Appel aux dons mardi 19 mars 2024



https://www.lesclesdumoyenorient.com/1641



Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

Plus de 3000 articles publiés depuis juin 2010

lundi 18 mars 2024
inscription nl


Accueil / Repères historiques / Analyses historiques

Ibn Saoud et la naissance du royaume d’Arabie saoudite (1/2)

Par Yara El Khoury
Publié le 14/06/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 14 minutes

SAUDI ARABIA, RYIADH : Portrait non daté du roi Abdel Aziz ibn Séoud d’Arabie Saoudite, 1er souverain de la dynastie saoudienne.

AFP

Lire la partie 2 : Ibn Saoud et la naissance du royaume d’Arabie saoudite (2/2)

La rivalité des puissances autour du Golfe au début du XX° siècle et la situation dans la péninsule arabe

La Grande-Bretagne, principale puissance mondiale à la fin du XIX° siècle, a fait du Golfe un lac britannique sur la route des Indes, par le contrôle qu’elle exerce sur Oman, les Etats de la côte de la Trêve, Qatar et Bahreïn. A la fin du XIX° siècle, l’Allemagne de Guillaume II fait son entrée sur la scène des rivalités coloniales et se rapproche de l’Empire ottoman. Le projet phare de Berlin est la ligne de chemin de fer Berlin-Istanbul-Bagdad qui doit s’étendre jusqu’au Golfe, loin des routes maritimes contrôlées par les Anglais. Les Allemands apportent aussi leur aide à la construction de la ligne de chemin de fer du Hedjaz qui relie Damas à Médine. Tous ces projets exacerbent les tensions germano-britanniques.

Au début du XX° siècle, la politique traditionnelle anglaise de préservation de l’Empire ottoman change, sous l’effet de l’extension de l’influence allemande auprès d’Istanbul. Redevenu Premier ministre en 1895, Lord Salisbury évoque ouvertement le démembrement de l’Empire ottoman, réservant à son pays une zone très vaste qui englobe la péninsule arabe, le bassin du Tigre et de l’Euphrate, l’Egypte et le Soudan. En dépit de son affaiblissement notoire, l’Empire ottoman garde des positions fortes dans la péninsule arabe. Le creusement du canal de Suez permet à ses soldats de reprendre le Yémen et le ‘Assir.

En 1908 éclate la révolution jeune turque. Un nouveau chérif est nommé à La Mecque : c’est Hussein Ben Ali qui était détenu à Istanbul avec ses trois fils, Ali, Abdallah et Fayçal. Ce dernier est élu député au Parlement ottoman lors des élections législatives décidées par les officiers turcs qui ont pris le pouvoir. Au cours de cette même année 1908 est inauguré le chemin de fer de Médine, ce qui va renforcer les positions des Turcs dans l’ouest de la péninsule.

A l’est, en revanche, l’Empire ottoman ne parvient pas à s’imposer face aux Britanniques, dans un contexte d’hostilité arabe grandissante à l’égard des Turcs. Le cheikh Mohammad al-Sabbah du Koweït intervient de plus en plus dans les affaires de la péninsule car il redoute la puissance de l’émirat de Jabal Chammar, allié des Ottomans. Il va ainsi protéger Abderrahmane Ben Fayçal Âl Saoud, réfugié au Koweït, qui clame son droit à récupérer le trône de Riyad.

En 1896, le cheikh Mohammad al-Sabbah est tué par son frère Moubarak qui sera pendant vingt ans le gouverneur du Koweït. Il se met sous la protection de l’Angleterre afin de fuir les ambitions germano-turques qui visaient à placer son pays sous la domination directe des Ottomans en y faisant déboucher la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad. Tout comme pour le Koweït, la source d’inquiétude principale pour les Anglais dans la péninsule est l’émirat de Jabal Chammar. Ils décident d’accorder leur aide à tous ses concurrents, ce qui va avoir une incidence directe sur le retour des Âl Saoud au pouvoir.

