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L’Arabie Saoudite sous les rois Khaled et Fadh (1975-2005)

Par Ainhoa Tapia
Publié le 15/05/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Roi Khaled en 1975

SPA/AFP

Le règne du roi Khaled : prospérité économique et inquiétude liée aux conflits régionaux (1975-1982)

A l’exemple de ses prédécesseurs, le roi Khaled se nomme lui-même Premier ministre ainsi que ministre des Affaires étrangères. Il laisse cependant à son héritier, le prince Fadh, une grande partie des pouvoirs ministériels et en premier lieu le poste de ministre de l’Intérieur. Ce partage du pouvoir ne crée néanmoins pas de nouvelle rivalité fraternelle comme à l’époque de Saoud et Fayçal, vingt ans auparavant, car d’autres centres du pouvoir ont pris de l’importance et font contrepoids. En effet, si sous Fayçal certains princes avaient des fonctions officielles, le pouvoir du roi les empêchaient d’imposer leurs vues : ce n’est plus le cas sous Khaled. Ainsi, le prince Sultan (qui aurait dû hériter du trône après l’actuel roi Abdallah s’il n’était mort à 86 ans en 2011) est ministre de la Défense de 1962 à sa mort, de même que l’actuel roi Abdallah qui dirige la Garde Nationale de 1963 à son accession au trône en 2005. Le Conseil des ministres se divise donc en deux groupes de pression : d’une part les partisans du prince héritier et vice-Premier ministre Fadh ; d’autre part ceux d’Abdallah, second vice-Premier ministre et par conséquent également second en ligne pour la succession au trône. Le roi Khaled a alors pour rôle essentiel de temporiser, même si les princes Fadh et Abdallah ne sont pas en rivalité ouverte.

Le règne de Khaled est également l’époque où les différents conseils et commissions gagnent en importance et en premier lieu le Conseil supérieur du pétrole. Parallèlement, c’est le début de l’ère des technocrates, tant aristocratiques (membres de la famille royale qui se sont spécialisés dans un domaine), que de « pure souche » (membres issus des classes moyennes voire populaires et se sont élevés dans la hiérarchie sociale grâce à leurs compétences). Néanmoins, malgré ces nouveaux centres du pouvoir, les décisions sont prises par le souverain dont l’objectif est de poursuivre l’œuvre de son frère Fayçal, tant sur le plan économique que diplomatique.

Il profite ainsi de la prospérité économique offerte par le premier choc pétrolier de 1973 pour améliorer les infrastructures du pays lors du plan quinquennal de 1976 à 1980 : sa principale réalisation étant l’amélioration de l’approvisionnement en eau (construction de barrages et d’usines de dessalement). Il crée également l’oléoduc transarabique qui permet de transporter 100 millions de tonnes de pétrole des champs de l’est du pays au port de Yanbu en évitant le Golfe persique qui n’est pas entièrement sous contrôle saoudien. Quant au port de Yanbu, il devient un important pôle de développement dans la région. Le roi poursuit également l’œuvre de son frère dans le domaine de l’éducation et de la santé (création d’écoles et d’hôpitaux), et dans celui de l’urbanisation, ayant pour conséquence de sédentariser les Bédouins.

Cependant, toutes ces avancées sociales ne sont pas suivies d’une plus grande ouverture politique et le mécontentement populaire se fait rapidement entendre, de manière brutale, profitant du climat de révolution dans la région. En effet, les opposants reprochent à la famille royale trois choses : son laxisme religieux, son capitalisme débridé et ses liens avec les Etats-Unis, allié d’Israël. Ainsi, le 20 novembre 1979, un groupe d’extrémistes islamistes armés envahit la Grande Mosquée de La Mecque au moment de la prière du matin. Débute alors pendant deux semaines un siège meurtrier (plusieurs centaines de morts selon les différentes sources) qui prend fin avec l’intervention du GIGN français [1].
. S’en suit une répression violente et un retour à des mœurs religieuses plus strictes, en particulier concernant les droits des femmes (elles ne peuvent par exemple plus être présentatrices télévisuelles ni étudier à l’étranger). Cette même année, à la suite de la révolution de l’ayatollah Khomeiny en Iran, un soulèvement de la minorité chiite de l’est de l’Arabie saoudite est déclenché. A cela s’ajoutent les accords de Camp David signés entre Israël et l’Egypte de Sadate l’année précédente (1978). Ces accords placent l’Arabie saoudite dans une position inconfortable entre le camp du prince Abdallah considéré comme « pro-arabe » et qui veut faire front avec les autres Etats de la région contre l’Egypte, et le camp du prince Fadh qui souhaite alléger les mesures prises contre l’Egypte afin de rester dans les bonnes grâces des Américains. Fadh envisage d’aller plus loin lorsqu’il propose en 1981 un plan de paix entre Israël et la Palestine, plan qui évoque pour la première fois le droit d’exister d’Israël. Le plan est finalement refusé par Israël mais certains pays arabes y ont porté un réel intérêt. L’influence de la diplomatie saoudienne est également visible cette même année 1981 lorsque Fadh se propose comme médiateur dans la guerre civile libanaise.

