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Guerre civile au Yémen du Nord (1962-1970)

Par Ainhoa Tapia
Publié le 05/06/2012 • modifié le 21/07/2017 • Durée de lecture : 8 minutes

1962-1965 : Egypte contre Arabie saoudite, une guerre civile très internationale

Le coup d’état est préparé depuis l’Egypte. Avant d’entamer les actions militaires, les principaux responsables, avec à leur tête Abd al-Rahman al-Baydani, obtiennent le droit de diffuser sur Radio Le Caire, en direction du Yémen, des messages destinés à alimenter les oppositions populaires, tant sur des critères religieux (les Chafiis contre les Zaydites) que géographiques (les Qahtanis, natifs du Yémen, contre les Adnanis, arrivés au Yémen à la suite du prophète). Le coup d’état est une réussite sur le plan militaire : le 26 septembre dans la nuit, des tanks assiègent à Sanaa le bâtiment où l’imam al-Badr travaille, le contraignant à la fuite. Mais les nouveaux dirigeants méconnaissent les réalités politiques du pays : le nouveau président, Abdullah al-Sallal, est un jeune officier d’une famille peu connue, ayant étudié en Irak dans les années 1930, et poussé sur le devant de la scène politique par ses camarades lors du coup d’Etat.

Le 27 septembre 1962, deux discours sont prononcés devant la foule à Sanaa, l’un par Baydani, tête pensante du coup d’état, l’autre par Muhammad al-Zubayri, chef de file de l’opposition libérale sous l’imam Ahmad. Si tous deux sont opposés au pouvoir d’al-Badr, leur vision de l’avenir du pays est néanmoins divergente. En effet, il devient très vite clair pour l’ancienne opposition libérale que le coup d’état est une manœuvre égyptienne et que la révolution est « importée ». Ainsi, des soldats égyptiens arrivent en masse pour soutenir Sallal après sa prise de pouvoir. Début 1963, ils sont déjà 15 000 et, six mois plus tard, leur nombre a doublé. Certains commencent alors à critiquer l’implication de Nasser dans les affaires yéménites. Dans le même temps, des volontaires venus de tout le pays, du Yémen du Sud, d’Afrique et du Moyen-Orient, soutiennent la nouvelle république. Ils sont ainsi des dizaines de milliers à se réunir à Ta’izz et Sanaa. Quant à la population, le sentiment qui domine est la peur car le coup d’état est l’œuvre des militaires. En effet, si la figure de l’imam Ahmad constituait une menace lointaine, les militaires étaient craints pour leur tyrannie sous son règne. En outre, lorsque le nouveau régime demande aux officiers locaux de soutenir la république, il devient évident pour la population que le pouvoir local va rester aux mains des militaires. Dans certains endroits, des révoltes paysannes éclatent, cependant rapidement maîtrisées. Dans d’autres, à l’inverse, la république suscite l’enthousiasme et de nombreux volontaires s’engagent dans les forces armées.

Les réactions à l’étranger, en particulier celles vis-à-vis de l’intervention de l’Egypte, divergent quant à elles. L’Arabie saoudite est la première à réagir. En effet, une révolution soutenue par l’Egypte est une menace bien trop importante. Le pays arme donc immédiatement les troupes royalistes yéménites. Quant aux Britanniques, ils hésitent car si le Foreign Office est plutôt favorable à la nouvelle république, le Colonial Office est extrêmement hostile à Nasser (l’humiliation de la nationalisation du canal de Suez et de l’échec de l’attaque franco-israélo-britannique de 1956 est encore cuisante dans les esprits). La plupart des dirigeants britanniques en poste à Aden étant cependant fortement opposés à l’Egypte nassérienne, c’est la position du Colonial Office qui l’emporte. Cette décision est renforcée dès novembre 1962 : à cette date, les Egyptiens aident à la création de l’Armée de Libération Nationale destinée à libérer le sud du pays de l’influence britannique. Cette armée est dirigée par un officier, Qahtan al-Shabi, ancien agriculteur. Elle est rejointe en février 1963 par le Front de Libération Nationale (FLN), également dirigé par al-Shabi, bras armé du premier mouvement de gauche yéménite, initialement créé à Aden : le Mouvement des Arabes Nationalistes (MAN).