La renaissance de l’émirat de Riyad au début du XX° siècle

Au début du XX° siècle, les conditions semblent réunies pour que l’Etat saoudien puisse renaître. Les Anglais ambitionnent de se substituer à l’influence que l’Empire ottoman continue d’exercer dans la péninsule et la famille Saoud apparaît comme un recours possible pour la population de Jabal Chammar excédée par le gouvernement d’Âl Rachid.

Abderrahmane Ben Fayçal Âl Saoud entame à l’automne 1900 une série de campagnes militaires. Début 1901, c’est une coalition importante qui se lance à l’assaut du Nedjd, appuyée par les Anglais qui livrent du matériel de guerre. Elle est composée des troupes du cheikh Moubarak du Koweït, celles d’Abderrahmane et d’autres émirs de la famille Saoud. Elle échoue cependant à occuper Riyad et à envahir l’émirat de Jabal Chammar.

Les autorités ottomanes de Bagdad planifient une opération contre le Koweït mais elles ne la mettent pas à exécution de peur de se retrouver en confrontation directe avec les Anglais. En septembre 1901, la diplomatie ottomane appuyée par Berlin signe un accord visant à maintenir le statu quo avec le Koweït. En dépit de l’accord, le gouverneur de Jabal Chammar Abdel Aziz Ben Mot’eb attaque le Koweït, ce qui va susciter une réponse militaire et diplomatique immédiate de la part des Anglais. Trois semaines après son attaque, Ben Mot’eb reçoit l’ordre du sultan de se retirer dans sa capitale Ha’il.

En novembre-décembre 1901, avec l’aval de son père, le jeune Abdel Aziz Ben Abderrahmane tente une nouvelle fois de reconquérir Riyad. A la tête d’une quarantaine de combattants, il s’engage à travers l’Ihsa’a et puis se dirige vers le Rub’ al-Khali, le grand désert du sud, la troupe grossissant au fur et à mesure du ralliement des tribus à elle, jusqu’à atteindre plusieurs milliers de combattants qui attaquent les tribus et les oasis restées fidèles à Jabal Chammar.

Une fois au courant de l’équipée d’Abdel Aziz Âl Saoud, l’émir de Jabal Chammar envoie des émissaires à Istanbul pour demander de l’aide. Craignant la réaction des Ottomans, les tribus qui s’étaient ralliées à Abdel Aziz Âl Saoud le quittent et le groupe retombe à son effectif initial de quarante combattants. Alerté par les dangers que court son fils, Abderrahmane lui demande de retourner au Koweït et d’abandonner ses projets de reconquérir Riyad.

Passant outre aux injonctions de son père, Abdel Aziz arrive aux abords de Riyad le 12 janvier 1902. Laissant derrière lui une partie des hommes et des montures, il se dirige avec un groupe vers les murs de la ville qu’ils franchissent en pleine nuit au point dit al-Shamsiyyah, et se rendent chez un dénommé Jouayssir qui habite près du domicile du gouverneur de Riyad, Ojlan Ben Mohammad. Là vivait l’épouse d’Ojlan qui restait seule la nuit pendant que son mari montait la garde avec la garnison à la citadelle al-Masmak. Abdel Aziz et ses hommes s’infiltrent dans la maison bientôt rejoints par son frère Mohammad et les hommes qui étaient restés en dehors des murailles. Au matin du 15 janvier 1902, le gouverneur est abattu et la population fait allégeance à Abdel Aziz. Quand l’émir de Ha’il apprend la nouvelle, il entame des préparatifs pour reconquérir Riyad.

Entretemps, Abdel Aziz reçoit des renforts du Koweït. Il occupe al-Kharj au sud de Riyad, tout en renforçant sa mainmise sur les régions voisines afin d’assurer la défense de la ville. En mai 1902, Abderrahmane arrive sur place. Déclinant le poste de gouverneur que lui offre son fils, il le nomme émir de Riyad tout en gardant pour lui-même le titre religieux d’imam. Connaissant bien les mœurs des bédouins, Abdel Aziz savait traiter avec eux, mais il comptait principalement sur les populations sédentaires du Nedjd. Sachant également à quel point la religion est importante, il entretient de bonnes relations avec les oulémas. Il est nommé Ibn Saoud, en référence à l’ancêtre de la famille.

