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Compte rendu de la revue Conflits, numéro 6, dossier spécial « Le grand retour de l’Iran »

Par Louise Plun
Publié le 26/08/2015 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Dans un premier temps, Pascal Gauchon revient sur quelques points géographiques et historiques du pays : entité perse et non arabe, islamisée mais ayant conservé sa langue - le persan -, unifiée par la dynastie des Safavides (1501-1736) qui impose alors le chiisme en tant que religion officielle. Bien que qualifié d’« île » au sein du Moyen-Orient par Bernard Hourcade, l’empire perse a connu, au fils de son histoire, des périodes de replis comme d’expansion et sa culture demeure, encore aujourd’hui, ancrée dans les pays voisins, à l’image de l’Irak, pays limitrophe à majorité chiite. Cependant, le XIXème siècle iranien est qualifié par Pascal Gauchon du « temps du repli », dans un contexte de rivalité entre la Grande-Bretagne et la Russie. La dynastie Qajar ne parvient pas à résister aux puissances étrangères dans le domaine économique et à éviter leur prise de contrôle des ressources nationales, en particulier du pétrole. Dans le même temps, le pays se modernise mais les libertés restent muselées, ce qui provoque des révolutions en 1905 puis en 1908-1909. C’est finalement la révolution khomeyniste islamiste de 1979 que le monde retiendra. A partir de cette date, le pays affiche désormais sa « méfiance envers le reste du monde », ce qui conduit à l’isolement du pays. Cet isolement se poursuit pendant la présidence d’Ahmadinejad (2005-2013), avec les sanctions internationales. En outre, la situation géopolitique de l’Iran demeure celle de la « centralité ». « Au contact d’au moins quatre ensembles : l’Asie, centrale, le Moyen-Orient, Le Golfe Persique […] et le monde turc », l’Iran constitue une sorte de « plate-forme », un pivot entre ces acteurs. Cet encerclement a provoqué, comme l’évoque François Thual, la vigilance constante de l’Iran face aux pays, potentiellement menaçants, qui l’entourent. Cependant, fort de sa longue mémoire historique, ethnique et culturelle, et se révélant être l’opposé de cette image « de régression, d’obscurantisme et d’isolement », le pays apparait tout à fait « novateur ». Pascal Gauchon achève par ces mots : « Aujourd’hui, des opportunités exceptionnelles lui permettent de retrouver sa place. Saura-t-il les saisir ? Et ses ennemis le lui permettront-ils ? »

Des cartes montrant la mobilité des frontières iraniennes depuis celle sous l’Empire perse (500 environ avant JC), jusqu’à celles actuelles viennent, tout au long des articles, appuyer et illustrer les propos des nombreux contributeurs de la revue.

Tout en rappelant que les chiites constituent 15% des musulmans, Didier Giordini apporte ensuite un point sémantique et historique autour du terme et de la notion de « chiisme », afin de comprendre les particularités de cette religion et d’en saisir les enjeux actuels.

Olivier Hanne, chercheur associé à Aix-Marseille université et co-auteur de l’ouvrage Géopolitique de l’Iran, (Editions PUF, 2015), aborde le « grand retour de l’Iran ». L’auteur revient tout d’abord sur les causes de son isolement volontaire mais également de sa mise au banc de la scène internationale au moyen de sanctions financières et embargos répétés. Il évoque la révolution de 1979, la personnalité et les propos provocateurs d’Ahmadinejad à l’image de l’épisode de la répression verte de 2009 et surtout l’interminable conflit autour du nucléaire. L’auteur traite ensuite du retour du pays en tant qu’acteur régional et international. Ce retour a pour point de départ l’intervention américaine en Irak de 2003. En effet, alors qu’à la suite de celle-ci les sunnites délaissés se tournent vers l’Etat islamique, le gouvernement chiite de Nuri al-Maliki, mis en place par les Américains, se tourne quant à lui vers Téhéran. On retient en outre la visite historique d’Ahmadinejad à Bagdad en 2008. S’en suit l’élément déclencheur aux Etats-Unis : l’arrivée d’Obama en 2009 à la Maison Blanche. Néanmoins, face à ce retour, restent encore plusieurs sujets : la question du nucléaire ; l’allié traditionnel des Etats-Unis, Israël ; le soutien apporté par l’Iran à Bachar al-Assad ; la monarchie saoudienne pour qui l’Iran est devenu une véritable « obsession ». C’est cependant du fait de l’avancée de l’Etat islamique à partir de l’été 2014, que l’Iran va peu à peu s’affirmer en tant qu’acteur « indispensable contre Daesh ». L’auteur rappelle également qu’aux Etats-Unis toutefois, le mécontentement règne chez les Républicains face au retour de l’Iran. Selon l’auteur, ce mécontentement annonce déjà l’enjeu que représente la prochaine élection américaine pour le pays : « l’Iran a deux ans pour concrétiser son ‘grand retour’ », autrement dit, avant que Obama ne passe la main.

