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Beyrouth (1) : la reconstruction à l’échelle métropolitaine

Par Hervé Amiot
Publié le 06/11/2013 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Mais plus de vingt ans après la fin de la guerre, Beyrouth est largement transformée. Elle se distingue par son haut niveau d’infrastructures et d’équipement. Les traces de la guerre ont par ailleurs largement disparu, du fait d’une vaste politique de reconstruction alliant secteur public et secteur privé. Cependant, la capitale libanaise n’est jamais à l’abri de replonger dans ses heures sombres. En 2006, les bombardements israéliens contre le Hezbollah détruisent de nouveau une grande partie du Sud de la ville.

Dans ce premier article, nous nous pencherons sur la politique de reconstruction à l’échelle métropolitaine en analysant les projets, les réalisations et les limites de celle-ci. L’article suivant sera consacré à l’étude de l’aménagement du centre-ville par la société privée SOLIDERE.

Lire la partie 2 de l’article : Beyrouth (2) : la reconstruction du centre-ville par la société Solidere

I – Beyrouth, une ville marquée par plus de quinze ans de guerre civile

La guerre a eu deux répercussions importantes sur la ville de Beyrouth :
 Les destructions matérielles. Les conflits de type guérilla urbaine, les attentats et les bombardements ont provoqué de gros dégâts matériels. Au sortir de la guerre, Debié et Pieter (2003) estiment que 15% des immeubles seraient gravement touchés ou détruits dans la municipalité de Beyrouth.
 La division confessionnelle. Pendant la guerre, les milices ont procédé à une homogénéisation de l’espace urbain. Dès 1976, des camps palestiniens à l’Est de Beyrouth sont attaqués par les Chrétiens, ce qui provoque le repli des Palestiniens à l’Ouest de la ville. De même, les Chrétiens sont chassés de l’Ouest (lors du massacre de Damour par exemple) et se concentrent à l’Est. De nombreux chiites du Sud-Liban viennent aussi se réfugier à Beyrouth-Ouest lorsque l’armée israélienne pénètre au Liban. La guerre renforce donc la polarisation confessionnelle déjà existante. Dans le paysage urbain, cela se traduit par une ligne de démarcation, c’est-à-dire une véritable ligne de front, une sorte de no man’s land constitué de bâtiments détruits, séparant Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest. Ces divisions sont très fortement ancrées dans les esprits. Eric Verdeil (2007) cite une étude de 1994 révélant que 10% seulement des déplacements des Beyrouthins traversent l’ancienne ligne de démarcation.

Durant la guerre, la population de Beyrouth n’a pas considérablement augmenté : de 1970 à 1997, elle passe de 1,2 à 1,7 millions d’habitants, mais la ville a connu une extension. Alors que le centre stagne ou perd de la population, les périphéries augmentent : par exemple, les chiites s’étendent en banlieue Sud, les chrétiens se développent sur le littoral Nord-Est en direction de Jounieh.

II – Une reconstruction rapide mais incomplète à l’échelle de la métropole

Des initiatives privées qui dominent dans l’immédiat après-guerre

Au début des années 1990, les acteurs privés s’emparent de la reconstruction du parc immobilier de Beyrouth. Le secteur de l’immobilier est en plein essor et les sociétés font des profits. Cependant, la conjoncture se retourne à partir de 1995. Le problème est celui du décalage entre l’offre et la demande : les promoteurs réalisent souvent des constructions trop luxueuses, certes attractives pour les touristes ou les investissements étrangers, mais qui ne répondent pas aux besoins d’une classe moyenne ou modeste largement présente à Beyrouth.

Debié et Pieter (2003) font remarquer que cette période ne représente pas une véritable reconstruction de Beyrouth, mais qu’elle est plutôt le prolongement du mouvement d’extension et de densification urbaine connu pendant la guerre.

Une mise en place plus lente des projets d’Etat

La reconstruction de Beyrouth avait déjà été programmée avant la fin de la guerre. En 1986, une équipe franco-libanaise propose un schéma directeur ambitieux, visant à reconstituer l’unité de la capitale par la construction d’infrastructures de transports et d’équipements collectifs. A ce titre, un nouveau cadre institutionnel est mis en place : la Région Métropolitaine de Beyrouth (tracé vert), qui ne correspond pas à une entité politique (elle recoupe les subdivisions administratives, « cazas » et « mouhafazas ») mais simplement à un découpage fonctionnel.

C’est à partir de 1995 que les projets d’Etat commencent à être réalisés, en étroite coopération avec le secteur privé. La réalisation diffère cependant des plans théoriques. Ce sont les outils du développement économique qui sont favorisés (en jaune sur la carte). Ainsi, le port à l’Est du centre-ville est réhabilité. Au Sud est construit un nouvel aéroport, avec une piste aménagée en mer, sur un terre-plein. Il peut accueillir 6 millions de passagers. Il s’agit en effet d’attirer les capitaux et les touristes étrangers, qui ont délaissé le pays depuis le début de la guerre civile. Sur ce point, une attention toute particulière est portée au centre-ville (en bleu), qui doit retrouver son prestige de la période mandataire et post-indépendance. Nous verrons cela en seconde partie. Au Nord Est de la ville, un remblai est en cours de construction sur le littoral menant à Jounieh (en orange).