Le conflit avec l’émirat de Jabal Chammar et l’Empire ottoman

Au cours de l’été 1902, Ben Mot’eb mène une campagne infructueuse contre Riyad. Début 1903, quand il attaque le Koweït, Abdel Aziz vole au secours de son allié le cheikh Moubarak. Au printemps 1903, Jabal Chammar tente pour la dernière fois de reconquérir Riyad, sans succès.

Avec l’assentiment des Anglais qui observent avec beaucoup d’intérêt la montée fulgurante d’Abdel Aziz, une coalition voit le jour, qui comprend ce dernier, cheikh Moubarak et Saadoun, le cheikh de Mountafaq. Une réunion se tient à Koweït en mars 1903 pour décider d’une action commune contre Jabal Chammar. Cette guerre s’inscrit désormais dans le cadre de la course des grandes puissances pour la domination du Golfe.

Début 1904, les troupes d’Abdel Aziz envahissent le Qassim et au mois de mars occupent la ville d’Onaiza. Parmi les troupes ennemies, il y a non seulement les soldats de Jabal Chammar mais aussi des membres de la famille Saoud, notamment des petits-enfants de Saoud Ben Fayçal qui avait revendiqué auparavant le trône de Riyad. Abdel Aziz leur pardonne et leur donne le choix de se rallier à lui ou à Jabal Chammar. Ils adoptent la première option avant de se retourner de nouveau contre lui. Après Onaiza, Abdel Aziz met la main sur Burayda dont la population se rend sans difficulté. La garnison de Jabal Chammar se rend en juin 1904. Abdel Aziz permet aux soldats de regagner Ha’il avec leurs armes. Il se retrouve maître du Qassim.

La garnison qu’Abdel Aziz a laissé partir de Burayda retrouve Ben Mot’eb à mi-chemin entre cette ville et Ha’il. Le dirigeant de Jabal Chammar avait persuadé les Ottomans de lui envoyer des renforts ; deux mille soldats et six canons sont dépêchés sur place sous le commandement du colonel Hassan Chukri. Dans un courrier à Abdel Aziz, ce dernier lui enjoint de se désolidariser du Koweït et des Anglais et de se placer sous la protection d’Istanbul afin qu’il puisse bénéficier des mêmes avantages que Jabal Chammar. Abdel Aziz répond par une fin de non recevoir.

Au cours de l’été 1904, Abdel Aziz établit des contacts avec le major Percy Cox qui est devenu le représentant de Londres dans le Golfe. L’arrivée des troupes turques dans la péninsule inquiète le gouvernement anglais. Une série de batailles s’engage entre elles et l’émirat de Riyad entre juin et septembre 1904. Abdel Aziz en sort vainqueur.

Prenant la mesure de ce qu’il vient de réaliser, et redoutant une réaction turque, Abdel Aziz s’empresse d’envoyer des courriers au wali de Bassora, l’assurant de son allégeance à l’égard du sultan. Les autorités ottomanes acceptent ses marques d’allégeance, mais mettent sur pied un contingent de trois mille hommes. Parallèlement, elles négocient à Koweït avec Abderrahmane, en présence de cheikh Moubarak. La Porte ottomane offre d’ériger le Qassim en zone tampon entre Ha’il et Riyad et d’installer une garnison à Burayda et une autre à Onaiza afin d’en préserver la neutralité. Abderrahmane tente de se dérober, promettant de soumettre les propositions turques aux habitants du Nedjd. Entretemps, les troupes ottomanes arrivent dans le centre du Nedjd, avec des renforts de 750 soldats venus de Médine. En avril 1905, elles investissent Burayda et Onaiza, y hissent le drapeau ottoman et font dire la prière du vendredi au nom du sultan. Le Nedjd est divisé en unités administratives rattachées au wilayat de Bassora. Abdel Aziz est réduit à la fonction de gouverneur de Riyad, totalement inféodé aux Ottomans.

