant, les Jeunes-Turcs demeurent profondément nationalistes et toute volonté indépendantiste de la part des peuples qui sont encore sous l’égide ottomane, est durement réprimée.

La Première Guerre mondiale et notamment la défaite de l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne, sonnent la fin de la question d’Orient. L’Empire est démembré et ce sont les grandes puissances européennes qui décident des frontières, en dépit des minorités et des différentes revendications nationales. La fin de l’Empire ottoman signifie-t-elle pour autant la fin de la question d’Orient ? Nominalement, oui. Dans les faits cependant, les frontières tracées ont engendré des frustrations et n’ont pas répondu aux attentes des différents peuples. De plus, la situation au Proche-Orient est loin d’avoir été simplifiée par la disparition de l’Empire ottoman. Elle est au contraire plus compliquée que jamais avec la montée en puissance du mouvement sioniste, l’accélération de l’immigration des Juifs en Palestine, ainsi que la lutte d’influence entre la France et l’Angleterre dans la région. Si l’Empire ottoman n’est plus et que l’on ne peut plus donc, à proprement parler, évoquer une « question d’Orient », les nationalismes n’ont pas été apaisés et les enjeux politiques et économiques des grandes puissances européennes n’ont pas disparu.

La question d’Orient est donc une question qui traverse tout le XIXème siècle et qui en est constitutive. Elle représente en effet le jeu des grandes puissances européennes et leur intervention quasi constante dans les affaires de l’Empire ottoman dont le sort en dépend de plus en plus. Elle est également représentative d’une politique européenne de plus en plus tournée vers le Proche-Orient et l’Asie, maintenant que les richesses et l’importance de ces deux régions ont été prises en compte. Elle est finalement représentative de la montée des nationalismes au XIXème siècle qui a ébranlé tous les grands empires européens. Et s’ils ont été défaits par la Première Guerre mondiale, les nationalismes n’ont pas pour autant été satisfaits et continuent d’agiter ces régions.

Lire également : Lamartine, La question d’Orient, Articles et discours, Edition établie par Sophie Basch et Henry Laurens

Bibliographie :
Jean-Claude Caron et Michel Vernus, L’Europe au XIXème siècle : des nations aux nationalismes, Paris, Armand Colin, 2011, 493 p.
Henry Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 2002, 336 p.
Sous la direction de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1994, 810 p.

Publié le 15/01/2014


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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