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L’Empire byzantin face aux pouvoirs musulmans (VIIe-XVe siècle)

Par Tatiana Pignon
Publié le 21/01/2013 • modifié le 06/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

"Entry of the Crusaders into Constantinople" by Gustave Doré (1832-1883)

iStockphoto

Le lancement des croisades, au tournant du XIe et du XIIe siècles, coïncide avec une reprise des hostilités entre l’Empire byzantin, allié naturel des Latins chrétiens, et divers pouvoirs musulmans. Byzance [1], toutefois, se méfie de plus en plus des puissances franques, qui chercheront d’ailleurs à la supplanter au début du XIIIe siècle : contre cette menace commune, on assiste à un rapprochement entre l’Empire byzantin et l’Empire abbasside. Face aux coups de plus en plus violents qui lui sont portés depuis l’Occident, Byzance se trouve finalement dans la nécessité de reconstruire totalement son propre État ; elle se désintéresse alors du monde musulman qui s’étend à sa porte mais qui, face au choc mongol du XIIIe siècle, voit lui aussi s’effondrer la dynastie abbasside et émerger de nouveaux pouvoirs. Ce n’est qu’avec la montée en puissance de la tribu turkmène des Osmanli, ou Ottomans, à partir du XIVe siècle, que l’affrontement entre l’Empire chrétien et une puissance musulmane reprend réellement : elle aboutira comme on sait à la défaite de Byzance, consacrée par la prise de Constantinople par les Turcs en 1453.

L’islam à l’assaut de Byzance (VIIe-VIIIe siècles)

Au moment de l’apparition de l’islam et des premières conquêtes, l’Empire byzantin, quoique considérablement affaibli, est la puissance la plus vaste d’Orient : son territoire s’étend de la côte d’Afrique du Nord à l’Asie et des Balkans au sud de la Syrie. Byzance, qui sort d’une guerre sanglante de trente ans avec la Perse sassanide, est toutefois en position de faiblesse : sa population est affamée, son économie bouleversée, ses ressources presque asséchées, ses armées épuisées. L’Empire est de plus déchiré entre l’orthodoxie chrétienne officielle et « l’hérésie » monophysite, très présente en Égypte et en Syrie. Dans ce contexte, les conquérants arabes poussés par une dynamique victorieuse et une ferveur religieuse hors du commun ont nettement l’avantage, et ne rencontrent guère de difficulté pour s’approprier la Syrie – Damas est conquise dès 635-636, et la bataille du Yarmûk en 636 installe la domination musulmane au Levant en même temps qu’elle ouvre aux Arabes les portes de l’Asie mineure byzantine – et l’Égypte, avec notamment la conquête de la capitale de la province byzantine, Alexandrie, en 641 ; à partir de là, l’expansion arabe pourra se poursuivre en direction de l’ouest, jusqu’au Maghreb et à la péninsule ibérique. Alors que les Arabes font de l’Égypte une priorité afin d’éviter de se trouver pris en tenailles par Byzance, la facilité de ces conquêtes s’explique aussi par le facteur religieux : nombre de monophysites persécutés par le pouvoir byzantin accueillent favorablement les conquérants, dont la politique religieuse, loin d’être prosélyte ou intolérante, se traduit surtout par l’imposition d’une fiscalité spécifique aux non-musulmans tout en garantissant leur sécurité et leur liberté de culte. La perte de ces deux provinces riches et brillantes, tant économiquement que culturellement, marque donc un net recul de l’Empire byzantin dans sa partie orientale, recul qui se confirme avec la conquête de l’Arménie et du Caucase par les Arabes dans les années qui suivent.

Cette première phase d’expansion arabe [2] culmine en 674, lorsque les troupes musulmanes, ayant envahi l’Asie mineure, mettent le siège devant Constantinople. Quatre ans durant, et malgré les renforts envoyés par le pouvoir umayyade, la capitale byzantine résiste : c’est finalement grâce au feu grégeois [3] que les troupes arabes sont refoulées, en même temps qu’une contre-attaque byzantine permet de reconquérir l’Asie mineure. Cette première défaite arabe conduit à la signature d’un traité de paix bilatéral, d’une durée de trente ans, qui impose au calife (l’Umayyade Mu‘âwiya) de payer un tribut à l’empereur ainsi que de retirer ses troupes de toutes les garnisons byzantines occupées. En 717, toutefois, à la faveur d’une guerre civile byzantine opposant le général Léon l’Isaurien et Théodose III, un percepteur d’impôt proclamé empereur lors d’une mutinerie contre Anastase II, les troupes umayyades assiègent à nouveau Constantinople : ce deuxième échec, resté dans l’Histoire comme une bataille décisive puisqu’elle aurait stoppé l’avancée des Arabes vers l’Europe, illustre l’endurance d’un Empire byzantin pourtant en proie à des conflits internes importants et écarte durablement la possibilité d’une conquête de Byzance par le califat musulman. La stratégie défensive des Héraclides [4] a payé.

