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L’implantation progressive des églises évangélistes dans le monde musulman

Par Olivier de Trogoff
Publié le 03/11/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Les évangélistes visent tout particulièrement les communautés musulmanes et non-arabes. En usant d’un dialogue anti-arabe, les évangélistes parviennent à convaincre et à convertir. Ainsi, on recense un grand nombre de conversions au christianisme évangélique dans les régions berbères et kabyles au Maghreb, mais aussi chez les communautés kurdes (au Maroc, en Algérie, au Liban, en Irak, en Syrie ou en Iran).

Les missionnaires évangélistes, envoyés par des églises évangélistes du monde entier sont très actifs. Ils peuvent s’appuyer sur les médias internet ou télévisés en arabe, comme la radio El Mahabba, la chaîne télévisée Al Hayat ou Miracle Channel qui diffusent largement la pensée évangéliste au Maghreb et au Moyen-Orient.

Les évangélistes ne cherchent pas à convertir les musulmans en particulier, les chrétiens de la région sont donc eux aussi visés. Les communautés chrétiennes traditionnelles implantées en Syrie, au Liban, en Irak ou en Iran depuis des siècles rapportent de nombreuses conversions récentes de leurs fidèles vers le protestantisme évangéliste, considéré comme plus moderne et dynamique par les fidèles.

L’évangélisme est mal compris dans des pays où l’islam est très souvent la religion d’Etat. Le prosélytisme actif mené par les églises évangélistes à l’attention des musulmans a surpris et inquiété les pouvoirs publics de la région, qui ont tendance à interdire et sanctionner l’action de ces nouveaux missionnaires.

La présence américaine en Irak a facilité le prosélytisme évangéliste

En 2003, peu de temps avant la guerre en Irak, George W. Bush s’adresse en ces termes aux évangélistes américains : « vous êtes invités à répandre la parole de Dieu et à proclamer le royaume de Dieu ». Grand soutien de George W Bush, la communauté évangéliste s’est efforcée de présenter la guerre en Irak de 2003 comme une « guerre sainte ». L’objectif n’étant pas seulement de neutraliser le mouvement Al Qaida mais aussi de combattre « les forces du mal ». Leur objectif affiché est de convertir le peuple irakien et, dans un deuxième temps, l’ensemble du Moyen-Orient, au christianisme évangélique. Les évangélistes ont profité de la présence américaine en Irak pour étendre leurs activités. En contrepartie, ils ont soutenu le gouvernement Bush auprès de l’opinion publique américaine. Les missionnaires sont envoyés en mission par les grandes églises évangélistes américaines comme « The voice of the martyrs » ou encore « The southern baptist convention », qui prônent la diffusion du « God’s agressive love ». Le « God’s agressive love » est un concept qui prône la diffusion dynamique de l’amour de Dieu par les évangélistes à l’ensemble de l’humanité.

Les missionnaires se déplacent et importent bibles et livres d’évangélisation, par le biais de l’aide humanitaire. Sous protections armée, les pasteurs missionnaires baptistes parcourent le pays multiplient les conversions. Ils s’appuient sur des pasteurs locaux, récemment convertis, pour pouvoir plus facilement toucher la population.

Mais si leur action n’est plus freinée par le pouvoir politique, les conversions sont très mal vues au sein de la société irakienne. Les convertis assumés sont ainsi quasi-systématiquement rejetés par leur famille et se retrouvent parfois en danger de mort. La plupart des nouvelles églises restent donc confidentielles. Néanmoins, le nombre de convertis reste limité, face aux pressions sociales et politiques. Les évangélistes se sont donc tournés vers les Kurdes irakiens, chez qui ils ont rencontré plus de succès.

La région kurde voit fleurir ses premières églises

Les missionnaires évangélistes connaissent un réel succès auprès des populations kurdes, dont une partie est chrétienne. Ainsi, le message évangélique est très bien reçu dans les provinces du sud du Kurdistan irakien, à l’endroit où persiste une présence chrétienne millénaire. Les évangélistes soulignent l’importance de ces racines chrétiennes kurdes et bénéficient de plus d’un fort sentiment « anti-arabe », qui pousse de nombreux Kurdes à s’éloigner de l’islam. En outre le Kurdistan accueille depuis plusieurs années des réfugiés chrétiens chaldéens en provenance d’Irak, qui fuient les tensions communautaires. Le christianisme est donc relativement bien accepté par les autorités kurdes, qui autorisent les activités des groupes évangélistes : ils peuvent pratiquer leur culte ouvertement et accentuer leurs campagnes de conversion dans la région autonome. La première église évangéliste kurde d’Irak, L’église kurdophone du christ a ainsi été créée en 2000 à Erbil. D’autres églises sont apparues à Souleimaniye, Dahuk et Kirkûk. De nombreuses traductions du nouveau testament en langue kurde sont diffusées dans la région. Et en 2005, la première conférence évangélistes du kurdistan d’Ainkawa a rassemblé plusieurs centaines de Kurdes nouvellement convertis au christianisme.

