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Entretien avec Bernard Cornut – Les hydrocarbures au Moyen-Orient : réserves et exploitation des gisements

Par Bernard Cornut, Olivier de Trogoff
Publié le 25/11/2014 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Il revient pour Les clés du Moyen-Orient sur les réserves des hydrocarbures au Moyen-Orient, sur l’exploitation des gisements, et sur les enjeux énergétiques de la Syrie.

Comment peut-on estimer les réserves actuelles d’hydrocarbures au Moyen-Orient ?

Depuis 30 ans, nombreux sont ceux qui prévoient une diminution rapide des réserves de pétrole. Or en réalité, l’estimation des réserves dépend surtout aujourd’hui du coût admis pour les exploiter. Plus le prix international du pétrole augmente en termes réels, plus les réserves augmentent, car les coûts d’exploitation élevés deviennent alors admissibles. Tout gisement a un coût qui évolue avec son épuisement, certains sont chers à exploiter comme les hydrocarbures de schiste et d’autres sont moins chers. Ainsi, lorsque les prix sont élevés, l’exploitation des pétroles et gaz de schiste ou de gisements offshores en eaux profondes devient rentable et elle ne l’est plus en cas de diminution des prix. L’estimation des réserves dépend donc de l’évolution des prix et donc des politiques de contrôle des prix menées par les différents acteurs du secteur. Le prix du pétrole est en effet manipulable en fonction de l’ouverture des robinets. Ainsi les sanctions américaines contre l’Iran, l’invasion de l’Irak ou encore la guerre en Libye ont fait décroître la production et augmenter les prix sur la période 2008 à mi 2014.

Si le prix du pétrole est à la baisse, comme depuis l’été 2014, certains pays doivent arrêter de produire sur certains gisements. Logiquement, dans un monde libéral, les pays ayant du pétrole peu cher devraient prendre le contrôle de l’industrie mondiale du pétrole, car non seulement ils font le plus de profits, mais ils sont en mesure de modifier les prix à la hausse ou à la baisse, en adaptant leur production.

Par exemple, le pétrole saoudien est devenu relativement coûteux et son exploitation pose certains problèmes. Depuis 1975 en Arabie saoudite, on sait que l’exploitation pétrolière des sociétés américaines a détruit plusieurs nappes phréatiques, ce qui compromet les ressources en eau de l’est de la péninsule.
En revanche, l’exploitation du pétrole irakien est nettement plus aisée, en temps de paix. Certains gisements d’Irak sont connus depuis l’antiquité sumérienne et très faciles à exploiter, car ils affleurent presque à la surface du sol. La Mésopotamie est en effet une plaine en subsidence qui se tasse et exerce une pression faisant remonter naturellement le pétrole à la surface. En conséquence, les coûts d’exploitation du pétrole irakien sont extrêmement faibles. Les derniers appels d’offres internationaux remportés à fin 2009 par Shell devançant Total étaient à 4$ le baril, alors que le prix mondial tourne autour de 110$ le baril. Les gisements irakiens sont donc les plus rentables au monde et ont toujours fait l’objet des convoitises britanniques et américaines. Churchill a écrit en février 1922 : « Je suis arrivé à la conclusion que tant que les Américains n’auront pas une part du pétrole de l’Iraq nous ne verrons pas la fin de nos problèmes au Moyen-Orient ».
Les réserves irakiennes sont aujourd’hui encore considérables, le gouvernement baathiste ne publie plus les découvertes entre 1972 et 1990, et on peut supposer que l’Irak possède les réserves facilement exploitables de pétrole les plus importantes au monde, devant l’Arabie et le Venezuela. Mais aujourd’hui, le pays est bloqué par les guerres et les suites de l’occupation américaine, et ne peut tirer pleinement profit de ses ressources pétrolières. Depuis 2003, les Américains cherchent à faire passer une loi irakienne des hydrocarbures, permettant la régionalisation de la décision, c’est-à-dire l’autonomie des régions pour négocier les contrats pétroliers et d’autre part, la possibilité légale de contrats de partage de production (les sociétés qui investissent sont rémunérées par pourcentage du pétrole sorti). Ces dispositions avantageraient grandement les grandes sociétés anglo-saxonnes et sont déjà appliquées par le gouvernement régional kurde d’Irak, contre l’avis du gouvernement central. D’autre part, le gouvernement de Bagdad ne contrôle plus une partie de son territoire depuis plusieurs mois, en raison de l’avancée de l’Etat islamique (EI) dans la région.

Quelles sont les perspectives à long terme concernant l’exploitation des gisements dans la région ?