Les réalisations du roi Khaled sont visibles tant sur le plan économique qu’international. Cependant, à la suite de son règne bref, son successeur doit se préoccuper des revendications populaires, sous peine de connaître de nouvelles vagues de protestation.

Le règne du roi Fadh : religion, pressions extérieures et début d’une ouverture politique (1982-2005)

Sur le plan gouvernemental et ministériel, l’arrivée de Fadh ne modifie pas l’organisation du pouvoir. Abdallah (Garde Nationale) et Sultan (Défense) restent en fonction, et la division du pouvoir demeure la même : le roi Fadh s’occupe de la politique internationale et Abdallah des affaires régionales. La question des relations avec le Yémen est néanmoins traitée par le prince Sultan, considérée comme d’ordre militaire et de défense et non d’ordre diplomatique. En effet, depuis la reconnaissance de la division du Yémen en 1970, Riyad se méfie tant d’Aden que de Sanaa (les deux capitales rivales).

Si les questions de politique extérieure ne divisent pas réellement, la politique intérieure en revanche pose problème. En effet, Abdallah est lié aux grandes tribus et aux leaders religieux, le rendant prudent sur les changements sociétaux liés au développement économique. Fadh pour sa part croit à l’autorégulation sociale, aux lois du marché et au développement rapide. Alors ministre de l’Education de 1953 à 1962, il avait notamment encouragé l’éducation des filles. Il poursuit ainsi la modernisation politique du pays au début des années 1980 en promettant la création d’une constitution et d’un parlement (majlis al-shura) après les évènements meurtriers de La Mecque en 1979. De plus, les élites elles-mêmes commencent à discuter des problèmes sociaux et de politique interne et les média mondiaux critiquent la « société fermée ». En 1992, le roi annonce officiellement la mise en place d’une assemblée consultative (majlis al-shura) dans un délai de six mois. Cependant, cette assemblée est composée de 60 notables nommés par le roi et non élus. Le roi Fadh créé de nombreuses universités islamiques, finance des associations de bienfaisance et impose des règles de vie plus strictes. Puis, en 1986, il prend le titre de « gardien des deux saintes mosquées » (La Mecque et Médine).
En politique régionale et internationale, il soutient l’Irak dans la guerre Iran-Irak (1980-1988) par crainte d’un nouveau soulèvement chiite dans l’est du pays, mais la victoire de l’Irak l’inquiète également ainsi que l’annexion du Koweït en 1990 par Saddam Hussein. Parallèlement, il se rapproche encore plus des Etats-Unis en permettant l’installation de bases américaines sur le sol saoudien à partir de 1993, puis reprend les relations diplomatiques avec la Russie.

En 1995, il souffre une embolie cérébrale et laisse la régence à son héritier Abdallah. Le régime s’ouvre alors avec une presse plus libre et le début d’un véritable débat de société. Ce débat s’accélère après les attentats du 11 septembre 2001 auxquels ont participé 15 Saoudiens, ainsi que sur le plan social avec l’augmentation du chômage des jeunes. Dans ce contexte, entre février et avril 2005, des élections municipales partielles sont organisées. Cependant, leur portée est limitée puisque seule la moitié des membres sont élus. L’ouverture politique se poursuit néanmoins puisqu’en juin, le nombre des membres du Conseil consultatif passe de 60 à 150, mais ils restent nommés.

Bibliographie :
 Articles « Khaled Ibn ‘Abd Al-‘Aziz », « Fadh Ibn ‘Abd Al-‘Aziz », et « Arabie Saoudite » Encyclopedia Universalis.
 Madawi Al-Rasheed et Robert Vitalis (ed), Counter-narratives : History, contemporary society and politics in Saudi Arabia and Yemen, New-York, Palgrave Macmillan, 2004.
 Hichem Karoui, Où va l’Arabie Saoudite ?, Paris, L’Harmattan, 2006.
 Yaroslav Trofimov, The siege of Mecca, Londres, Penguins Books, 2007.
 Alexeï Vassiliev, The history of Saudi Arabi, Londres, 2000.

Publié le 15/05/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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