Il apparaît cependant que la nouvelle république a besoin du soutien de l’Egypte pour survivre : les libéraux (avec à leur tête Muhammad al-Zubayri, Ahmad Numan et Abd al-Rahman al-Iryani) sont ainsi contraints à faire des compromis. S’ils exigent en interne une révision constitutionnelle, ils forment également une délégation comprenant des membres de la coalition libérale mais aussi des membres des deux plus grandes fédérations tribales du pays (Abdullah al-Ahmar pour la fédération Hashid et Amin Abu Ra pour la fédération Bakil). Cette délégation doit se rendre au Caire pour négocier avec Nasser directement. Ce projet n’aboutit cependant pas, le président Sallal ayant déclaré l’état d’urgence, fait arrêter certains des libéraux et fait exécuter des cheiks compromis dans cette délégation. Le président reprend ainsi en main le pays avant de se rendre en Syrie, en Irak et finalement en Egypte. A partir de ce moment, les libéraux se méfient du pouvoir et décident d’agir. Ainsi, en septembre 1963, ils organisent une conférence au nord de Sanaa, à Amran, à laquelle sont invités des cheiks républicains et royalistes. La formation d’un conseil de paix y est envisagée. En outre, une nouvelle délégation est à nouveau formée qui parvient à se rendre au Caire. Mais cette initiative échoue en raison d’un durcissement politique. Cette situation amène plusieurs cheiks à passer des rangs républicains à ceux des royalistes. En effet, la plupart ne doivent leur allégeance qu’à des raisons purement personnelles et non pas idéologiques.

1965-1970 : désengagement des alliés et fin de la guerre civile

A la mi 1965, la situation commence à s’embourber. En effet, sur le plan militaire, les Egyptiens n’ont gagné aucun territoire lors des raids menés au nord et à l’est de Sanaa et ce, en dépit des moyens mis en œuvre, tant financiers que militaires (60 000 soldats encore déployés au Yémen). D’autre part, la situation est également difficile pour les libéraux (Numan, Zubayri et Iryani). Numan se consacre à l’écriture d’un livre, The interested parties in Yemen, où il explique que l’impossibilité de régler le conflit en cours par la voie pacifique n’est pas tant liée à l’existence de deux camps opposés, puisque toute l’histoire du Yémen a reposé sur ces oppositions (grandes familles de sayyeds arrivées avec le prophète contre grandes familles de qadis, nobles autochtones ; Zaydis contre Chafiis), qu’à l’incapacité des deux camps à s’écouter pour parvenir à un compromis. Zubayri, pour sa part, crée un nouveau parti, le Parti de Dieu, et se rend dans le nord afin de chercher du soutien parmi les tribus pour une trêve générale. Il est assassiné le 1er avril 1965 à Barat sans avoir mené sa mission à bien. Son assassinat choque la population et contraint le président Sallal à nommer Numan Premier ministre, pour éviter une révolte populaire.

Avec ce changement ministériel, une conférence de paix est organisée et se déroule à Khamir début mai. Des invitations sont envoyées aux principaux cheiks du pays, tant républicains que royalistes. Mais la trêve ne peut être réellement effective que si l’Egypte et l’Arabie saoudite mettent également fin aux combats. Le Premier ministre Numan demande ainsi le 10 mai au roi Fayçal d’Arabie d’assister aux négociations. Cette conférence est cependant un échec car le 27 juin, le président Sallal convoque un conseil suprême des forces armées. Numan démissionne, quarante de ses partisans sont emprisonnés et certains cheiks quittent le pays pour le Yémen du Sud, l’Arabie saoudite et le Liban.

Pendant ce temps, l’activité militaire égyptienne sur le territoire yéménite se poursuit jusqu’à ce que Nasser et Fayçal décident de se rencontrer, au grand dam de Sallal, du MAN et du FLN. Numan est alors rappelé pour préparer les négociations futures entre les deux camps. Cependant, au même moment, le FLN organise une conférence pendant laquelle est rédigée une « Charte nationale » et exige que la révolution prenne un tournant socialiste. Malgré toute cette opposition, un cessez-le-feu est officiellement déclaré par Nasser et Fayçal en août 1965. Les délégations yéménites royalistes et républicaines se rencontrent donc à Harad, à la frontière saoudienne, et l’Egypte fait pression sur les républicains pour qu’ils acceptent la formation d’un Etat islamique que l’Arabie a exigé dans les négociations. Mais les républicains refusent et les négociations prennent fin.