La politique mondiale du pétrole est très complexe, les pays du nord ont tendance à gaspiller et les pays du sud ont besoin de pétrole bon marché si l’on veut protéger leurs réserves forestières. Le problème en effet est que dans les pays en développement, le pétrole sert surtout à l’éclairage et à la cuisson. S’il devient trop cher, les ressources forestières seront surexploitées et risquent de disparaître. Ainsi, la forêt soudanaise a reculé de près de 400 km en une centaine d’années. Il faudrait donc substituer au pétrole, le gaz, qui est moins polluant et moins cher, ce qu’ont fait l’Algérie et le Maroc par exemple, ce qui a pu freiner la déforestation dans ces pays.

Les Américains ont pu temporairement diminuer leurs importations et accroitre leur indépendance en exploitant le pétrole et le gaz de schiste, mais cela pose problème car les coûts sont aujourd’hui très élevés. De plus, les protestations contre la pollution s’intensifient. En cas de forte diminution des prix du pétrole, ces exploitations ne seraient plus rentables. Les Etats-Unis devraient donc freiner l’extraction du pétrole et du gaz de schiste et continuer à importer du pétrole de l’extérieur. Au Moyen-Orient aussi, la prospection et l’exploitation des hydrocarbures de schiste, notamment en Jordanie, ne semblent donc pas une solution pérenne.

Concernant les découvertes récentes de gaz au large de la côte israélienne, leur exploitation à l’avenir n’est pas certaine. Le gaz est situé à grande profondeur, les coûts d’exploitation sont donc très élevés, il y a des contentieux et déjà des abandons. La pérennité de l’exploitation n’est pas garantie. Les réserves sont ici aussi difficilement estimables, les compagnies pétrolières ont tendance à surestimer leurs réserves réelles, car les réserves constituent des actifs pour les sociétés, ce qui joue sur leur valeur en bourse.

En conséquence, la production mondiale doit être régulée par une politique mondiale globale, pour respecter les différents équilibres économiques et assurer une meilleure protection de l’environnement. Sans cela, il y a de grands risques de violence générés par la tentation de générer des rentes pétrolières.

Quels sont les enjeux énergétiques de la Syrie ?

D’importants gisements de gaz ont été découverts avant 2011 près de Raqqa. La prospection et l’exploitation n’ont pu se poursuivre suite à l’éclatement de la crise syrienne en 2011. Avant 2011, la Syrie avait lancé des négociations à propos de l’exploitation et du transport du gaz naturel. Deux projets s’opposaient. L’Iran et l’Irak proposaient de faire un gazoduc vers la Méditerranée, pour exporter leurs productions vers la Turquie et au-delà vers l’Europe et/ou créer des unités de liquéfaction sur la côte, afin d’exporter par navires méthaniers. Un projet de gazoduc concurrent était défendu par le Qatar, pays très riche en gaz, exporté aujourd’hui essentiellement comme gaz liquéfié. Le gouvernement syrien a jusqu’ici privilégié le partenariat avec l’Iran et l’Irak.

Le fait que la Syrie soit aussi un territoire de transit pour transporter le pétrole irakien, et l’eau du Sud-est turc, multiplie les conflits d’intérêts sur le territoire syrien. Ces données permettent de voir la guerre actuelle sous un nouvel angle et permettent d’expliquer en partie le jeu des alliances en cours.

L’entreprise GDF Suez est très présente dans la région, à Qatar notamment, et aussi en Russie ; elle pourrait éventuellement jouer un rôle de médiateur pour rassembler tous les acteurs au sein d’un partenariat commun. Si un gazoduc entre les gisements du Golfe et la Méditerranée pouvait convenir à tous les acteurs de la région, les tensions seraient moindres et les prix du pétrole et du gaz pourraient être amenés à se stabiliser. Pour cela, il faudrait un accord global sur la gestion de l’énergie, et non une compétition pour la captation des rentes, qui conduit dans la plupart des cas au conflit armé.

Publié le 25/11/2014


Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.


Bernard Cornut est ingénieur de Polytechnique et du génie rural, des eaux et des forêts. Son expérience professionnelle inclut de 16 ans hors de France en Libye, au Zaïre, au Liban, en Syrie, en Iraq (PNUD-FAO), en Egypte, en Turquie et au Maroc. A Ankara, il fut conseiller en jumelage sur l’efficacité énergétique au ministère de l’Energie, puis conseiller au ministère de l’Environnement, où il a œuvré notamment pour promouvoir la réhabilitation thermique des immeubles résidentiels. Son dernier poste fut au Maroc comme conseiller en jumelage.
Il est retraité de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) où il a travaillé 25 ans.
bernardcornut@orange.fr


 


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