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Compte rendu du 8e Festival du Film Arabe de Berlin (31 mars-7 avril 2017)

Par Mathilde Rouxel
Publié le 11/04/2017 • modifié le 23/01/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

L’association AlFilm (الفيلم, “le film” en arabe) est une association à but non lucratif née pour organiser la première édition du festival du film arabe, qui s’est tenue à la fin du mois de novembre 2009. L’objectif de l’association est de mettre en lumière la culture arabe (réunissant des productions issues de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient) en proposant la projection de films « artistiques et sophistiqués » (1), selon ses propres mots de présentation. Ce qui est important, pour les organisateurs de cette manifestation, c’est d’abord d’apporter au public allemand de nouvelles perspectives sur le monde arabe et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur la création, interrogeant en proposant ces œuvres les enjeux posés par le métier de cinéaste dans le monde arabe. De nombreuses discussions avec les réalisateurs ont été organisées pour pouvoir permettre au public de réagir.

Durant une semaine, dans plusieurs lieux de Berlin, l’association a donc proposé une série de films de fiction, documentaires, ainsi que des programmes de courts-métrages illustrant de manière intéressante les tendances de production à l’œuvre durant les trois dernières années écoulées (les films acceptés ne sont pas âgés de plus de trois ans) de l’autre côté de la Méditerranée. Beaucoup des films présentés en 2017 ont reçu en 2016 de très nombreux prix dans divers festivals internationaux.

Une programmation sur le conflit et la volonté d’exil

Cette année, les films ont été projetés dans trois salles « d’art et essai », comme les qualifieraient les Français : l’Arsenal, au City Kino et à l’Eiszeit, toutes trois à Berlin. Six ans après les manifestations du « printemps arabe », lorsque les populations, du Maroc au Golfe, se soulevaient pour réclamer plus de droits, l’euphorie est retombée. Dans ce festival aux teintes sombres, il est plus souvent question de migration, de conflits, de répression. Le festival s’est ouvert sur un film libanais, Tramontane, réalisé par Vatche Boulghourjian, qui questionne, une fois encore, le rapport des Libanais à leur mémoire, à travers l’histoire d’un homme, Rabih, qui apprend qu’il a été adopté et qui cherche à comprendre son histoire. Le fantôme d’un passé fratricide renvoie à la surface le trauma collectif, qui affecte encore profondément le peuple libanais. On retrouve le Liban et les souvenirs dans le plus léger The Beach House de Roy Dib, qui raconte l’histoire d’une bande d’amis retrouvés après dix ans de séparation. Asphalt, enfin, réalisé par le cinéaste libanais Ali Hammoud, est un road-movie documentaire qui suit deux routiers, le Libanais Derar et l’Égyptien Mohamad dont le travail s’est trouvé perturbé par le conflit syrien. La question syriennne est, pour sa part, évoquée dans The War Show d’Andreas Dalsgaard et Obaidah Zytoon, qui présente le DJ et activiste Obaidah Zytoon des débuts de la révolution syrienne en 2011 à la situation actuelle, qui l’obligea à s’enfuir et à émigrer. Sur cette question des conflits, la Palestine tient toujours un rôle tragique : Ghost Hunting, de Raed Andoni, questionne en brouillant les limites de la fiction et du documentaire l’expérience d’anciens prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes. Dans Off Frame aka Revolution until Victory de Mohanad Yaqubi, l’histoire du conflit est revue au prisme de l’archive, que le cinéaste exhume pour exposer son point de vue. La tension entre Israël et les Territoires palestiniens est palpable même dans Speed Sisters, le documentaire plus léger et déconnecté de la politique pure et dure d’Amber Fares : la cinéaste s’intéresse en effet aux championnes féminines palestiniennes de course automobile et à leurs problèmes privés – les problèmes traditionnels de contrôle des frontières, de circulation impossible et de rêve de libération sont pourtant toujours présents, même en toile de fond.

Dans Blessed Benefit, Mahmoud al-Massad, le réalisateur, raconte l’histoire – une fiction – d’un homme emprisonné injustement dans une prison jordanienne et qui se laisse emporter, coincé entre les murs blindés, dans une spirale criminelle. Du côté kurde irakien, House Without a Roof de Soleen Yused raconte l’histoire de trois jeunes gens nés dans le Kurdistan irakien mais ayant grandi en Allemagne. Le film relate leur retour sur ces terres pour enterrer leur mère – un retour, aussi, à leurs racines familiales, et à l’histoire de la région.

La part belle est faite aussi au cinéma égyptien dans cette programmation. Little Eagles de Mohamed Rashad, questionne l’idée commune du personnel comme fait politique en présentant la relation que le réalisateur lui-même entretient avec son père montée en parallèle du musèlement de la population par le régime autoritaire en place en Égypte. Ce même régime qui divisait déjà les foules dès son arrivée au pouvoir, comme le rappelle le violent film Clash de Mohamed Diab, qui illustre sans concession les différentes prises de parti populaires aux lendemains de la révolution et à l’avènement de l’ère Sissi.

