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De nouvelles salles accessibles au public au musée national de Beyrouth

Par Mathilde Rouxel
Publié le 16/12/2016 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Lebanon, Beirut, Beirut National Musem open 1942, Roman-Byzantine room with marble statue found in Beirut in the foreground.

MAISANT Ludovic / hemis.fr / Hemis / AFP

Un musée presque centenaire

Le site officiel du Musée national de Beyrouth (1) offre un historique de ces collections exceptionnelles conservées dans ce bâtiment égyptisant, et dont la collecte a commencé en 1919, durant la Grande Guerre, sur l’initiative du commandant Raymond Weill. Les premières antiquités regroupées par cet officier sont d’abord exposées dans une salle de l’immeuble des Diaconesses allemandes, préludant à l’ouverture de l’un des musées considérés les plus riches du Moyen-Orient. La collecte de fonds destinée à la mise en œuvre de la construction d’un musée dédié à cette histoire antique nationale débute en 1923. Le projet des architectes Pierre Leprince Ringuet et Antoine Nahas sont retenus ; les travaux débutent en 1930 et s’achèvent en 1937. Officiellement inauguré en 1942, le musée regroupe alors toutes les antiquités recueillies sur le territoire libanais.
En trente ans, avant le début de la guerre civile et la fermeture du musée en 1975, les fouilles réalisées à travers tout le pays ont considérablement enrichi les collections.

Le musée pendant la guerre civile libanaise (1975-1990)

D’abord simplement fermé au public au début des hostilités, le musée, placé sur la ligne de démarcation et sujet à de violentes attaques, sert rapidement de caserne durant les quinze ans de la guerre civile libanaise. Des mesures de protections sont prises au plus vite face à l’escalade de violence : les petits objets exposés dans les vitrines sont retirés et cachés au sous-sol, les mosaïques au sol sont protégées par une couche de béton et les pièces trop volumineuses sont recouvertes de sacs de sable. L’intenable situation de 1982 engage la Direction générale des Antiquités à renforcer encore la protection de ces dernières œuvres : des chapes de béton sont coulées sur des structures en bois encadrant sarcophages et statues.

On se souvient peut-être à cet égard des images filmées par le cinéaste libanais Bahij Hojeij qui rendait hommage dans son film Le Musée National, défi à l’oubli (sorti en 1996) à ce monument remarquable. Le cinéaste était présent avec sa caméra lorsque ces chefs d’œuvre furent libérés de leurs coques : les pans de béton tombent de part et d’autre des sarcophages dans un nuage de poussière qui dévoile, en se dispersant, des sculptures d’une finesse remarquable. Le film suit la restauration du musée, en mettant parallèlement en scène le personnage d’une jeune touriste munie d’un guide, qui tente de retrouver la splendeur passée de ce musée exceptionnel.

Lorsque la guerre prend fin en 1991, le musée est en effet dans un état dramatique : criblé d’impacts d’obus, laissant voir de larges plaies béante, le bâtiment laisse l’eau s’infiltrer et endommager les pièces protégées dans le musée. Les miliciens qui occupaient les lieux pendant les combats avaient laissé sur les murs les traces de leur passage. Le fait que le musée ait été construit sur une nappe phréatique a augmenté le risque d’humidité dans le bâtiment : au sous-sol, elle atteignait près de 90% (2). Des bombardements avaient par ailleurs provoqué un incendie dans une aile adjacente du musée, entrainant la disparition de matériel archéologique et de documents bibliographiques.
Les premières mesures de restauration du musée sont prises en 1995, et concernent d’abord une réfection du bâtiment lui-même, qu’il s’agit d’isoler à nouveau, d’éclairer et de protéger. Sa première réouverture est célébrée le 25 novembre 1997 ; il ferme à nouveau ses portes en juillet 1998, pour encore un an et demi de travaux de réfection et de modernisation de la muséographie.