L’intérêt des Ottomans est bientôt détourné vers le Yémen où se produit un soulèvement conduit par l’imam Yehia Ben Hamid Eddine. Bientôt, l’occupation ottomane du Nedjd se relâche du fait du manque de nourriture, des maladies et la multiplication des désertions. Dans ce contexte, les combats reprennent entre Ha’il et Riyad. Le 13 avril 1906 a lieu une grande bataille entre les deux camps dans le Qassim. Ben Mot’eb y trouve la mort, ce qui provoque la débandade dans les rangs des soldats de Jabal Chammar.

Le nouvel émir de Ha’il est Mot’eb Ben Abdel Aziz Ben Mot’eb. Un accord est passé entre lui et Ibn Saoud, en vertu duquel il reçoit toutes les régions situées au nord de Qassim et Abdel Aziz le Qassim et toutes les régions qui lui sont méridionales. Au mois de juillet 1906, Istanbul décide d’évacuer le Nedjd. Selon les estimations, 4 500 soldats turcs sont arrivés dans le Nedjd en 1904. Fin 1906, quand ils évacuent, il n’en reste plus qu’un millier. Les autres sont morts au combat, suite à des maladies ou des désertions.

Le 29 décembre 1906, le nouvel émir de Ha’il est tué avec trois de ses frères par les fils de Hammoud Âl-Rachid. Seul son plus jeune frère est sauvé et envoyé à Médine qui était contrôlée par les Ottomans. Cette période qui va de 1906 à 1912 est pour l’émir de Riyad une période de conflits incessants avec l’émirat de Ha’il qui vivait lui-même une situation extrêmement confuse, du fait de la lutte sans merci entre les différentes branches de la famille Âl Rachid. Abdel Aziz subit les retournements d’alliances qui se produisent très souvent chez les tribus. En 1908, il doit également affronter de nouvelles menaces. D’une part une sécheresse extrême s’abat sur le Nedjd, en particulier sur la région de Riyad, alors qu’à Jabal Chammar il continue de pleuvoir. L’émir de Riyad voit certaines tribus le quitter et se rendre à Ha’il.

Mais la menace la plus importante qui se fait jour cette année-là provient du Hedjaz où le nouveau chérif, Hussein Ben Ali, va se révéler un concurrent sérieux pour Abdel Aziz. Afin de prouver sa loyauté à l’égard des Ottomans, il entreprend une expédition contre le ‘Assir qu’il conquiert au nom du sultan.

A la fin de l’été 1910, le chérif Hussein engage ses troupes contre le Nedjd et capture en chemin Saad, le frère d’Abdel Aziz. Face à la ténacité de la résistance dont fait preuve Ibn Saoud, et ne s’attendant pas à une guerre de longue durée, il accepte de négocier. A l’issue des négociations, Abdel Aziz accepte de reconnaître la suzeraineté du sultan et à lui payer 6 000 livres par an. Saad est relâché et Hussein se retire vers La Mecque.

L’Ihsa’a est un objectif constant pour la famille Saoud en raison de la richesse de ses oasis, ses débouchés vers la mer et ses recettes douanières. Mais Abdel Aziz mesure bien l’emprise que les Anglais exercent sur cette zone, comme sur les côtes de la péninsule. En 1911, il se rend au Koweït où il rencontre le représentant de la Grande-Bretagne. Un accord verbal est passé entre eux. L’émir de Riyad renonce à toute prétention sur Mascate et Oman, il reconnaît la protection britannique sur son émirat et s’engage à ne pas faire de guerre sans en avertir ses protecteurs. En contrepartie, il contrôlera l’Ihsa’a, al-Qatif, l’île de Darine et le port d’al-‘Aqir, les Anglais garantissant qu’aucun Etat n’interviendrait du côté de la mer.

En 1912, après sa défaite dans les guerres balkaniques, Istanbul envoie une délégation conduite par le wali de Bassora auprès d’Abdel Aziz. Ce dernier reproche à ses visiteurs la mauvaise gestion dont l’Empire ottoman s’est rendu coupable dans les pays arabes. Il propose la tenue d’un congrès des chefs arabes dans une ville neutre afin de leur permettre de s’exprimer et de choisir un mode de gouvernement, sous la forme d’un Etat arabe unique, ou de plusieurs Etats disposant d’une autonomie très large dans le cadre de l’Empire ottoman. Les propositions d’Abdel Aziz n’étaient pas pour plaire aux dirigeants Jeunes-Turcs, mais ils n’avaient pas les moyens d’engager une riposte militaire.