Les missionnaires sont moins bien accueillis chez les Kurdes de Syrie. Il y aurait eu en revanche plusieurs milliers de conversions en Turquie, pays laïc depuis 1924.

Les églises évangélistes au Maghreb

Les gouvernements algériens et marocains tolèrent la présence de l’église catholique qui s’adresse surtout aux expatriés et aux immigrés. En revanche, le prosélytisme évangélique dérange beaucoup plus. En effet, les missionnaires évangélistes sont de plus en plus actifs au Maroc et en Algérie. Ils rencontrent un certain succès dans les régions kabyles et berbères où sont affirmées de fortes revendications identitaires. Mais les évangélistes sont mal vus dans les sociétés maghrébines. Nombreux sont ceux qui considèrent que les nouveaux convertis recherchent une aide matérielle ou encore des facilités d’obtentions d’un visa pour l’étranger.

Les gouvernements ont durci le ton et sanctionnent de plus en plus durement les pasteurs et même les simples croyants évangéliques. Le délit de prosélytisme envers un musulman est désormais puni de trois ans de prison au Maroc et cinq ans en Algérie. En mars 2008, le gouvernement algérien a ordonné la fermeture de 13 églises protestantes, dans la région kabyle de Tizi Ouzou. Ceci s’explique par le fait que l’Algérie et le Maroc doivent tous deux faires face à une montée de l’islam radical. Les islamistes reprochent en effet à l’Etat de tolérer le prosélytisme évangéliste et donc de trahir l’islam. Les gouvernements sont d’autant plus inquiets par ce phénomène que la plupart des conversions concernent la population berbère, et qu’elles sont ainsi souvent vues comme une contestation des autorités politiques et religieuses de l’Etat. Ces pressions ne semblent pourtant pas freiner les évangélistes qui revendiquent le droit à la liberté de culte.

A l’inverse du Moyen-Orient, il n’y a plus de communautés chrétiennes marocaines et algériennes, les conversions forment de nouvelles communautés qui s’organisent. La plupart des convertis se retrouvent en secret dans les habitations des membres de la communauté. L’évangélisation ne pouvant être publique, les croyants partagent leur foi nouvelle sur les réseaux sociaux, grâce aux radios évangélistes et tout particulièrement par la chaîne télévisée Al Hayat TV. La chaîne de télévision évangéliste en arabe Al Hayat est diffusée partout au Maghreb et au Moyen-Orient. Elle est connue pour ses critiques de l’islam et sa politique de conversion, et a une réelle portée en Afrique du Nord. On estime aujourd’hui qu’il y aurait entre 50 et 100 000 protestants en Algérie, dont une majorité de kabyles qui se sont récemment convertis à l’évangélisme. Selon la World Christian Database du Centre pour l’étude du christianisme mondial, plus de 80 000 Marocains se seraient convertis au christianisme évangélique, ces vingt dernières années, ce qui représente près de 75% des chrétiens marocains. La discrétion des églises évangélistes sur le sujet rend le dénombrement des conversions des musulmans à l’évangélisme très approximatif. Il faudra voir si ces mouvements s’inscrivent dans la durée pour comprendre leurs réels impacts sur les sociétés musulmanes.

Bibliographie :
 The Kurds, A Concise Handbook, By Dr. Mehrdad R. Izady, Dep. of Near Easter Languages and Civilazation Harvard University, USA, 1992
 Aïcha Akalay et Hassan Hamdani « Enquête : la tentation du Christ », Tel Quel Magazine le 27 mars 2010.
 Une dimension géopolitique des fondamentalismes. Le cas des Ong confessionnelles. Nicolas Masson. Revue Esprit. Mars/Avril 2007.
L’église turkophone du christ

Publié le 03/11/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


 


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