Collections

Les collections s’étendent principalement depuis l’ouverture du musée en 1999 sur deux étages, et présentent des pièces datant de la préhistoire à l’Empire ottoman. Des collections préhistoriques, on recense une riche collection d’outillage lithique, pourtant rare au Paléolithique inférieur (1M-150 000 avant J.-C.). L’apparition d’objets en cuivre, notamment dans la région de Byblos, témoigne de la première sédentarisation sur le sol libanais. L’âge du bronze, qui annonce la fin de l’ère préhistorique, marque l’avènement de l’apparition de l’écriture et d’une civilisation urbaine. Des tombes royales retrouvées à Byblos (notamment le sarcophage du roi Ahiram, sur lequel se trouvent gravées des inscriptions en caractères phéniciens) annoncent l’enracinement d’une culture du commerce maritime : des relations se développent avec l’Egypte et avec le monde syro-mésopotamien, des cités fortifiées font leurs apparitions, mises au jour par les fouilles archéologiques. De nombreuses statuettes retrouvées sur les chantiers sont exposées au public.

L’âge du fer est au Liban celui des dominations assyriennes et perses ; c’est aussi celle de l’apogée de la civilisation phénicienne, dont Sidon fait figure de capitales. Les collections présentent des bijoux en or et en pierres précieuses, de la céramique - dont les formes aux influences multiples attestent des relations importantes entretenues avec les cités du bassin méditerranéen, notamment la Grèce antique -, mais aussi des sarcophages ou des éléments d’architecture qui permettent de prendre conscience du carrefour culturel qu’était à cette époque le Liban : l’art perse, égyptien, grec se mêlent pour la création d’objets d’une grande finesse et d’une grande richesse.

La conquête d’Alexandre le Grand sur le roi perse Darius III en 333 av. J.-C. provoque une hellénisation de la Phénicie. Sur le plan artistique, l’influence grecque est remarquable dans l’art funéraire (stèles, sarcophages) ou la statuaire, qui s’applique désormais à représenter les dieux grecs. La culture locale reste pourtant très ancrée : si l’influence grecque, dont témoigne la statue de Vénus retrouvée lors des fouilles du centre-ville de Beyrouth, reste prégnante dans la région jusqu’au premier siècle av. J.-C., les statuettes en terre cuite, moins précieuses, proposent dans leur esthétique des formes plus expressives, qui dépasse le simple symbolisme religieux apporté par l’art hellénistique. De cette intégration et cette adaptation de l’art grec par les Phénicien résulte une symbiose culturellement riche, qui s’illustre particulièrement dans la région de Sidon (site de Boustan ech Cheikh) et de Tyr (Oumm el-‘Amed).

La conquête romaine menée par Pompée en Méditerranée a conduit à l’annexion en 64 av. J.-C. de la Phénicie à l’empire romain. Le règne d’Auguste permet l’extension dans la région de la pax romana (3). Cette paix permet le développement de cités comme Tyr, Béryte, Baalbek, qui connaissent une véritable période de prospérité. Les villes s’étendent, les monuments religieux et civils se multiplient ; de riches nécropoles ont dévoilé des murs peints de style romain du IIe au IVe siècle ap. J.-C., représentant les divinités et les scènes de la mythologie romaine. Si de nombreux philosophes romains viennent vivre à Byblos ou Tyr, l’élite intellectuelle locale reste néanmoins influencée par la culture grecque - comme l’expose l’art statuaire, au décor encore très inspiré de l’art grec -, dont ils parlent la langue.

À la mort de Théodose en 395 ap. J.-C., les villes libanaises sont intégrées à l’empire d’Orient, se convertissent au christianisme (religion officielle depuis 392) et détruisent les temples sur l’ordre de l’empereur. Des basiliques viennent les remplacer, dont certaines parties sont exposées au musée national : un chancel (partie d’architecture mobile qui protège l’endroit où se trouve l’autel dans une église) atteste ainsi du revirement culturel opéré dans le pays à l’époque byzantine. Le pays gagne en richesse et est célébré pour la finesse de sa maîtrise de l’artisanat. La dernière partie des collections présente l’art né de la conquête arabe du Liban (635-637) par Abu ‘Ubayda. Durant les siècles qui suivent se succèdent les Abbassides, les Fatimides, les Seldjoukides, les Ayyoubides et les Mameloukes ; chaque dynastie se distingue dans les collections par leur artisanat notamment de joaillerie, la collection mamelouke étant la plus conséquente. La présence mamelouke (1099-1289), dont l’architecture de la ville de Tripoli est sans doute le témoin le plus probant, a favorisé l’émergence d’un art et d’une architecture islamiques au Liban.