Au début de l’été 1912, le chérif Hussein attaque à nouveau le Nedjd et empêche ses habitants de faire le pèlerinage, dans un nouvel épisode du conflit qui devait à terme conduire à la conquête du Hedjaz par le Nedjd.

Création du mouvement des Ikhwân (les frères)

Il manquait à Ibn Saoud pour consolider son pouvoir la force unificatrice d’une prédication religieuse, comme celle qui avait porté l’élan de ses aïeux, les fondateurs du premier Etat saoudien. C’est alors qu’apparaît dans le Nedjd le mouvement des Ikhwân, vraisemblablement vers le début de l’année 1913. Le débat sur leurs origines reste ouvert : pour certains, Abdel Aziz Ben Saoud a lui-même créé ce mouvement ; pour d’autres, les fondateurs sont plutôt le cadi de Riyad Abdallah Ben Mohammad Ben Abdel Latif, de la famille al Cheikh, le cadi de l’Ihsa’a, cheikh Issa, et un homme du nom d’Abdel Karim al Maghribi qui est arrivé dans la péninsule au XIX° siècle.

Le mouvement est basé sur la stricte observance des cinq piliers de l’Islam, l’obéissance absolue au chef et l’entraide totale entre les frères. Il prohibe tout contact avec les étrangers européens. Les communautés d’Ikhwân s’établissent dans les oasis, là où l’agriculture est possible. Elles attirent à elles les grandes tribus qui progressivement, à leur contact, abandonnent leur mode de vie nomade. La solidarité tribale cède la place à la solidarité des membres de la confrérie. Le nombre de communautés augmente rapidement. Estimées à 52 en 1920, elles sont 120 en 1929.

La sécheresse et les contraintes de la vie bédouine incitent de nombreuses tribus à faire le choix de la sédentarité. De plus, afin de rester hors de portée des Turcs et des Anglais, les bédouins évitent de se déplacer vers la Syrie et l’Irak. Ibn Saoud va encourager les nomades dans leur mouvement, leur fournissant tout ce qui est nécessaire à leur mode de vie sédentaire. Il envoie les moutawe’ pour leur enseigner la religion et leur fournit armes et munitions pour le combat au nom de la foi. Les moutawe’ étaient issus de la catégorie la plus basse des oulémas. Leur tâche relevait de l’espionnage au service du pouvoir, avec une forme restreinte de prédication. Dans les grandes communautés, Ibn Saoud envoyait des cadis de la famille al Cheikh. Les émirs des communautés recevaient un traitement spécial, et de l’aide en fonction des services rendus. En principe, la condition pour faire partie des Ikhwân est l’abandon de la vie tribale. Mais dans la réalité, la répartition des frères dans les communautés se faisait sur la base des liens tribaux. Les communautés deviennent les sièges des chefs de tribus, ce qui met en échec le dessein d’Ibn Saoud de venir à bout de leur pouvoir.

La ferveur religieuse des Ikhwâm leur commandait de se soumettre à la volonté de Dieu et de ses représentants sur terre. Et ils s’attendaient à recevoir la juste récompense de leurs efforts, non pas par le butin des razzias, puisque ces dernières ne devaient plus exister, mais par le butin gagné dans la guerre menée contre les associationnistes, c’est-à-dire tous ceux qui ne partagent pas leurs convictions. C’est d’ailleurs l’ardeur guerrière qui le plus souvent va avoir le dessus sur l’ardeur mise aux travaux des champs, car des nomades belliqueux ne pouvaient pas devenir du jour au lendemain de bons agriculteurs. Au sein des communautés, il subsistait une forme de ségrégation entre les tribus nobles qui fournissaient les agriculteurs combattants et celles, plus modestes, qui fournissaient les travailleurs dans l’industrie, la construction, etc., tous considérés comme inaptes aux activités guerrières et confinés dans les villages en temps de guerre. Les combattants se battaient le plus souvent avec leurs propres matériels et montures. Leur zèle va augmenter considérablement les capacités guerrières de l’émirat d’Ibn Saoud.