Une stabilisation relative (VIIIe-XIe siècles)

Dès lors se met en place une sorte d’équilibre des puissances qui fonctionnera jusqu’à l’arrivée des Croisés, à la toute fin du XIe siècle. Si les combats se poursuivent pratiquement en continu, avec des conquêtes et reconquêtes localisées mais régulières des territoires frontaliers, les frontières sont toutefois plus ou moins stabilisées : l’Empire islamique contrôle toute la partie septentrionale, de la Syrie à la péninsule arabique et jusqu’au détroit de Gibraltar, tandis que Byzance domine l’Asie mineure, les Balkans et le sud de l’Italie. Si le centre de gravité de l’Empire byzantin s’est donc reporté vers l’Europe, celui-ci n’en reste pas moins la deuxième puissance du Moyen-Orient après le califat abbasside – établi en 750 et centré sur Bagdad ; il est surtout un antagoniste non seulement politique, mais aussi religieux, ce qui en fait l’ennemi naturel de l’Empire de l’Islam.

Sur toute cette période, toutefois, si effectivement les affrontements perdurent, les deux empires se concentrent davantage sur leurs problèmes internes et, éventuellement, leurs autres frontières. Ainsi, l’Empire byzantin fait face à de nombreuses querelles théologiques, entre « orthodoxie » chrétienne et « hérésies » monophysite et monothélite d’une part, entre le patriarche de Constantinople – de plus en plus lié à l’empereur – et le pape de Rome d’autre part, sur la question du culte des images notamment. Il est de plus menacé dans sa partie occidentale, aussi bien dans les Balkans qu’en Italie. Ce qu’on est convenu d’appeler la période macédonienne, entre 867 et 1081, marque toutefois un renouveau pour l’Empire byzantin, du point de vue matériel notamment : enrichie grâce au commerce, Byzance mène dans le même temps des guerres nombreuses pour protéger ses routes commerciales et ses ports, ainsi que des guerres de conquête vers l’Asie afin de s’approprier de nouvelles terres. De son côté, l’Empire abbasside en place depuis 750 bénéficie également d’une grande prospérité grâce aux routes commerciales qu’il contrôle, et doit à partir du IXe siècle composer avec un pouvoir rival, celui des Umayyades de Cordoue ; au Xe siècle, c’est à la puissance montante des Fatimides d’Égypte qu’il lui faut faire face, ainsi qu’au début de fractionnement de l’Empire en raison de la constitution de potentats locaux, voire de véritables sultanats comme en Iran. Toutes ces raisons expliquent que, bien que les relations entre l’Empire byzantin et l’Empire islamique ne soient aucunement apaisées, aucun des deux ne soit à cette époque le principal souci de l’autre ; il arrive même qu’ils puissent trouver des terrains d’entente, sur le plan commercial notamment.

Des croisades à la chute de Byzance (XIe-XVe siècles)