Octobre 2016 : ouverture au public du sous-sol du musée

La grande nouveauté d’octobre 2016 est l’ouverture au public des 700 m² du sous-sol du musée, consacrés aux rites et aux pratiques funéraires. 520 pièces archéologiques viennent témoigner des rites et des croyances locales, de la préhistoire à l’ère ottomane. Les éléments les plus impressionnants sont une série de trente-et-un sarcophages anthropoïdes, jusque-là jamais exposés au public : en marbre blanc de Paros, datant du VIe au Ve siècle, représentatif de l’art funéraire phénicien, ils proposent dans leur style une synthèse entre la pratique égyptienne du sarcophage anthropoïde et le modèle de la statuaire grecque pour la figuration des traits humains. Des traces de polychromie sont encore visibles. Selon la conservatrice du musée Anne-Marie Afeiche, cette collection de sarcophages de ce type est « la plus grande collection au monde » (4). L’autre événement : l’exposition de trois momies, Mayam, Yasmine et Sadaka. Elles font toutes trois partie des huit momies découvertes dans la grotte d’Asi el-Hasath, lors des fouilles menées entre 1989 et 1991. Il semble que ces momies sont les premières du peuple maronite médiéval : trois femmes, cinq jeunes filles et un nourrisson fuyant le massacre des Mamelouks s’étaient réfugiés dans cette grotte et y sont décédés. Le faible taux d’humidité a ralenti la décomposition de leur corps et des tissus : des études sont désormais menées sur les habits qui les vêtent, ceux-ci présentant l’intérêt exceptionnel d’être présenté en contexte, pour la première fois au Moyen-Orient. La visite se clôt sur trois remarquables stèles ottomanes de 1830, découvertes à Wadi Abou Jmil.

L’ouverture de ce nouvel espace a su drainer de nouveaux visiteurs. Comme l’annonçait Anne-Marie Afeiche à l’AFP, « c’est une leçon de courage et d’espoir puisque quarante-et-un ans après la fermeture du musée en 1975, nous sommes aujourd’hui dans la possibilité de recevoir des visiteurs aux trois étages » (5). Le musée national avait lancé en 2014 son application mobile destinée à mettre en valeur son patrimoine : projet alors inédit au Moyen-Orient, elle offrait gratuitement, pour téléphones mobiles et tablettes, un « parcours libre et autonome » (6) au cœur du musée, proposant des explications historiques et esthétiques pour plus de 130 objets exposés. Avec l’ouverture du sous-sol du bâtiment, le musée a su intéresser encore davantage de public, et peut proposer aux Libanais une nouvelle lecture de l’histoire ancienne et moderne du pays.

Notes :
(1) Site officiel du musée national de Beyrouth : http://beirutnationalmuseum.com/histoire.htm
(2) Voir commentaire du film de Bahij Hojeij, Le musée national, défi à l’oubli, 1996.
(3) La Pax Romana (« paix romaine ») désigne la longue période de paix (du Ie siècle au IIe siècle apr. J.-C.) imposée par l’Empire romain sur les régions contrôlées.
(4) Anne-Marie Afeiche, citée par May Malarem, « La plus grande collection au monde de sarcophages anthropoïdes désormais à Beyrouth », L’Orient Le Jour, 08/10/2016, http://www.lorientlejour.com/article/1011563/la-plus-grande-collection-au-monde-de-sarcophages-anthropoides-desormais-a-beyrouth.html
(5) Anne-Marie Afeiche, citée dans « Le musée national de Beyrouth révèle des vestiges exceptionnels », i24news, 03/11/2016, http://www.i24news.tv/fr/actu/international/moyen-orient/129246-161103-le-musee-national-de-beyrouth-revele-des-vestiges-exceptionnels
(6) Paul Khalifeh, « Liban : le Musée national de Beyrouth lance son application mobile », RFI, 08/09/2014, http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140908-le-musee-national-beyrouth-lance-son-application-mobile

Publié le 16/12/2016


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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