De grands équipements publics sont également construits (triangles violets) et permettent de manifester le prestige du régime : cité sportive Camille Chamoun, Hôpital universitaire Rafik Hariri, campus de l’Université libanaise.

Les limites de l’aménagement de la métropole

Un plan de transport a été adopté en 1994-1995. Il s’agissait d’améliorer la mobilité et les conditions de circulation, à la fois dans une perspective de productivité économique, mais aussi dans l’idée d’une réunification symbolique de l’agglomération et de mixité des espaces. Cependant, la réalisation s’est avérée mitigée. Le réseau autoroutier a été modernisé et étendu (tracé continu marron) : de nouvelles autoroutes littorales relient Beyrouth à Jounieh et Tripoli au Nord, et à Saïda au Sud. Cependant, les projets de périphérique et d’autoroute orientale vers Damas n’ont pas été réalisés (tracé discontinu marron). Par ailleurs, aucune autorité supérieure n’a été créée pour chapeauter le volet des transports, ce qui nuit à la cohérence d’ensemble du réseau. Enfin, au niveau des transports en commun, des lignes de métro avaient été prévues, ainsi qu’une ligne de RER reliant Damour au Sud à Jounieh au Nord (tracé gris discontinu). Mais ces projets n’ont pas encore connu de mise en œuvre concrète. Seul un réseau de bus existe, peu efficace par ailleurs.

Parmi les volets restés en suspens, on trouve aussi la question de l’aménagement de la ligne de démarcation qui a divisé Beyrouth-Ouest et Beyrouth-Est pendant la guerre (tracé rouge). Il avait été question de faire disparaitre physiquement cette ligne de front et de banaliser le secteur, mais les projets n’ont jamais eu de suite. Seules des mesures d’urgence pour déblayer les immeubles dangereux ont été engagées. Sur la ligne de séparation, on peut toutefois noter la reconstruction du Bois des pins, le plus grand parc de Beyrouth, à partir de 1992 (cercle vert).

Dans la banlieue sud, des aménagements ont certes été réalisés (complexe sportif, autoroute, grands magasins…) mais ceux-ci répondent plutôt à des exigences économiques, au détriment du programme de réaménagement des quartiers irréguliers (hachures vertes). Les logements sociaux prévus pour accueillir la population défavorisée n’ont pas vu le jour. La partie Sud de la ville accueille encore des zones d’habitat informel, non règlementaire, ainsi que des camps de réfugiés palestiniens, comme Chatila, qui est immédiatement voisin du grand stade Camille Chamoun.

III – Beyrouth-Sud de nouveau en guerre (juillet-août 2006)

Le 12 juillet 2006, Israël lance la « Guerre des trente-trois jours » contre le Hezbollah, en réponse à la capture de deux de ses soldats par la milice chiite.
Les bombardements israéliens ont deux objectifs : détruire les capacités militaires du Hezbollah en ciblant ses bases opérationnelles supposées ; isoler le pays en bloquant les infrastructures de communication (destruction de routes, de viaducs …). Par conséquent, les villes où est concentrée une forte population chiite, comme le Sud de Beyrouth, sont prises pour cibles par l’aviation israélienne. Près de 30% des dégâts aux habitations concernent la banlieue sud-est de Beyrouth dite « Dahiyeh » (Verdeil, 2007). La localité de Haret Hreik, banlieue de classes moyennes accueillant bon nombre d’institutions du Hezbollah, subit les dégâts les plus lourds : 182 immeubles sont détruits entièrement et 192 sont touchés.

Les pertes économiques dues aux destructions sont estimées à 2,8 milliards de dollar (dont 1,7 milliard lié à la perte des immeubles résidentiels). L’économie chute : récession, hausse du chômage, tourisme entravé… Ainsi E. Verdeil peut-il avancer qu’« à l’isolement du Hezbollah et à l’arrêt de son ravitaillement en armes s’ajoutait également l’objectif explicite de renvoyer le Liban quinze ans en arrière en détruisant son économie ».

Bibliographie :
 Franck DEBIÉ et Danuta PIETER, La paix et la crise : le Liban reconstruit ?, PUF, Paris, 2003.
 Heiko SCHMID, Der Wiederaufbau des Beiruter Stadtzentrums. Ein Beitrag zur handlungsorientierten politisch-geographischen Konfliktforschung, Heidelberg, 2002.
 Eric VERDEIL, Ghaleb FAOUR et Sébastien VELUT, Atlas du Liban. Territoires et société, Institut français du Proche-Orient, CNRS Liban, 2007.
 Eric VERDEIL, Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en reconstruction, Thèse de géographie soutenue à l’université de Paris I le 4 décembre 2002, sous la direction de Pierre Merlin, professeur des universités, UMR Ladyss/Cnrs (654 p.).
 Eric VERDEIL, Beyrouth et ses urbanistes. Une ville en plans (1946-1975), Presses de l’ifpo, 2010.

Publié le 06/11/2013


Hervé Amiot est Docteur en géographie, agrégé et ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). Après s’être intéressé aux dynamiques politiques du Moyen-Orient au cours de sa formation initiale, il s’est ensuite spécialisé sur l’espace postsoviétique, et en particulier l’Ukraine, sujet de ses recherches doctorales.


 


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