Les combats se poursuivent donc jusqu’à début 1966 lorsque le départ des Britanniques d’Aden ouvre de nouvelles perspectives. Si Numan souhaite la réunification du pays, Nasser s’y oppose, ne souhaitant pas donner le Yémen réunifié aux libéraux qui sont plus difficiles à contrôler. Ainsi, les Egyptiens créent, avec l’aide du FLN, le Front de Libération du Sud Yémen Occupé (FLSYO).

Pendant ce temps, en août 1966, Sallal est revenu au Yémen après six mois passés au Caire. La popularité du président a encore baissé. Montrant son désaccord, une partie du conseil présidentiel quitte le Yémen pour l’Egypte dès le retour du président, donnant à Sallal l’opportunité de former un nouveau conseil, pro-égyptien cette fois-ci. En outre, pour renforcer encore plus leur position, les Egyptiens bombardent les tribus rebelles et, en particulier, celles qui avaient participé à la conférence de Khamir en mai 1965.

Si la situation semble favorable à l’Egypte, elle évolue à la suite de la guerre des Six Jours de juin 1967. En effet, les Egyptiens sont défaits et ne peuvent plus garder de soldats au Yémen, toutes leurs troupes étant mobilisées pour la revanche contre Israël. Il est donc nécessaire de trouver au plus vite une solution au conflit yéménite et, en août/septembre 1967, une commission tripartite (Irak, Maroc et Soudan) se réunit à Khatoum avec l’accord de Riyad et du Caire pour décider d’un compromis au Yémen. Sallal est outré et de nombreuses manifestations se déroulent à Sanaa durant lesquelles les Yéménites montrent leur désaccord à cette décision. Cependant, le retrait des troupes égyptiennes à la mi-octobre et le renvoi au pays de l’ancien conseil présidentiel retenu jusqu’alors au Caire montrent que le sort du Yémen est décidé par les puissances régionales. Sallal fuit alors à Moscou et un nouveau gouvernement dirigé par le libéral Iryani voit le jour.

Néanmoins, les royalistes n’ont pas perdu espoir et cherchent à profiter du départ des troupes égyptiennes pour encercler Sanaa début décembre 1967. Mais, des troupes volontaires républicaines, les Forces Armées de Résistance Nationales (FARN), sont créées avec l’arrivée de nombreux Yéménites du Sud (anciennement britannique). Le siège dure soixante-dix jours et s’achève avec la victoire républicaine. Cette victoire marque la fin des combats. En effet, si jusqu’en 1970 des combats sporadiques ont encore lieu au nord du pays dans les fiefs royalistes près de la frontière saoudienne, la réouverture en février 1968 des deux principales routes menant à Hudaydah et Ta’izz met en évidence que les principaux combats ont pris fin.

De nombreux cheiks, tant chaffis comme Abd al-Raqib, que zaydites comme Hassan al-Amri, ancien Premier ministre de Sallal, surnommé le Napoléon yéménite, ont contribué à la victoire. Cependant, les tensions et rivalités entre les différentes factions de l’armée républicaine (cheiks indépendants, MAN et FLN) augmentent et, en mars 1968, al-Amri et le MAN sont sur le point de se battre au sujet d’une cargaison d’armes arrivée à Hudaydah. Les seuls à bien s’entendre sont les FARN et les cheiks, car même les cheiks anciennement royalistes ont des exigences très similaires à celles des FARN. Mais cette entente ne doit pas cacher les véritables et importantes dissensions qui traversent la nouvelle république récemment victorieuse : entre la gauche chafii d’al-Raqib et la droite zaydite d’al-Amri, entre le Haut et le Bas Yémen, entre les partisans de deux républiques séparées et le FLSYO qui rêve d’un Yémen unifié. En 1970, la guerre civile a pris fin mais les tensions politiques n’ont pas disparu. La nouvelle république a donc survécu à la guerre, elle doit maintenant se consolider en temps de paix.

Voir également
 Le Yémen de l’imam Yahya (1918-1948) : la difficile création d’un Etat moderne
 Fin de l’imamat zaydite au Yémen (1948-1962)

Bibliographie

 Article « Yémen » Encyclopedia Universalis.
 Noel Brehony, Yemen divided : the story of a failed state in South Arabia, London, 2011.
 Victoria Clark, Yemen : dancing on the heads of snakes, Yale, 2010.
 Paul Dresh, A history of modern Yemen, Cambridge, 2000.
 Sarah Phillips, Yemen and the politics of permanent crisis, New York, 2011.

Publié le 05/06/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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