Professeur en CPGE, diplômé d’arabe et membre associé de l’équipe Monde arabe Méditerranée (Université François Rabelais de Tours), Frédéric Pichon propose un tour d’« horizon de la géopolitique iranienne ». L’auteur axe son article autour de la reconsidération de l’expression « révolution islamique ». Ce terme est omniprésent dans le discours politique des acteurs gouvernementaux iraniens, en témoignent les propos tenus par Qassem Soleimani, le commandant de la Garde révolutionnaire Al-Qods, (propos cités dans l’article) : « Nous assistions à l’exportation de la révolution islamique dans la région. De Bahreïn à l’Irak et à la Syrie, du Yémen à l’Afrique du Nord ». Frédéric Pichon réfute l’interprétation de cette formule via la vison d’un arc chiite menaçant, et l’aborde comme correspondant à un « modèle plus complet et [des] structures politiques qu’il s’agit de reproduire à l’extérieur. Ce sont ces structures, maintenant visibles du Yémen au Liban, auxquelles faisaient allusions Soleimani. » Il poursuit en qualifiant l’arc chiite d’« épouvantail », dont les implications sont désormais « difficiles à soutenir ». Pour appuyer son propos, l’auteur cite le soutien apporté par l’Iran au régime syrien de Bachar al-Assad, « un Etat baasiste réputé laïc » ; et rappelle la diversité des chiismes au sein du Moyen-Orient, à l’image des Zaïdites. En effet, « chez eux, pas d’ayatollahs », et qui plus est, fonctionnant selon un système tribal et clanique. En outre, Frédéric Pichon souligne que seuls l’Irak et le Liban « sont des pays où les réseaux iraniens sont implantés depuis longtemps », via le Hezbollah ou le régime irakien chiite d’al-Maliki, ainsi que l’ancestrale gémellité historique entre les deux pays. Cet arc chiite est pour finir également brandit à l’occasion par l’Iran qui « [veut] laisser entendre qu’[il] est capable d’intervenir partout ».

Le dossier sur le « Grand retour de l’Iran » se poursuit avec un entretien mené par Pascal Gauchon avec son Excellence Ali Ahni, l’ambassadeur de la République islamique d’Iran. Redevenu ambassadeur iranien en France depuis 2008, son conseil actuel aux entreprises françaises est le suivant : « C’est le moment ! ». Lors de cet entretien sont abordés les sujets la question de l’accord sur le nucléaire iranien, les précédentes sanctions infligées à l’Iran et leur conséquences sur le pays, l’attitude américaine sur le sujet, ainsi que celles de l’Arabie saoudite et d’Israël, l’imbrication de la question de la progression de Daesh, ainsi que l’opposition chiite/sunnite…