Les Bédouins étaient traditionnellement éloignés de la vraie pratique religieuse, en raison notamment de leur mode de vie nomade. Leur passage à la sédentarité est vécu comme un retour à la vraie foi, ce qui donnera lieu à des manifestations de zèle extrêmes que l’on observe généralement chez les nouveaux convertis. Pour se démarquer des autres musulmans, ils remplacent le keffieh par une calotte blanche, se rasent la moustache et raccourcissent leur barbe qu’ils teignent au henné parfois. Ils raccourcissent également leur tunique blanche jusqu’aux genoux. Ils interdisent la musique, sauf les tambours de guerre, ne boivent pas de café car il n’était pas connu du temps du Prophète et évitent de fumer. Sont également prohibés l’alcool, la soie, les dorures, les jeux de hasard, la divination, et la magie. Leurs tendances égalitaires pouvaient relever d’une forme de protestation contre le luxe dont s’entouraient les dirigeants.

Ibn Saoud lui-même n’était pas fanatique. Il n’a jamais fait entièrement confiance aux Ikhwân, en raison de leur origine tribale et par défiance envers leurs propensions égalitaires. Mais il a su tirer profit de leurs qualités guerrières tant qu’il en avait besoin.

La prise de l’Ihsa’a

Ibn Saoud profite de la défaite de l’Empire ottoman dans les guerres balkaniques pour commencer dès le début de l’année 1913 à se préparer à attaquer l’Ihsa’a, avec une armée de bédouins, de sédentaires et d’Ikhwân, sans que ces derniers ne constituent toutefois le plus gros des troupes. L’Angleterre ne fait rien pour l’en dissuader, bien au contraire.

L’attaque commence au mois d’avril 1913 et, rapidement, la ville de Hufuf tombe, suivie par al-Qatif, puis c’est toute la province qui est reprise aux Ottomans. Ibn Saoud nomme Abdallah Ben Jalwa gouverneur de l’Ihsa’a et ce dernier engage une véritable répression contre la population chiite de la province. L’Ihsa’a revêt une très grande importance de par sa situation sur les rives du Golfe ; il assure le ravitaillement du Nedjd, région dépourvue de richesses naturelles. Produits alimentaires, textile et armes font défaut et doivent être importés.

L’Angleterre joue cependant double jeu et en mars 1914 signe avec l’Empire ottoman un texte qui délimite leurs zones respectives. La ligne tracée va du Qatar jusqu’aux frontières du Yémen. Toutes les zones situées au nord de cette ligne appartiennent à l’Empire ottoman y compris le Nedjd et l’Ihsa’a. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale rendra ce texte caduc. De son côté, l’Empire ottoman tente de trouver une sortie de crise honorable. C’est ainsi qu’il aurait signé le 15 mai 1914 un traité donnant à Abdel Aziz, ses fils et ses petits-fils la propriété du Nedjd à condition qu’ils conservent leur allégeance à l’égard du sultan, hissent le drapeau ottoman sur les bâtiments administratifs, s’abstiennent de traiter des Affaires étrangères, et combattent auprès de l’armée ottomane. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Abdel Aziz Al Saoud niera l’existence de ce texte.

Se défiant à la fois des Anglais et d’Ibn Saoud, les Ottomans conservent leurs contacts avec les dirigeants de Jabal Chammar à qui ils promettent armes, argent et nourriture. Ibn Saoud demeure dans la certitude que son émirat reste fragile et menacé. Eclate alors la Première Guerre mondiale.

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
 La pénétration allemande dans l’Empire ottoman à la fin du XIXème siècle (1880-1914)
 Jeunes-Turcs et révolution de 1908 dans l’Empire ottoman
 Hussein et la famille Hachémite
 Le premier Etat saoudien (1745-1818)
 Le deuxième Etat saoudien, première partie : l’occupation égyptienne dans le Nedjd (1818-1840)
Le deuxième Etat saoudien, deuxième partie : des conditions de sa naissance à sa disparition (1843-1865)

Publié le 14/06/2014


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


Diplomatie

Arabie Saoudite

Histoire