Cette situation change radicalement avec les croisades, lancées en 1095 par Urbain II en Occident et mobilisant dès la première plus de trente-cinq mille hommes. Dans ce mouvement visant à la « reconquête » de la Terre Sainte par les chrétiens, l’Empire byzantin voit à la fois une menace – il s’agit bien d’une puissance étrangère qui prépare une invasion de la région, ce qui met en péril l’un comme l’autre des deux empires moyen-orientaux – et une opportunité de renforcer sa position par rapport au pouvoir islamique. Les Croisés, au lieu du soutien qu’ils attendaient en arrivant à Constantinople, se voient ainsi imposer par l’empereur Alexis Ier Comnène de lui prêter serment, garantissant notamment qu’ils lui restitueront toutes les terres ayant un jour appartenu à l’Empire byzantin qu’ils pourraient prendre aux musulmans. En échange de cette promesse – promesse très lourde, puisque la Terre Sainte repasserait donc sous juridiction byzantine –, l’empereur leur fournit deux mille hommes. L’implication byzantine dans les croisades n’ira toutefois guère plus avant, d’autant plus que les Francs, qui n’avaient accepté de prêter serment qu’à contrecœur, se défont rapidement de la tutelle que tentait de leur imposer Alexis Comnène et fondent des États indépendants au Levant. En réalité, les guerres des Byzantins sont à cette époque – et depuis la défaite cuisante de Manzikert en 1071 – concentrées contre les Turcs Seldjoukides, qui étaient parvenus jusqu’à Nicée au moment de l’arrivée des Croisés. Contre la présence franque au Levant, qui menace aussi bien les possessions byzantines au nord que les territoires islamiques au sud et à l’est, les deux anciens empires ne s’unissent jamais, mais peuvent trouver des intérêts communs ; c’est en réalité un jeu de stratégies qui se met en place entre ces trois pôles de pouvoir, et qui culmine en 1204 lorsque la quatrième croisade, détournée, provoque la prise de Constantinople par les Occidentaux et la fondation de l’Empire latin d’Orient sur les ruines de l’Empire byzantin.

Le choc mongol du milieu du XIIIe siècle, la chute de l’Empire abbasside et l’apparition du pouvoir mamelouk en Égypte redistribuent considérablement les cartes de la géopolitique moyen-orientale. Alors que les États francs du Levant sont rapidement détruits et passent sous domination mamelouke, l’Empire byzantin se reforme grâce à Michel VIII Paléologue qui lance une véritable entreprise de restauration impériale. Mais les attaques venues d’Occident – notamment du royaume serbe, en pleine expansion – fragilisent profondément cet empire peu assuré, alors qu’apparaît à l’est un nouveau pouvoir montant : le clan des Osmanli, futurs fondateurs de l’Empire ottoman. Turcs convertis à l’islam, les Ottomans conquièrent la majeure partie du Moyen-Orient : les deux puissances qui leur résistent encore au début du XVe siècle sont les Mamelouks d’Égypte – qui ne céderont qu’en 1517 – et l’Empire byzantin. L’Anatolie et une partie des Balkans tombent facilement sous domination ottomane ; le troisième siège ottoman de Constantinople, effectué sous le commandement de Mehmet II en 1453, aboutit à la chute de la ville et par là même, de l’Empire byzantin tout entier.

L’Empire byzantin, quoique souvent affaibli par des facteurs divers, apparaît nettement comme la seule puissance déjà en place à la naissance de l’islam qui ait survécu à son expansion : il constitue pendant des siècles, aux yeux de l’Occident chrétien, le seul rempart face à l’avancée musulmane. Ébranlé toutefois par des dissensions internes autant que par des coups extérieurs – de la part des royaumes balkaniques et des Latins surtout –, il n’est toutefois pas en mesure, après avoir disparu une première fois, de lutter efficacement contre la puissance ottomane qui le met finalement à bas en 1453. La chute de Constantinople constitue, à ce titre, plus que la fin d’un empire : elle est un véritable traumatisme pour tout l’Occident chrétien, qui voit pour la première fois une puissance musulmane entrer sur ses terres, peur qui culminera en 1529 avec le premier siège de Vienne par les Ottomans.

Bibliographie :
 Roger Delbiausse & Charles Pellat, Civilisations, peuples et mondes. 2. L’Antiquité : Rome, Byzance, L’Islam, Paris, Éditions Lidis, 1966, 494 pages.
 Alain Ducellier dir., Le Moyen Âge en Orient : Byzance et l’Islam, des Barbares aux Ottomans, Paris, Hachette Supérieur, 1992, 320 pages.
 Bernard Lewis, Histoire du Moyen-Orient – 2000 ans d’histoire de la naissance du christianisme à nos jours, Paris, Albin Michel, 1997, 482 pages.
 Dominique Sourdel & Janine Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, 962 pages.
 José Grosdidier de Matons, article « Byzance », Encyclopédie Universalis.

Publié le 21/01/2013


Tatiana Pignon est élève en double cursus, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ainsi qu’à l’Université de la Sorbonne en Histoire et en langue. Elle s’est spécialisée en l’histoire de l’islam médiéval.


 


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