Côté tunisien, le festival a eu la chance d’accueillir dans sa programmation le plusieurs fois primé et magnifique The Last of Us, film sans parole d’Ala Eddine Slim sur un homme qui tente de fuir son pays, et qui se perd en forêt. Zeinab Hates the Snow, de Kaouther Ben Hania, raconte aussi l’histoire d’un exil : celui de Zeinab, que la cinéaste suit pendant près de six ans, et qu’elle voit partir, et s’adapter, au Québec. Bezness as usual d’Alex Pistra raconte pour sa part l’histoire de son réalisateur, parti en quête d’un père qu’il n’a jamais connu, qui avait rencontré sa mère durant les vacances de celles-ci et avec laquelle il n’a plus eu de contact.

L’Algérie est représentée à travers le documentaire de Mohamed Ouzine, Samir dans la poussière, qui suit un homme vivant de la contrebande de pétrole, transportant sa marchandise à dos de mulet de son village algérien à la frontière marocaine. Il s’agit du neveu du réalisateur, qui livre ici un portrait en mouvement et redéfinition permanente, au cœur des montagnes algériennes. Du Maroc, on voit les paysages époustouflants de l’Atlas dans la fiction onirique d’Olivier Laxe, Mimosas, qui raconte le périple de trois hommes chargés d’enterrer le corps d’un ancien, et la routine invisible des habitants de Marrakech, dans le documentaire de Hicham Elladdaqi, La Route du pain, qui montre des douzaines d’hommes et de femmes qui se pressent chaque jour aux portes de la Medina en espérant qu’on leur donne du travail. La misère, même sans la guerre, est partout présente dans ces films douloureux, qui dressent le portrait d’une région en crise, abîmée par l’immobilisme des systèmes.

Trois séances de courts-métrages ont aussi été organisées, qui permettaient de présenter quelques films d’animation (The Boy and the Sea, Samer Ajouri) ou de fictions déconnectées des réalités politiques (Et Roméo épousa Juliette, Hinde Boujemaa).

En plus de cette sélection officielle, le festival a proposé une rétrospective de l’œuvre du cinéaste, scénographe et costumier Shadi Abdel Salam (1930-1986), qui a permis au public berlinois de redécouvrir quelques-uns de ses courts-métrages (Le paysan éloquent, 1970 ; Armées du soleil, 1975 ; Horizons, 1972), sa Momie (1969) et son travail sur le film du polonais Jerzy Kawaleerowicz, Pharaon (1966).

Note :

(1) Voir le site de l’association : http://www.alfilm.de/

Liste des longs-métrages en compétition officielle :

 Tramontane, Vatche Boulghourjian, Liban/France/Qatar/Émirats arabes unis, 2016, 95 min.
 The Beach House, Roy Dib, Liban, 2016, 75 min.
 Asphalt, Ali Hammoud, Liban/Qatar, 2016, 69 min.
 The War Show, Andreas Dalsgaard, Obaidah Zytoon, Danemark/Finlande/Syrie, 2016, 100 min.
 Ghost Hunting, Raed Andoni, France/Palestine/Suisse/Qatar, 2017, 94 min.
 Off Frame aka Revolution until Victory, Mohanad Yaqubi, Palestine/France/Qatar, 2016, 63 min.
 Speed Sisters, Amber Fares, Palestine/Qatar/Grande-Bretagne/Danemark/Canada/États-Unis, 2015, 80 min.
 Little Eagles, Mohamad Rashad, Égypte/Liban, 2016, 77 min.
 Clash, Mohamed Diab, Égypte/Allemagne/France, 2016, 95 min.
 The Last of Us, Ala Eddine Slim, Tunisie/Qatar/Emirats arabes unis, 2016, 94 min.
 Zaineb Hates the Snow, Kaouther Ben Hania, Tunisie/France/Qatar/Liban/Émirats Arabes Unis, 2016, 94 min.
 Bezness as usual, Alex Pitstra, Pays-Bas, 2016, 92 min.
 Samir dans la poussière, Mohamed Ouzine, France/Algérie/Qatard, 2015, 61 min.
 Blessed Benefits, Mahmoud al-Massad, Jordanie/Alleamgne/Pays-Bas/Qatar, 2016, 83 min.
 La route du pain, Hicham Elladaqqi, Belgique/France/Maroc, 2015, 61 min.
 Mimosas, Olivier Laxe, Maroc/Espagne/Qatar/France, 2016, 93 min.
 House Without Roof, Kurdistan irakien/Allemagne/Qatar, 2016, 117 min.

Publié le 11/04/2017


Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.


 


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