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Le Royaume d’Arabie saoudite, plus grand pays du Moyen-Orient, se trouve actuellement confronté à la question de la succession de l’actuel souverain. Le mode de transmission du pouvoir de frère en frère en vigueur dans le pays a favorisé l’émergence d’une gérontocratie au fil du temps, et le pays se trouve face au défi de la transmission générationnelle.
La problématique de la succession se pose à l’Arabie saoudite depuis sa création au XVIIIème siècle, et s’est caractérisée tout au long de l’histoire par des luttes armées, des manœuvres politiques et des rivalités familiales qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. En 1902, le Roi Abdelaziz Al-Saoud a rétabli le pouvoir de la maison des Saoud sur le royaume, en éliminant toutes les autres branches de la famille royale. Le nom d’« Arabie saoudite » témoigne de la vision patrimoniale que ce Roi pouvait avoir de son pays, et le pouvoir s’est d’ailleurs organisé autour des membres de sa famille, notamment de ses fils.
En effet, le pouvoir se transmet de manière adelphique en Arabie saoudite, à la manière des tribus, c’est-à-dire de frère en frère, puis aux demi-frères, parmi les fils du Roi Abdel Aziz Al-Saoud, dans le respect du droit d’aînesse ; l’héritier doit par ailleurs être confirmé par un « Conseil de famille ». La maison des Saoud n’est donc pas une dynastie classique, mais ce que Nabil Mouline appelle une « collégialité familiale ». Le souverain, bien que régnant, ne peut pas véritablement monopoliser le pouvoir, car il doit s’assurer du soutien du Conseil de la famille royale.
Le Roi Fahd, monté sur le trône en 1982, à l’âge de 61 ans, a pris conscience du fait que ce mode de transmission de pouvoir favorisait la mise en place d’une gérontocratie dans le royaume, incompatible avec l’évolution d’un pays moderne. Il a en conséquence promulgué en 1992 une « Loi Fondamentale », qui donnait pour la première fois un cadre juridique à la question de la succession et de la transmission du pouvoir dans le pays. Cette loi prévoit le transfert du pouvoir à celui des héritiers considéré comme le « plus apte », mais elle a finalement eu pour effet de rallonger la liste des prétendants au trône, qui compte maintenant non seulement les fils du Roi Abdelaziz Al-Saoud, mais aussi ses petits-fils. Ce mode de désignation avait aussi pour inconvénient d’ouvrir la voie aux clans et rivalités familiales pour accéder au pouvoir. La loi permettrait ainsi à la branche des Soudayri, rivale des Saoud, d’accéder plus facilement au trône. Pour perpétuer la lignée des Saoud, le Roi a alors mis en place un dispositif institutionnel en créant le Conseil d’allégeance en 2006. Ce Conseil a pour principale fonction de désigner un héritier et d’assurer la transition générationnelle. Il est composé de trente-cinq membres, seize fils et dix-neuf petits-fils du Roi Abdelaziz, les fils du Roi étant membres à vie, alors que les petits-fils ne le sont que pour quatre ans. Le Conseil se réunit uniquement sur ordre royal, à moins que le Roi et le prince héritier ne disparaissent en même temps, auquel cas il se réunit automatiquement. Le Conseil d’allégeance constitue donc un cadre institutionnel, mais la question de la transmission du pouvoir reste problématique et l’Arabie saoudite n’est jamais à l’abri de luttes fratricides.
Le Roi Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud est devenu Roi d’Arabie saoudite le 1er août 2005, après la mort de son demi-frère le Roi Fahd. Il avait été auparavant prince héritier et régent de facto de 1995 à 2005, période de maladie du Roi Fahd. L’actuel prince héritier, le prince Salmane, appartient à la famille des Soudayri, branche rivale des Saoud, tout comme l’étaient les deux princes héritiers précédents, qui sont depuis décédés. Le Roi Abdallah, sachant que la question du transfert du pouvoir est sensible dans le pays, a réuni le Conseil d’allégeance le 27 mars 2014 pour l’informer de son souhait de modifier l’ordre de succession. Il voudrait en effet nommer son demi-frère Moqren prince héritier, et placer son fils aîné Mitab, actuellement patron de la Garde Nationale, en deuxième position dans l’ordre de succession au trône. Les deux tiers des membres du Conseil d’allégeance ont approuvé cette décision. On voit ainsi que le Roi actuel souhaite transmettre le pouvoir à la génération suivante, privilégiant au passage sa lignée familiale, mais cela entraîne un risque d’exacerbation des rivalités dans le pays. La décision de nommer le prince Moqren - plus jeune des fils d’Abdelaziz et dirigeant des services de renseignements saoudiens durant de nombreuses années - comme prince héritier ne peut être annulée, car elle a été prise avec l’accord de l’héritier actuel le prince Salmane, lequel ne pourra alors pas choisir son propre héritier. En échange, ce dernier aurait exigé que son fils soit nommé au poste de ministre de la Défense. Le Roi Abdallah, qui a entrepris de nombreuses réformes dans le royaume, souhaite qu’un membre de son clan appartenant à la prochaine génération puisse assurer la continuité de son travail et de son règne. Bien que son demi-frère ait été désigné comme successeur de Salmane, il est probable que son fils accèdera assez vite au trône, car la légitimité de Moqren, fils d’une concubine yéménite du Roi Abdelaziz, est fragile.
Au fil du temps, plusieurs événements ont déjà laissé supposer que le Roi Abdallah préparait sa succession dans ce royaume qui compte des centaines d’héritiers. Il avait ainsi placé des membres de sa famille à des postes clés du pays, par exemple au ministère de l’Éducation nationale, au ministère de la Santé, ou à la direction de la police religieuse. Cette lignée de succession horizontale donne lieu à des rivalités assez fortes dans le pays, chaque branche souhaitant garder ses privilèges. Compte tenu de l’étendue de la famille royale, des divergences d’opinions et d’orientations diplomatiques apparaissent parfois, ce qui peut desservir le pays. C’est également pour cette raison que le Roi Abdallah a souhaité assurer la succession à son camp, en plaçant ses pions sur l’échiquier politique et en nommant un successeur au prince Salmane, avant même que celui-ci n’accède au trône.
Bibliographie :
– Joseph A. Kechichian, Succession in Saudi Arabia, Palgrave, 2002.
– Sous la direction de Rémy Leveau et Abdellah Hammoud, Monarchies arabes : Transitions et dérives dynastiques, Les Études de la documentation française, 2002.
– Nabil Mouline, Pouvoir et transition générationnelle en Arabie Saoudite, Cairn, 2010.
– Jeune Afrique – Article du 27 mars 2014 « Le Roi Abdallah prépare sa succession ».
– France 24 – Article du 01/04/2014 « Le Roi Abdallah désigne un nouveau successeur parmi ses frères ».
– Le Figaro – Article du 27 mars 2014 « Arabie : pourquoi le Roi Abdallah a changé l’ordre de succession ? ».
– Radio France Internationale – Article du 28 mars 2014 « Le roi d’Arabie Saoudite désigne son demi-frère Moqren prince héritier ».
Ines Zebdi
Ines Zebdi est étudiante à Sciences Po Paris. Ayant la double nationalité franco-marocaine, elle a fait de nombreux voyages au Maroc.
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