La question du nucléaire iranien et de l’état des lieux de l’accord en construction est abordée par Michel Makinsky, chercheur associé à l’IPSE (Institute Prospective et Sécurité en Europe) et directeur général d’Ageromys International. L’auteur rappelle que cette question n’est pas « chose nouvelle ». En effet, avant 1979 et la révolution iranienne, le programme nucléaire iranien se développait avec le soutien des Etats-Unis, de la France mais également de l’Allemagne, alors qu’un traité de non-prolifération nucléaire était signé en 1968 par l’Iran. Cependant, l’inquiétude de voir le niveau d’uranium iranien grimper jusqu’à un taux (85%) permettant l’élaboration de la bombe nucléaire, s’amplifiait de plus en plus, attisée par les déclarations d’Ahmadinejad. Les considérations de mesures stoppant ce processus allaient alors bon train : intervention militaire, opérations des services secrets (assassinats de scientifiques ou virus informatiques)… c’est finalement le choix des sanctions et embargos qui fut privilégié. Alors que le « cadenas du futur texte » de l’accord iranien est en cours de discussion depuis avril puis juin 2015, quelles sont les exigences américaines et onusiennes ? Entre autre « un enrichissement de l’uranium limité à 3.67% pendant 15 ans » et « l’acceptation par l’Iran d’un système d’inspections et de contrôle de l’AIEA d’une grande ampleur ». Cependant, l’auteur conclut son article sur l’idée que « d’importants désaccords substituent ».

Les fondements de la puissances iraniennes sont analysés par Antoine-Louis de Prémonville, docteur en lettres et civilisations et officier de l’armée de terre. Son article donne un aperçu de la puissance, économique, politique et militaire de l’Iran, malgré des années d’embargo et de sanctions économiques et financières. En effet, depuis la modernisation du pays amorcée sous le régime du Shah avant la révolution et malgré les sanctions internationales, l’Iran a pu compter sur sa première ressource économique : les hydrocarbures qu’ils exportent. En effet, le pays ne manque pas d’atouts : « 10% des réserves prouvées de pétrole conventionnel, les premières réserves mondiales de gaz conventionnel, des mines importantes de cuivre, de fer, un potentiel touristique considérable, l’embryon d’une industrie qui fabrique sous licence automobiles ou avions… » De plus, la population, dont une bonne partie appartient à une classe moyenne urbanisée, représente une société de consommation opportune. Toutefois, ni les investissements, ni les infrastructures et capacités de raffinages ne sont suffisamment développés. Dans un deuxième temps, l’Iran constitue une puissance militaire régionale, bien que le « budget de la Défense reste en deçà des standards d’une puissance capable d’assumer un conflit conventionnel ». Le pays développe également des programmes spatial et balistique qui « restent [cependant] difficiles à évaluer ». Pour terminer, l’auteur rappelle qu’il ne faut pas oublier le soft power iranien, puisque le pays représente, entre autre, la première puissance chiite du monde, et que cette donnée religieuse lui confère un « rôle diplomatique indéniable ».

Pour conclure, les derniers articles offrent un panorama complet des relations politiques, économiques… de l’Iran et des puissances mondiales. Michel Nazet, professeur de géopolitique, aborde ses relations avec de possibles « alliés de circonstances », c’est-à-dire la Chine et la Russie ; les impossibles relations avec Israël. Pierre Berthelot, professeur de géopolitique et de relations internationales (FACO) nomme en conséquence les deux acteurs d’« ennemis paradoxaux » ; Tancrède Josseran, attaché de recherche à l’Institut de Stratégie Comparée (ISC), qualifie quand à lui l’Iran et la Turquie de « voisins mais pas amis » et développe les relations de ces « jumeaux hétérozygotes et rivaux » ; finalement Sébastien Sénépart, spécialiste de l’Afghanistan et de l’Asie du Sud, conclut avec un aperçu des relations entre l’Iran et l’Afghanistan, des relations pour le moins prometteuses.

Le N°6 de la revue Conflits offre donc dans ce dossier le « Grand retour de l’Iran » une analyse ainsi qu’un panorama complets sur ce pays au coeur de l’actualité internationale et médiatique et en pleine phase de redécouverte par le monde occidental.

Publié le 26/08/2015


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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